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nourrir, et qu'il n'en reste presque point pour la semence. Est-ce parceque les truies sont toujours en troupe avec leurs mâles, ce qui les échauffe et les invite à s'accoupler; car, comme dit Empedocle en parlant des hommes

Le regard seul excite un amoureux desir.

Les laies, au contraire, vivent solitairement et ne paissent pas avec les mâles. Ainsi, leurs desirs, rarement excités, les portent moins à s'accoupler. Est-il vrai, comme le dit Aristote, que l'épithète qu'Homère donne au sanglier signifie qu'il n'a qu'un des organes générateurs, parceque ces animaux se froissent souvent ces parties en les frottant contre les arbres?

XXII.

Pourquoi la patte de l'ours passe-t-elle pour douce au tact, et sa chair très bonne à manger ?

C'est que les parties du corps qui digèrent le mieux la nourriture ont la chair plus délicate, et que les parties qui digèrent le mieux sont celles qu'un mouvement et un exercice habituels font transpirer davantage. L'ours agit de ses pieds de devant beaucoup plus que d'aucune autre partie de son corps. Il les exerce quand il marche et quand il court, et ils lui servent comme de mains pour saisir tout ce qu'il veut prendre.

XXIII.

Pourquoi, dans le printemps, les chiens ont-ils plus de peine à suivre les animaux à la piste?

Est-ce parceque les chiens, qui, comme le dit Empédocle,

En suivant à l'odeur la trace de la bête,

sont attirés par les émanations qui sortent de son corps et qu'elle laisse en passant dans les bois, ne les reçoivent au printemps qu'affaiblies et confondues avec les odeurs. des plantes et des arbrisseaux, qui, dans cette saison, sont presque tous en fleur? et ces odeurs, en se mêlant aux émanations des animaux, mettent les chiens en défaut et leur font perdre la trace. Voilà pourquoi l'on ne chasse jamais près du mont Etna, en Sicile, parceque les prairies voisines sont couvertes toute l'année de plantes odoriférantes, dont les émanations continuelles font perdre la trace des animaux 1. D'ailleurs, selon la Fable, ce fut là que Pluton ravit Proserpine pendant qu'elle cueillait des fleurs; et les habitants, par respect pour ce lieu, qu'ils regardent comme un asile sacré, ne font point la chasse aux animaux qui y habitent.

XXIV.

Pourquoi, dans la pleine lune, suit-on plus difficilement la trace des animaux?

Est-ce encore par la raison que je viens de dire? Dans la pleine lune la rosée est très abondante; aussi le poëte Alcmane dit-il que la rosée est fille de Jupiter et de la lune :

Fille de Jupiter et de l'astre des nuits,

La rosée alimente et fait mûrir nos fruits.

La rosée est une pluie faible et légère, comme la lumière de la lune n'est qu'une clarté débile. Elle pompe aussi bien que le soleil les vapeurs de notre globe; mais, ne pouvant les attirer bien haut, elle les laisse retomber aussitôt sur la surface de la terre.

1 Cicéron, dans son oraison de Signis contre Verrès, atteste ce que dit ici Plutarque. On peut y lire la charmante description qu'il fait de ces prairies délicieuses, où régnait un printemps perpétuel.

XXV.

Pourquoi la gelée blanche rend-elle la trace des animaux plus difficile à suivre ?

Est-ce parceque les animaux, s'écartant peu de leur gîte à cause du froid, ne laissent pas au loin des traces de leur passage? On dit même qu'ils ménagent les aliments qui sont à leur portée afin de trouver aisément leur pâture dans le voisinage et de n'avoir pas à souffrir du froid en allant la chercher trop loin. Ou faut-il non-seulement que la trace de l'animal soit imprimée sur la terre, mais encore que l'odorat du chien soit averti par l'odeur que la bête y a laissée ? ce qui est plus facile en été, où la voie des animaux est amollie par la chaleur, au lieu que le grand froid, resserrant cette odeur, l'empêche de se répandre et de venir frapper l'organe du chien. Voilà pourquoi le vin et les parfums exhalent moins d'odeur pendant l'hiver, parceque l'air condensé par le froid concentre en lui-même les exhalaisons qui en émanent et empêchent qu'elles ne se répandant au loin.

