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1. Son origine, ses maîtres et son goût pour l'éloquence. II. Son procès contre ses tuteurs. III. Ses efforts pour se former à l'art de la parole. IV. Ses premiers succès.-V. Chagrins qu'il éprouve.-VI. II se déclare contre Philippe. VII. Sa conduite généreuse envers Eschine. VIII. Ses dépenses pour des travaux publics lui font décerner des couronnes. IX. Son accusation et son exil. X. Son rappel. XI. Son opinion sur les affaires de la Grèce. XII. La crainte d'Antipater l'oblige de se retirer à Calaurie. XIII. Sa mort. XIV. Ses enfants; honneurs qui lui sont rendus. - XV. Ses oraisons et ses anecdotes. XVI. Ses bons mots.

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I. Démosthènes, fils de Démosthènes et de Cléobule, fille de Gylon, du bourg de Péanie, perdit son père à l'âge de sept ans sa sœur en avait cinq. Il passa auprès de sa mère les premiers temps de sa jeunesse. Il eut, selon quelques uns, Isocrate pour maître, et, suivant l'opinion la plus commune, l'orateur Isée de Chalcis, ancien disciple d'Isocrate, et qui s'était établi à Athènes. Démosthènes fut initié dans les sciences par Thucydide et Platon le philosophe, dont il fréquentait assidûment l'école 1. Hégésias de Magnésie raconte que Démosthènes ayant su que l'orateur Callistrate d'Aphidne, celui qui commanda un corps de cavalerie et dédia l'autel de Mercure éloquent, devait plaider devant le peuple une affaire importante, il conjura son instituteur de l'y mener, et le

1 Démosthènes goûtait singulièrement le style vif et serré de Thucydide. On prétend qu'il avait copié huit fois de sa main son histoire. Cicéron, dans son livre sur les Orateurs illustres, et Quintilien attestent aussi cette assiduité de Démosthènes à l'école de Platon. Le premier dit que c'était moins dans l'école des rhéteurs que sous les portiques de l'Académie, que Démosthènes avait puisé son éloquence; et il l'assure également de luimême.

2 Hégésias avait composé une histoire d'Alexandre qui, au jugement de Photius, n'était pas bien écrite. C'est de lui que Plutarque se moque avec raison dans la Vie d'Alexandre, pour avoir dit que Diane ne put aller au secours de son temple d'Ephèse, brûlé par Érostrate, parcequ'elle était retenue auprès d'Olympias, qui accouchait alors d'Alexandre. Il n'est pas plus sage lui-même lorsqu'il ajoute que cette pensée était si froide, qu'elle aurait suffi pour éteindre l'incendie.

plaisir qu'il eut à l'entendre lui inspira le plus grand goût pour l'éloquence. Il prit Callistrate pour son maître; mais il ne put pas profiter longtemps des leçons de cet orateur, qui, obligé de sortir d'Athènes, se retira dans la Thrace1. Démosthènes, qui entrait alors dans l'adolescence, s'attacha à Isocrate et à Platon; ensuite il prit chez lui Isée, qu'il garda pendant quatre ans, et dont il s'appliqua à imiter le style. Ctésibius, dans son traité sur la Philosophie, dit que Callias de Syracuse avait procuré à Démosthènes les discours de Zéthus d'Amphipolis, et Chariclès le Carystien, ceux d'Alcidamas, et qu'il les prit pour ses modèles.

