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CHAPITRE V.

S'il n'y a qu'un monde.

Les stoïciens prétendent que le monde est unique, qu'il est la même chose que l'univers 1, et qu'il est corporel.

Empédocle dit que le monde est unique, que cependant il n'est pas la même chose que l'univers, qu'il en est seulement une petite portion, et que le reste est une matière inerte et sans forme.

Suivant Platon, il n'y a qu'un monde et un univers, et il se fonde sur trois conjectures: la première, qu'il ne serait pas parfait s'il ne comprenait tous les êtres; la seconde, qu'il ne serait pas semblable à son modèle s'il n'était pas sa production unique 2; la troisième, qu'il ne serait pas incorruptible s'il existait quelque chose hors de lui. Mais il faut dire à Platon que le monde n'est point parfait, car il ne renferme pas tout ce qui existe; et comment serait-il parfait, si quelque chose peut se mouvoir hors de lui? L'homme est parfait, et cependant il ne contient pas tout. Il peut y avoir plusieurs images du même modèle, comme on le voit par les statues, les peintures et les maisons. Le monde n'est pas incorruptible, et il ne peut l'être, puisqu'il a été produit.

Métrodore dit qu'il est aussi absurde de supposer un seul monde dans un espace infini, que de vouloir qu'il n'y ait qu'un seul épi dans un vaste champ; que la preuve qu'il existe des mondes à l'infini, c'est qu'il y a une infinité de causes. Et si le monde était fini, comment les causes communes qui l'ont produit seraient elles infinies? Il faut donc que les mondes soient infinis en nombre. Dès que les

1 Les stoïciens mettaient de la différence entre l'univers et le monde : suivant eux, l'univers comprenait tout l'espace vide et plein, au lieu que le monde était l'espace plein autour duquel était l'espace vide.

2 Platon supposait que le monde avait été formé d'après les idées exemplaires que Dieu avait éternellement en lui-même.

causes existent, les effets doivent exister aussi 1. Or ces causes sont les atomes ou les éléments.

CHAPITRE VI.

D'où les hommes ont tiré la connaissance de Dieu.

Les stoïciens définissent Dieu un esprit intelligent et igné, qui n'a point de forme propre, mais qui prend toutes celles qu'il veut et s'assimile à toutes. Ils ont puisé cette notion de Dieu dans la beauté du monde visible; car rien de ce qui est beau n'est produit par le hasard, mais par une cause efficiente et intelligente. Or le monde est beau, et c'est ce que prouvent évidemment sa figure, sa couleur, sa grandeur, et la variété des astres qui l'environnent. Il est de figure sphérique, et c'est la plus belle de toutes, la seule qui soit semblable à toutes ses parties. Ainsi le monde est rond, et ses parties le sont aussi. C'est pourquoi, suivant Platon, l'esprit de l'homme, qui en est la portion la plus auguste, a son siége dans la tête, qui est de forme ronde. La couleur du monde est belle aussi. Le ciel est teint d'un azur qui, plus sombre que le pourpre, a cependant assez d'éclat pour que la vivacité de sa couleur pénètre l'air et le fasse apercevoir à une si grande distance. Le monde est encore beau par sa grandeur : car dans tous les corps de même genre, l'extérieur, qui contient et enferme le reste, a toujours de la beauté, comme on le voit dans l'homme et dans l'arbre. Enfin tout ce qui est visible à nos yeux achève la beauté du monde. Le cercle oblique du zodiaque est distingué dans le ciel par des images diverses.

On y voit le Cancer, la Vierge et le Lion,
L'Archer et la Balance, avec le Scorpion,

Le Chevreau, les Poissons, le Verseau, qui féconde

1 Epicure se servait de cet argument pour prouver la pluralité des mondes.

La terre en lui portant les bienfaits de son onde;
Le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, que nos yeux

A vec étonnement regardent dans les cieux.

Dieu a fait une foule innombrable d'autres constellations qui sont dans de semblables convexités du monde; ce qui a fait dire à Euripide:

Ces globes dont l'éclat pare le firmament
Annoncent aux mortels un être intelligent.

Ce qui nous conduit encore à la connaissance de Dieu, c'est que le soleil, la lune et les autres astres, qui, dans leur révolution, passent sous la terre, conservent toujours leur couleur et leur grandeur, et reparaissent dans les mêmes temps et dans les mêmes lieux.

