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de l'hiver et retarde la marche des navires, ou est-ce l'eau des rivières qui éprouve cette condensation plutôt que l'air? Le froid, en la resserrant, la rend plus épaisse et plus pesante, comme on peut l'observer dans les clepsydres, où elle coule plus lentement l'hiver que l'été. Théophraste raconte qu'il y a près du mont Pangée1, dans la Thrace, une fontaine dont le même volume d'eau pèse deux fois plus en hiver qu'en été. Ce qui prouve que cet épaississement de l'eau rend la navigation plus lente, c'est que les bateaux portent de plus grandes charges l'hiver que l'été, parceque l'eau, devenue plus épaisse et plus pesante, est capable de résister à une plus forte pression. Pour l'eau de la mer, sa chaleur l'empêche d'être condensée par le froid, et même de geler pendant l'hiver; car la condensation est une sorte de refroidissement.

VIII.

Pourquoi les eaux douces se refroidissent-elles quand on les remue, et que la mer s'échauffe lorsqu'elle est agitée?

Est-ce parceque la chaleur étant étrangère et acciden– telle aux eaux douces, le mouvement l'en fait sortir et la dissipe; au lieu que la chaleur étant naturelle à l'eau de la mer, les vents ne font que l'exciter et l'augmenter davantage? Une preuve de sa chaleur, c'est sa transparence et la propriété qu'elle a de ne point geler, quoiqu'elle soit terreuse et pesante.

IX.

Pourquoi l'eau de la mer est-elle, pendant l'hiver, moins amère au goût?

Denys, celui qui a écrit sur la manière de conduire les

1 Le mont Pangée est situé le long du fleuve Nestus, dans le voisinage de l'ancienne Macédoine. Il avait d'abord porté le nom de mont Cara

manius

eaux, prétend, dit-on, que la mer n'est pas si complétement amère qu'elle soit privée de toute douceur, attendu qu'elle reçoit dans son sein un grand nombre de fleuves considérables. Le soleil pompe la portion d'eau douce que sa légèreté tient à la surface de la mer; et comme cette évaporation est plus abondante en été, au lieu que l'hiver, la chaleur du soleil étant plus faible, il agit moins sur les eaux, il reste dans la mer une plus grande quantité d'eau douce qui tempère son amertume et son dégoût. Les eaux douces elles-mêmes sont, jusqu'à un certain point, sujettes à cette vicissitude. L'été, elles n'ont pas aussi bon goût qu'en hiver, parce que la chaleur résout en vapeurs les parties les plus légères et les plus douces. Pendant l'hiver, la douceur des eaux se renouvelle sans cesse, et la mer doit nécessairement s'en ressentir à cause de son agitation et des rivières qui s'y déchargent.

X.

Pourquoi mêle-t-on de l'eau de mer dans le vin?

On raconte que des pêcheurs reçurent ordre d'un oracle de plonger Bacchus dans la mer; et ceux qui sont loin de la mer mettent dans le vin du plâtre de Zacynthe1, cuit au four.

Est-ce que la chaleur de l'eau de mer sert de préservatif contre le froid, ou plutôt, n'est-ce pas pour l'affaiblir et lui ôter sa rudesse? Ou, comme le vin est sujet à se tourner en eau et à s'éventer, les substances terreuses qu'on y met préviennent-elles cette altération par leur vertu astringente? Quant à l'eau de la mer, le sel qu'elle

1 Zacynthe, aujourd'hui Zante, avait fait partie des États d'Ulysse ; c'est une des îles les plus agréables de la mer de Grèce, au couchant de la Morée; elle est très fertile, et surtout en raisins de Corinthe. Il y a un lac d'où, suivant Hérodote, liv. IV, ch. 495, on tirait de la poix. Il en fournit encore beaucoup, et elle est très bonne à calfeutrer les vaisseaux.

contient subtilise et dissout les substances hétérogènes qui se trouvent dans le vin, et empêche qu'il ne contracte une odeur désagréable ou un goût fade. D'ailleurs, les parties terreuses et grossières du vin s'attachant à ces corps étrangers et pesants qu'on y mêle, la lie se précipite au fond du tonneau, et le vin se clarifie.

XI.

Pourquoi ceux qui voyagent sur mer, même par un temps calme, éprouvent-ils plus de nausées que ceux qui naviguent sur des rivières?