XXVI..

Pourquoi les animaux, quand ils sont malades, savent-ils chercher les remèdes qui leur sont propres, et souvent se guérir par leur usage?

Les chiens, par exemple, mangent du chiendent pour se délivrer de la bile qui les incommode. Les pourceaux vont chercher des écrevisses pour se guérir du mal de tête. Quand la tortue a mangé de la vipère, elle a recours à l'origan pour lui servir de contre-poison. Lorsqu'un ours est dégoûté, il tire sa langue auprès d'une fourmilière, et quand elle est couverte de fourmis, il les avale et se guérit. Ces animaux cependant ne doivent la connais

sance de ces remèdes ni au hasard ni à l'expérience. Serait-ce que, comme les abeilles sont attirées par le miel et les vautours par les cadavres, de même les pourceaux le sont par les écrevisses, les tortues par l'origan et les ours par les fourmis, et que cette attraction est l'effet des émanations odorantes qui sortent de ces derniers animaux, et non d'un sentiment qui enseigne aux premiers ce qui leur est utile? Cela vient-il de la constitution de leur corps, qui cause, dans les animaux malades dont les humeurs sont altérées, des appétits extraordinaires, des aigreurs, des fadeurs ou d'autres sensations étranges, comme il arrive même aux femmes grosses, qu'on voit manger quelquefois des pierres et de la terre? Aussi les médecins habiles connaissent-ils, par les appétits et les goûts de leurs malades, si leur état est sans ressource ou s'ils guériront de leur maladie. Le médecin Mnésithée 1 raconte qu'un pulmonique qui, au commencement de sa malaladie, eut envie de manger des oignons, fut guéri, et qu'un autre, qui avait demandé des figues, mourut : c'est que les appétits et les goûts suivent les dispositions du corps, et que les dispositions sont analogues à la nature des maladies. Il est donc vraisemblable que les animaux dont les maladies ne sont pas décidément mortelles, se trouvent dans des dispositions qui produisent en eux des appétits par lesquels ils sont poussés vers les remèdes qui leur sont propres.

XXVII

Pourquoi le vin nouveau se conserve-t-il longtemps doux quand le vaisseau qui le contient est exposé à un air froid?

Est-ce que le changement de la saveur douce en li

1 Mnésithée était un médecin d'Athènes cité avec beaucoup d'éloges par Galien et Pausanias.

queur vineuse, étant une sorte de coction produite par la chaleur, le froid empêche que ce changement ne s'opère? Ou, au contraire, la saveur douce n'est-elle pas naturelle au raisin? et n'est-ce pas ce qui fait dire qu'il mûrit lorsqu'il devient doux? Or, le friod, qui concentre la chaleur du vin nouveau et l'empêche de s'évaporer, lui conserve longtemps sa douceur. C'est ce qui fait que lorsqu'on vendange par la pluie, le vin nouveau ne fermente pas si bien, parcequ'il ne peut bouillir que par l'action de la chaleur, et que le froid la comprime et l'empêche d'agir.

XXVIII.

Pourquoi, de tous les animaux sauvages qu'on prend dans des filets, l'ours est-il celui qui les déchire le moins, au lieu que les loups et les renards ont coutume de les rompre avec les dents?

Est-ce que les dents de l'ours étant placées bien avant dans sa gueule, il ne peut saisir les cordes des filets, parceque ses lèvres, qui sont larges et épaisses, se mettent entre deux? Est-ce qu'ayant plus de force dans ses pattes de devant, il s'en sert pour arracher les toiles? Ou bien use-t-il à la fois des pattes et des dents, des premières pour défaire les filets, et des secondes pour se défendre contre les chasseurs. Mais rien ne lui sert davantage que de se rouler, car au lieu d'avoir besoin de ses dents pour déchirer les toiles, souvent il passe par-dessous et s'échappe.

XXIX.

Pourquoi sommes-nous plus étonnés de voir des sources d'eau chaude que des sources d'eau froide, quoique la chaleur soit la cause des premières, et le froid celle des autres? Il ne faut pas croire, avec quelques physiciens, que la chaleur étant une qualité réelle, le froid ne soit qu'une

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