Aussi, ceux qui nous ont enseigné le culte des dieux nous l'ont-ils présenté sous trois formes différentes : l'une physique, l'autre fabuleuse, et la troisième appuyée sur le témoignage des lois. La première nous est donnée par les philosophes, la seconde par les poëtes, et la troisième, qui n'est autre chose que les lois religieuses mêmes, a été établie par chaque république. Toute la doctrine qui regarde les dieux se divise en sept espèces. La première est celle qui se tire des météores et des phénomènes naturels. Les hommes commencèrent à se former une idée de la Divinité lorsqu'ils virent l'harmonie admirable qui résultait de la révolution des astres, la vicissitude régulière des jours et des nuits, des hivers et des étés, du lever et du coucher des constellations, et ensuite la production des animaux et des fruits terrestres. Ils regardèrent le ciel et la terre comme le père et la mère des êtres : le ciel, parceque les eaux qu'il verse de son sein sont un principe de fertilité; la terre, parcequ'elle est fécondée par ces eaux célestes. Quand ils eurent vu que les astres étaient toujours en mouvement, que c'était au soleil et à la lune qu'on devait la vue distincte des objets,

ils donnèrent à tous les astres le nom de dieux. Par la seconde et la troisième espèce de doctrine religieuse, on divisa les dieux en divinités bienfaisantes et en divinités nuisibles. On mit dans la première classe Jupiter, Junon, Mercure et Cérès; dans la seconde, les peines, les Furies et le dieu Mars, dont on apaise par des sacrifices la violence et la cruauté. La quatrième et la cinquième espèce de doctrine eurent pour objet les actions et les affections; ils désignèrent les dernières sous les noms de l'Amour, de Vénus et de Cupidon; et les actions sous ceux de l'espérance, de la justice et de l'équité. La sixième espèce renferma les fictions des poëtes. Car Hésiode, voulant donner des pères aux dieux qui avaient été engendrés, il imagina ceux-ci :

Céus et Créius, Japet, Hypérion.

:

Voilà pourquoi on donne à cette espèce de doctrine le nom de fabuleuse. La septième et la dernière fut celle des mortels qui, par leurs bienfaits envers la société, méritèrent les honneurs divins de ce nombre furent Hercule, les Dioscures et Bacchus. Ils donnèrent à ces dieux la forme humaine, parceque si d'un côté la Divinité est ce qu'il y a de plus excellent, de l'autre l'homme, considéré dans son ame, est supérieur à tous les autres animaux par l'éclat des vertus qui en font l'ornement. Ils ont donc pensé que la forme la plus belle devait être le partage des êtres qui surpassent tous les autres par leur mérite.

3.4

CHAPITRE VII.

Qu'est-ce que Dieu ?

Quelques philosophes, tels que Diagoras de Mélos, Théodore de Cyrène, et Evhémère de Tégée, ont soutenu ouvertement qu'il n'y avait point de dieux. Callima

que le Cyrénéen désigne dans les vers suivants le dernier de ces philosophes :

Venez, accourez tous aux portes de la ville,
Approchez-vous du temple où ce vieillard débile,

Qui fit de Jupiter un simple bloc d'airain,

De ses sombres écrits distille le venin.

Il fait allusion aux ouvrages qu'Evhémère composa pour prouver qu'il n'y avait point de dieux. La crainte de l'Aréopage a empêché le poëte Euripide de s'expliquer librement à ce sujet. Mais il fait entendre ce qu'il en pense quand il prête son opinion à Sisyphe, qui l'expose en ces

termes :

Jadis l'homme sauvage habitait dans les bois,
Au désordre livré, méconnaissant les lois,

Et n'ayant d'autre frein que la force et l'audace.

Il ajoute que l'établissement des lois réprima l'injustice; mais, comme la loi ne pouvait arrêter que les crimes manifestes, et qu'il s'en commettait beaucoup de secrets, un homme habile et prudent imagina de substituer à la vé– rité un mensonge officieux, en persuadant aux hommes

Que d'un être éternel la suprême puissance
Entend tout et voit tout; que sa vaste science
Par les plus sages lois dirige l'univers;

D'autres traitent de rêves poétiques ces vers de Callimaque :

Connaissez-vous de Dieu la nature et l'essence?

Il n'est rien d'impossible à sa toute-puissance.

Dieu, disent-ils, ne peut pas tout faire, ou s'il le peut comme Dieu, qu'il fasse donc que la neige soit noire, que le feu soit froid, qu'un homme assis soit debout, ou qu'un homme debout soit assis. Car Platon, qui emploie ordinairement des expressions pompeuses, en disant que Dieu a

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