Page images
PDF
EPUB

cher. «Mon ami, lui dit le philosophe, plus tu te caches dans ce cabaret, et plus tu t'y enfonces. » Il disait, en plaisantant sur lui-même, qu'il était Scythe dans ses discours et bourgeois d'Athènes dans les combats. Il reçut de l'argent d'Ephialte, orateur athénien, qui, ayant été en ambassade auprès du roi de Perse, en rapporta secrètement des sommes considérables qu'il distribua aux orateurs d'Athènes, afin de les engager à faire déclarer la guerre à Philippe. On dit que Démosthènes eut pour sa part trois mille dariques. Il fit arrêter un certain Anaxilas d'Orée, qui avait été autrefois son hôte, et qu'il soupçonnait d'être espion. Appliqué à la torture, il n'avoua rien ; mais Démosthènes n'en demanda pas moins qu'il fût livré aux Onze.

XVI. Un jour, voyant que les Athéniens n'étaient pas disposés à l'écouter, il leur représenta qu'il n'avait que deux mots à leur dire. Le peuple ayant fait silence, il commença ainsi : « Un jour d'été, un jeune homme loua un âne pour aller d'Athènes à Mégare; sur le midi, le maître de l'âne et le jeune Athénien, brûlés par l'ardeur du soleil, voulurent tous deux se mettre à l'ombre sous l'âne, et se disputaient la place, le maître, en disant qu'il n'avait loué que son âne, et non pas son ombre; et le jeune homme, en soutenant qu'il avait loué l'âne avec toutes ses dépendances. » Là, Démosthènes fit mine de vouloir descendre de la tribune. Les Athéniens le rappelèrent et le prièrent d'achever. « Eh quoi! leur dit-il alors, vous voulez bien m'écouter quand je vous fais un conte sur l'ombre d'un âne, et lorsqu'il s'agit de vos plus grands intérêts, vous refusez de m'entendre? » Le comédien Polus se vantait d'avoir gagné un talent pour deux jours qu'il avait joué. « Et moi, lui dit Démosthènes, j'en ai gagné cinq pour avoir gardé le silence un seul jour 1.»

1 Aulu-Gelle, liv. XI, chap. 1x, rapporte que les habitants de Milet ayant

Une fois, en parlant devant le peuple, la voix lui manqua et il fut sifflé. Il dit qu'il fallait juger les comédiens sur leur voix, et les orateurs sur leurs pensées. Epiclès lui ayant reproché le soin avec lequel il préparait ses discours : « J'aurais honte, lui dit Démosthènes, de venir donner des conseils à un si grand peuple sans avoir prévu ce que je dois lui dire. » On disait de lui qu'il n'éteignait jamais sa lampe 1; et il retoucha ses discours jusqu'à l'âge de cinquante ans. Il dit lui-même qu'il ne buvait jamais que de l'eau. L'orateur Lysias l'avait vu lorsqu'il était encore dans sa première jeunesse, et Isocrate, avec quelques philosophes de l'école de Socrate, le virent à la tête des affaires jusqu'à l'époque de la bataille de Chéronée. Il prononça la plupart de ses discours sans préparation, parcequ'il avait une grande facilité à parler sur-le-champ*. Aristonicus l'Anagyrasien, fils de Nicophanès, fut le premier qui proposa de lui décerner une couronne d'or; et Diondas y forma opposition en demandant d'être reçu à serment.

fait demander du secours aux Athéniens, Démosthènes s'opposa d'abord fortement à ce qu'on leur en accordât. Mais les députés l'étant allé trouver pour le prier de ne pas leur être contraire, il exigea d'eux une somme d'argent, qu'ils lui donnèrent. Le lendemain, l'affaire ayant été remise en délibération, Démosthènes parut dans l'assemblée le cou enveloppé de laine, et dit qu'il ne pouvait pas parler, parcequ'il avait une esquinancic. Un plaisant s'écria que c'était une argyrancie.

1 C'est-à-dire qu'il travaillait jour et nuit

2 Ceci n'est pas contraire à ce que Démosthènes vient de dire du soin avec lequel il se préparait avant que de parler en public. Il avait assez de facilité pour le faire sans préparation, et il le faisait dans les causes judiciaires ou dans les objets peu importants; mais dans les affaires qui étaient d'un grand intérêt, il aurait cru, en parlant sans s'ètre préparé, se manquer à lui-même et au public.

[blocks in formation]

III. Il est accusé pour un

1. Son origine, ses maîtres et ses premières actions.
de Démosthènes, il se rend son accusateur.
décret qu'il avait fait rendre.

IV. Sa mort.

dont on la raconte. VI. Son éloquence.

[ocr errors]

V. Diverses manières

VII. Sa passion pour les femmes. VIII. Ses mémoires contre Démosthènes. IX. Traits de son patriotisme. - X. Caractères et effets de son éloquence.

