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velle, au lieu que celle des étangs est ancienne et croupie? Ou cette raison a-t-elle plus de vraisemblance que de vérité? Car les eaux des fontaines et des rivières sont toujours fraîches et nouvelles, puisque, suivant Héraclite, on ne descend pas deux fois dans le même fleuve, parceque ses eaux se renouvellent sans cesse. Cependant elles sont moins favorables à la végétation que les eaux de pluie. En effet, les eaux du ciel sont légères, et mêlées d'un air vif et subtil, dont les molécules fines et déliées pénètrent aisément jusqu'aux racines de la plante, et montent dans sa tige. C'est de ce mélange d'air que viennent les bulles d'eau que la pluie forme en tombant sur la terre.

Ou bien l'eau pluviale est-elle plus nourrissante parcequ'elle est plus facilement élaborée par les substances dont elle est l'aliment? car c'est là ce qui en fait la coction. Au contraire, quand un aliment a trop de substance pour être facilement élaboré, il ne se digère pas. Ainsi les aliments simples, légers, et qui n'ont pas beaucoup de suc, se décomposent aisément. Et telle est l'eau de pluie: formée dans la région de l'air et du vent, elle tombe pure et sans mélange. Mais l'eau des fontaines, modifiée par les divers sols qu'elle traverse, y contracte plusieurs qualités qui la rendent plus difficile à élaborer et plus lente à se convertir, par sa coction, dans la substance des corps qu'elle fait végéter. Au contraire, les eaux de pluie se décomposent plus promptement, et ce qui le prouve, c'est qu'elles ont plus de facilité à se corrompre que les eaux des puits et des rivières. Or, la coction est une sorte de corruption, suivant Empedocle, qui dit:

Sous l'écorce du bois l'humidité s'altère,

Et nous produit du vin la liqueur salutaire.

Ou enfin la raison la plus simple et la plus naturelle, n'est-ce pas que l'eau de la pluie, tombant du milieu des airs, où elle est battue par les vents, est plus douce et

plus saine? Aussi les troupeaux la préfèrent-ils à toutes les autres; et quand les grenouilles sentent venir la pluie, l'attente d'une eau qui adoucira celle de leurs marais et en fera comme un assaisonnement agréable leur fait pousser des cris de joie. Aratus regarde ces cris comme un des signes de la pluie :

Aussitôt des serpents la misérable proie

Remplissent leur marais de cris perçants de joie.

III.

Pourquoi les bergers donnent-ils du sel à leurs troupeaux?

Est-ce, comme bien des gens le croient, afin qu'ils mangent davantage et qu'ils deviennent plus gras? L'acide du sel provoque leur appétit, et, en ouvrant les pores de leur peau, il facilite la digestion. Voilà pourquoi le médecin Apollonius, fils d'Hérophile, voulait qu'on nourrît les gens maigres et secs, non d'aliments doux et de pain de froment, mais de viandes salées, dont les parties aiguës causent une espèce de frottement qui distribue la nourriture dans toutes les parties du corps.

Est-ce pour entretenir la santé de leurs troupeaux en prévenant un excès d'embonpoint, qu'ils les accoutument à lécher du sel? Il est certain qu'ils tombent malades quand ils sont trop gras, et le sel fond et dissipe leur graisse. Il fait aussi qu'après qu'ils ont été égorgés, on les écorche plus facilement, parceque l'acide du sel a rendu plus déliée et plus flexible la graisse qui leur collait la peau à la chair. D'ailleurs, l'usage du sel donne au sang plus de fluidité, et empêche les humeurs de s'épaissir. Un autre avantage de cet aliment, c'est qu'il rend les animaux plus ardents et plus propres à se reproduire. Les chiennes qui mangent des viandes salées conçoivent plutôt que les autres; et, dans les vaisseaux chargés de sel,

on voit plus de souris que dans les autres navires, parceque ces animaux s'y accouplent plus souvent1.

IV.

Pourquoi les eaux de pluie, qui tombent avec des tonnerres et des éclairs, et que, pour cette raison, on appelle fulgurales, sont-elles plus propres à arroser que les autres ?

Est-ce parcequ'elles contiennent plus d'esprits à cause de l'agitation de l'air, et que le mouvement qu'il donne à l'eau fait qu'elle se distribue mieux dans les plantes? Est-ce que les tonnerres et les éclairs étant produits par le combat du chaud et du froid dans l'atmosphère (ce qui fait que le tonnerre est rare en hiver et fréquent au printemps et en automne à cause de la température inégale de ces deux saisons), la chaleur, en donnant à l'eau une plus grande coction, la rend plus convenable et plus salutaire aux plantes? Est-ce parceque les tonnerres et les éclairs sont plus fréquents au printemps par la raison que nous venons de dire, et que les pluies de cette saison sont nécessaires aux semences avant l'été ? Aussi les pays où le printemps est pluvieux, comme en Sicile, sont-ils abondants en bons fruits.