II. Parvenu à sa majorité 2, et voyant que ses tuteurs avaient diminué son bien, il les cita devant les tribunaux, l'année que Timocratès était archonte, pour qu'ils eussent à rendre compte de leur tutelle. Ils étaient trois : Aphobus, Thérippidès et Démophon, nommé par d'autres Déméas. Il se plaignait surtout de ce dernier, parcequ'il était son oncle maternel. Ils furent condamnés à lui payer chacun dix talents 3; mais il ne les exigea point, et les tint même quittes de la reconnaissance. Aristophon ne pouvant plus, à cause de son grand âge, remplir les fonctions de surintendant du théâtre, Démosthènes fut choisi pour le remplacer. Insulté et frappé par Midias

1 Callistrate fut un des plus célèbres orateurs de son temps, et gouvernait, pour ainsi dire, à son gré le peuple d'Athènes. Démosthènes, à qui l'on demandait qui des deux, de Callistrate ou de lui, était meilleur orateur, répondit : « Je suis meilleur à lire, et lui à entendre. » Il commanda l'armée des Athéniens avec Iphicrate et Chabrias, dans la guerre sociale. Condamné à mort et obligé de s'exiler, il revint à Athènes sans l'agrément du peuple, qui le punit du dernier supplice.

2 La tutelle finissait à Athènes à l'âge de seize ans accomplis. Démosthènes intenta ce procès à ses tuteurs dès qu'il fut sorti de tutelle, suivant Plutarque dans sa Vie; il commençait donc alors sa dix-septième année. Timocratès était archonte la première année de la cent quatrième olympiade. Démosthènes était donc né la quatrième année de la quatre-vingtdix-neuvième olympiade.

3 Environ quarante-huit mille livres de notre monnaie.

T. IV.

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dans l'exercice de cet emploi, il le cita en justice; mais il se désista de cette accusation pour la somme de trois mille drachmes que Midias lui paya 1.

III. On dit que dans sa jeunesse il s'enfermait dans un souterrain, la tête à moitié rasée, afin de n'être pas même tenté de sortir, et de se livrer tout entier à l'étude. Il couchait sur un lit très étroit, pour pouvoir se lever plus matin. Il avait de la peine à prononcer la lettre R : il vint à bout de surmonter cette difficulté. En déclamant, il haussait désagréablement une épaule beaucoup plus que l'autre. Pour s'en corriger, il attacha au plancher un fer pointu ou une épée, et la crainte qu'il avait de se blesser réforma cette mauvaise habitude. Lorsqu'il eut fait des progrès dans l'éloquence, il déclamait devant un miroir qui était de toute sa grandeur, afin de corriger ce qu'il avait de vicieux dans ses gestes. Il allait souvent se promener sur le Pirée, et déclamait aux bords de la mer agitée, dont le bruit l'accoutumait à braver les clameurs des assemblées du peuple. Comme il avait une difficulté naturelle de respirer, il donna mille drachmes au comédien Néoptolème, qui parvint à lui faire prononcer de suite de longues périodes 2.

IV. Lorsqu'il commença de prendre part aux affaires publiques, il trouva la ville partagée en deux factions,

1 C'était à peu près deux mille quatre cents livres. C'est à cette occasion qu'Eschine disait que Démosthènes portait sur ses épaules, non une tète, mais une ferme. Plaisanterie qu'on a louée, mais qui me parait assez froide.

2 Photius nous apprend de quel moyen Neoptolème se servit pour lui rendre l'haleine moins courte; on jugera de sa valeur. Voyant que les conduits par où l'air extérieur entre et rafraîchit sans cesse le poumon étaient fort resserrés dans le jeune homme, il lui conseilla de tenir une olive dans sa bouche et de s'accoutumer à courir dans des lieux qui allassent en pente. Le fruit de cette olive amollie par la salive et serrée dans la bouche par la rapidité du mouvement, passait du palais dans le nez et sortait par les marines; en sorte que l'organe de la respiration et de la Voix se trouvait insensiblement elargi et plus propre aux fonctions de l'orateur.

dont l'une était pour Philippe et l'autre pour la liberté. Il embrassa le dernier parti, et, toute sa vie, il ne cessa de conseiller aux Athéniens de secourir les peuples que menaçait l'ambition de Philippe. Il suivit en cela l'exemple d'Hypéridès, de Nausiclès, de Polyeucte et de Domitius. Il fit entrer dans l'alliance d'Athènes les Thébains, les habitants de l'Eubée, de Corcyre et de Corinthe, les Béotiens et plusieurs autres peuples.