I. Hypéridès, fils de Glaucippe, et petit-fils de Denys, du bourg de Colytte, eut un fils nommé Glaucippe comme son aïeul, qui fut rhéteur, et composa des discours oratoires; son fils s'appelait Alphinus. Hypéridès fut disciple de Platon le philosophe, et des orateurs Lycurgue et Isocrate. Il avait part au gouvernement d'Athènes dans le temps qu'Alexandre s'occupait des affaires de la Grèce, et il s'opposa à ce qu'on lui fournît des généraux et des galères 2. Il conseilla aux Athéniens de ne pas congédier les troupes étrangères qu'ils entretenaient à Ténare, et que Charès commandait; ce général était fort son ami. Dans les commencements, Hypéridès plaida pour avoir de quoi subsister. Il fut soupçonné d'avoir eu part à la distribution de l'argent qu'Ephialte avait apporté de Perse; ce qui ne l'empêcha pas d'être nommé triérarque, pour aller au secours de Byzance, que Philippe assiégeait. Il fut chargé cette même année de présider aux

1 C'était le bourg de l'Attique le plus agréable et dont les Athéniens préféraient le séjour.

2 Alexandre, peu de temps après son avénement au trône, porta la guerre en Illyrie. Le bruit ayant couru qu'il y avait péri, les Athéniens pensèrent à secouer le joug de la Macédoine, et les Thébains massacrèrent les commandants de la garnison macédonienne, violence qui fut punie par la ruine de leur ville. Alors les Athéniens ne songèrent qu'à fléchir Alexandre, qui demanda qu'on lui livrât Démosthènes, Lycurgue, Hypéridès et cinq autres orateurs qu'il accusait d'avoir excité la sédition dans Athenes. Un décret sévère rendu contre ces orateurs apaisa ce prince, et l'affaire n'eut pas de suites. Tous les États de la Grèce, excepté celui de Sparte, fournirent à Alexandre leur contingent de troupes pour son expédition d'Asie.

jeux publics, tandis que les autres triérarque avaient été privés de tout emploi.

II. Il proposa qu'on décernât des honneurs publics à Démosthènes. Diondas accusa le décret comme contraire aux lois; mais Hypéridès fut absous. Il avait été d'abord l'ami de Démosthènes, de Lysiclès et de Lycurgue. Dans la suite il changea de disposition, et après la mort des deux derniers, Démosthènes ayant été soupçonné, d'avoir reçu de l'argent d'Harpalus, Hypéridès fut choisi entre tous les orateurs pour suivre l'affaire en justice, parcequ'il était le seul qui ne se fût pas laissé corrompre, et il

l'accusa.

III. Il fut ensuite accusé lui-même par Aristogiton d'avoir agi contre les lois, en proposant, après la bataille de Chéronée, d'accorder les droits de citoyen aux étrangers et aux esclaves, et d'envoyer dans le Pirée les femmes, les enfants, et tout ce qui servait au culte des dieux. Comme on lui reprochait de n'avoir pas vu que par ce seul décret il violait plusieurs lois : « Les armes des Macédoniens, dit-il, m'offusquaient la vue; et d'ailleurs ce n'est pas moi qui ai proposé le décret, c'est la bataille de Chéronée. » Cependant, après cette résolution prise par les Athéniens, Philippe, qui en craignit les suites, leur permit d'ensevelir les morts; ce qu'il avait d'abord refusé aux hérauts qu'on lui avait envoyés de Lébadie.

IV. Après la défaite de Cranon 1, Antipater demanda qu'on lui livrât Hypéridès, et le peuple se disposant à le faire, il s'enfuit à Egine avec les autres proscrits. Il y rencontra Démosthènes, et tâcha de justifier la conduite qu'il avait tenue envers lui. Comme il pensait à chercher une

1 Cranon était une ville de Thessalie où Antipater et Cratère défirent les Athéniens la troisième année de la cent quatorzième olympiade. Les Grecs y perdirent peu de monde, et le défaut de discipline fut la seule cause de cette défaite. Mais le judicieux Polybe observe qu'elle porta le dernier coup à la puissance et à la liberté d'Athènes. Antipater assiégea cette ville, la prit et lui dicta les lois qu'il voulut.

12

autre retraite, il fut arrêté par ordre d'Archias de Thurium, surnommé Phygadothère, qui, d'abord comédien de profession, était alors aux gages d'Antipater. Il le fit enlever de force du temple de Neptune, dont il embrassait la statue. Il fut conduit à Corinthe auprès d'Antipater, et appliqué à la question, pour tirer de lui les secrets de la république. Mais de peur de céder à la violence des tourments, il se déchira la langue, et expira ainsi le 9 du mois pyanepsion 1.

V. Hermippus raconte qu'il fut mené en Macédoine, qu'il s'y coupa la langue, et que son corps fut laissé sans sépulture; mais qu'Alphinus, son cousin, et, suivant d'autres, son petit-fils par Glaucippe, obtint, par le crédit du médecin Philopithès, la permission d'enlever son corps. Il le fit brûler, et malgré les défenses des Athéniens et des Macédoniens, il en rapporta les cendres à Athènes. Non-seulement il avait été banni par les premiers, lui et tous ses coaccusés, mais on avait défendu de les inhumer dans l'Attique. D'autres disent qu'il fut conduit à Cléones avec les autres bannis, qu'il s'y déchira la langue, et y mourut de la manière que je viens de dire; que ses parents ayant recueilli ses ossements, ils les déposérent dans le tombeau de sa famille, près de la porte aux Chevaux. C'est ce que raconte Héliodore dans son troisième livre des Monuments. Mais ce tombeau est entièrement détruit, et il n'en reste pas le moindre vestige.

VI. On prétend qu'aucun orateur n'avait autant de talent que lui pour parler dans les assemblées du peuple. Quelques uns même le mettent à cet égard au-dessus de Démosthènes. On a publié sous son nom soixante-dix-sept oraisons; mais il n'y en a que cinquante-deux qui soient vraiment de lui 2.

1 Il répondait à nos mois de septembre et d'octobre.

2 De ces cinquante-deux oraisons, il n'en existe qu'une seule imprimée parmi celles de Démosthènes. Elle roule sur la paix faite avec Alexandre.

« PreviousContinue »