Est-ce qu'entre nos sensations et nos passions diverses, il n'en est point qui soulèvent plus fortement le cœur que les odeurs et la peur? Dès qu'un homme est vivement affecté par la crainte du péril, il tremble, il frissonne, et son estomac en est dérangé. Ceux qui naviguent sur des fleuves n'éprouvent aucun de ces accidents; leur odorat est accoutumé à l'eau douce des rivières, et la navigation est sans danger. Sur mer, ils respirent une odeur désagréable et à laquelle ils ne sont point faits. Ils craignent la tempête dans le beau temps, dont la jouissance présente ne les rassure pas sur l'avenir. Ainsi le calme extérieur ne leur sert de rien pour leur tranquillité personnelle, et la peur qui tourmente leur ame remplit leur corps d'agitation et de trouble.

XII.

Pourquoi l'huile qu'on répand sur la mer la rend-elle calme et transparente?

Est-ce, comme le dit Aristote, parceque le vent qui glisse sur la surface unie de l'huile n'a plus d'action sur les flots et ne peut y exciter aucun mouvement? Cette raison a assez de vraisemblance pour la surface de la mer;

nais on dit que les plongeurs qui prennent de l'huile dans leur bouche, et l'en font sortir en soufflant quand ils sont au fond de la mer, voient clair au travers de l'eau; or, on ne saurait rapporter cet effet à la cause précédente. Cela viendrait-il donc de ce que l'huile, qui est un liquide très doux, divise et unit l'eau de la mer, naturellement chargée de substances terreuses et d'une surface inégale? Mais lors même que l'eau se rapproche et se resserre, elle laisse toujours de petites ouvertures qui donnent passage à la vue, et lui font apercevoir les objets de la mer. Serait-ce que l'air qui se trouve mêlé avec l'eau de la mer est lumineux et transparent à cause de sa chaleur naturelle, et qu'il ne devient inégal et ténébreux que quand on l'agite? Lors donc que l'huile vient par sa densité à aplanir l'inégalité de l'air, alors il devient uni et transparent 1.

XIII.

Pourquoi les filets des pécheurs pourrissent-ils plutôt en hiver qu'en été, tandis qu'il arrive tout le contraire aux autres substances?

Est-ce, comme le pense Théophraste, parceque le chaud cédant à l'action du froid qui le presse et le resserre de tous côtés, le fond de la mer en devient plus chaud; ce qui arrive aussi dans l'intérieur de la terre? C'est ce qui fait que les eaux des fontaines sont plus tièdes en hiver, et qu'on voit les lacs et les rivières fumer

1 Cette propriété de l'huile, de calmer les vagues de la mer, rapportée par Aristote, Pline et Plutarque avait été mise par nos modernes au rang des fables absurdes dont la physique des anciens nous offre plus d'un exemple. Elle a été cependant attestée par les témoignages les plus graves et les plus nombreux. On en trouve les preuves dans une lettre écrite à la Société royale de Londres, par le célèbre Franklin, et précédée d'une autre lettre sur le même sujet, à un ami de ce grand physicien. Elles con tiennent un grand nombre de faits qui ne permettent guère, ce semble, de révoquer en doute cette propriété.

T. IV.

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davantage dans cette saison, parceque la chaleur est concentrée au fond de leur lit par le froid qui le surmonte? Ou bien est-il vrai que les filets ne pourrissent réellement pas; mais qu'après avoir été gelés et roidis par le froid, ils sont facilement rompus par les vagues, comme s'ils étaient pourris? La gelée les travaille et les fatigue, comme les arcs trop tendus se brisent, d'autant que dans l'hiver la mer est plus souvent agitée. Voilà pourquoi les pêcheurs donnent à leurs filets une teinture qui, rendant le tissu plus serré, empêche qu'ils ne se relâchent et ne se rompent trop facilement; car s'ils n'étaient pas teints, ils tromperaient mieux les poissons, parceque la couleur naturelle du lin, qui approche de celle de l'air, est peu sensible dans l'eau.

XIV.

Pourquoi les Doriens font-ils une mauvaise récolte en foin?

Est-ce parcequ'il ne faut pas serrer le foin quand il est humide? On le fauche qu'il est encore vert, et il pourrit promptement s'il reçoit la pluie. Au contraire, si le froment est mouillé avant la moisson, la pluie lui sert de préservatif contre la chaleur des vents du midi, qui empêchent que le grain ne se resserre dans l'épi, et le font s'ouvrir et se relâcher, à moins que la terre, arrosée par la pluie, ne l'humecte et ne la rafraîchisse.

XV.

Pourquoi le froment vient-il mieux dans une terre grasse et forte, et l'orge dans un terrain sec et sablonneux?

Est-ce parceque les grains d'une substance plus solide ont besoin de plus de nourriture, et que les plus faibles en demandent une moins abondante et plus légère? Or, l'orge est plus faible et moins compacte que le froment;

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