V.

Pourquoi, des huit saveurs que nous connaissons, la saveur salée est-elle la seule qui ne se trouve en aucun fruit?

Le fruit de l'olivier est amer dans le principe, et celui de la vigne est acide; mais en mûrissant, l'amertume de

1 C'est une vérité généralement reconnue que cette influence du sel sur la santé des troupeaux, sur leur fécondité, sur la beauté et la finesse de leurs laines. Il est d'expérience que, dans les pays où le sel est assez commun pour qu'ils puissent en faire un usage ordinaire, ils sont rarement sujets à des maladies contagieuses. Que de motifs pour faciliter partout cet usage! et c'est précisément ce qu'on ne fait pas.

l'olive se change en une liqueur grasse et onctueuse, et l'acidité du raisin en saveur vineuse. L'âpreté des dattes et l'aigreur des grenades se convertissent en un suc doux. Quelques espèces de grenades et de pommes sont simplement acides, et l'âcreté est commune à un grand nombre de graines et de racines.

Est-ce que la saveur salée n'est point naturelle aux fruits, et qu'elle ne s'y forme qu'après que leurs saveurs primitives ont été altérées? Aussi ne peut-elle servir de nourriture aux animaux qui vivent d'herbes et de grain; elle est seulement pour quelques-uns l'assaisonnement de leur nourriture, et prévient en eux le dégoût et la satiété. Est-ce que, comme en faisant bouillir de l'eau de mer, on lui ôte son sel et son âcreté, de même, dans les substances naturellement chaudes, la saveur salée est émoussée par la chaleur?

Ou bien la saveur des plantes n'est-elle, comme le veut Platon, qu'une eau filtrée à travers leur tige? Or, l'eau de la mer, quand elle a été filtrée, a déposé son sel, qui est formé de ses parties les plus grossières et les plus terreuses. Aussi, quand on creuse auprès de ses bords, y trouve-t-on des dépôts d'eau douce. On puise même au milieu de la mer de l'eau douce dans des vases de cire au travers desquels elle filtre et se dégage de ce qu'elle contient de parties terreuses et salées. D'ailleurs, l'eau de la mer, en filtrant à travers l'argile, devient potable, parceque cette matière ne laisse point d'issue aux parties grossières et terreuses que l'eau contient. D'après cela, il est vraisemblable que les plantes ne reçoivent pas du dehors la saveur salée, ou que, si elle se produit dans leur tige, elles ne la communiquent point aux fruits. La ténuité de leurs pores fait que les parties grossières et terreuses qui constituent ce sel ne peuvent pas s'y insinuer.

Faut-il enfin regarder la saveur salée comme faisant

partie de la saveur amère? Homère semble le faire entendre, lorsqu'il dit d'Ulysse :

Sa bouche vomissait des flots d'une onde amère.

Platon prétend que ces deux saveurs ont la propriété de sécher et de déterger, mais la saveur salée moins que l'amère, parcequ'elle n'a pas autant d'âpreté. Le salé diffère de l'amer en ce qu'il a moins de sécheresse, quoique cependant il soit dessiccatif.

VI.

Pourquoi, quand on marche fréquemment entre des arbres couverts de rosée, les parties du corps qui y touchent deviennent-elles galeuses?

Est-ce, comme le dit Létus, parceque les parties déliées et subtiles qui composent la rosée râclent et éraillent la peau, ou bien, comme les graines mouillées sont sujettes à se moisir, arrive-t-il aussi que les parties les plus tendres et les plus colorées de la peau étant ramollies et gercées par la rosée, il s'y forme une efflorescence nuisible qui s'attache aux parties du corps les moins sanguines, comme les jambes et les pieds, et en écorche la superficie? On ne peut douter que la rosée n'ait une vertu mordicante, puisqu'elle fait maigrir les gens gras, et que les femmes chargées d'embonpoint recueillent de la rosée dans du linge ou dans de la laine, et s'en frottent le corps afin de se faire maigrir.

VII.

Pourquoi les navires vont-ils plus lentement l'hiver sur les rivières, et qu'il n'en est pas de même sur la mer?

Est-ce parceque l'air des rivières, toujours pesant et difficile à mouvoir, est encore plus condensé par le froid

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