V. Sifflé un jour dans l'assemblée du peuple, comme il s'en retournait chez lui triste et découragé, il rencontra un vieillard de Thryase, appelé Eunomus, qui l'exhorta à ne pas se laisser abattre par ce revers. Il fut encore plus consolé par l'acteur Andronicus, qui lui dit que ses discours étaient excellents, et qu'on pouvait seulement y desirer quelque chose pour l'action. En même temps, il lui répéta plusieurs traits de sa harangue. Démosthènes, sentant ranimer sa confiance, prit des leçons d'Andronicus, et depuis, quand on lui demandait quelle était la première partie de l'art oratoire, il répondait : l'action; et la seconde, l'action; et la troisième, l'action. Il se présenta de nouveau à l'assemblée du peuple, et ayant employé quelques expressions peu usitées, il fut encore sifflé et tourné même en ridicule par les poëtes comiques Antiphane et Timoclès. Un jour, en haranguant le peuple, il jura par la terre, par les fontaines, les fleuves et les rivières. Ce serment excita de la rumeur dans l'assemblée. Une autre fois, en jurant par Esculape, il mit l'accent sur l'avant-dernière syllabe, et soutint que cette prononciation était exacte, parceque Esculape était un dieu doux et clément. Il en fut depuis souvent plaisanté. Mais les leçons d'Eubulide de Milet, le plus grand dialecticien de son temps, le corrigèrent de tous ses défauts'.

1 Eubulide de Milet fut surnommé le Dialecticien parcequ'il avait inventé plusieurs arguments captieux. Ce n'était pas pour corriger des défauls de prononciation que Démosthènes s'était adressé à ce philosophe,

VI. Un jour, à l'assemblée solennelle des jeux olympiques, il entendit Lamachus, en faisant l'éloge de Philippe et d'Alexandre, insulter aux Thébains et aux Olynthiens. Aussitôt il se lève, et récitant de mémoire plusieurs passages d'anciens poëtes qui célébraient les exploits de ces deux peuples, il oblige l'orateur de se taire et de sortir de l'assemblée. Philippe ayant lu les discours que Démosthènes avait prononcés contre lui, il avoua de bonne foi que s'il eût entendu cet orateur, il aurait été lui-même d'avis de faire la guerre, et l'aurait nommé pour commander l'armée. Il le comparait à un soldat, à cause de la vigueur de son éloquence, et Isocrate à un athlète, parceque ses discours semblaient faits pour la pompe d'un spectacle. A l'âge de trente-sept ans, à compter depuis Dexithée jusqu'à Callimaque, sous l'archontat duquel les Olynthiens firent demander du secours à Athènes contre Philippe, qui les serrait de près, il détermina le peuple à leur envoyer des troupes. L'année suivante, qui fut celle de la mort de Platon, Philippe détruisit Olynthe 1.

VII. Xénophon, le disciple de Socrate, vit Démosthènes dans son enfance ou à la fleur de son âge; car il a conduit son histoire de la Grèce jusqu'à la bataille de Mantinée, sous l'archonte Chariclidès 2. Et Démosthènes avait déja gagné son procès contre ses tuteurs sous l'archontat de Timocratès. Lorsque Eschine sortit d'Athènes

mais afin qu'il ne lui manquât rien du côté de la dialectique et du raison

nement.

1 Platon mourut la première année de la cent huitième olympiade, selon Diogène Laerce. On s'accorde assez sur cette époque, mais il n'en est pas de même sur celle de sa naissance. Les uns la fixent à la première année de la quatre-vingt-huitième olympiade, et le font vivre quatrevingt-un ans; d'autres la placent à la deuxième année de la quatre-vingtseptième olympiade, et lui donnent quatre-vingt-quatre ans de vie. Cette dernière opinion paraît la plus probable.

2 La bataille de Mantinée est de la deuxième année de la cent quatrième olympiade, et Xénophon mourut à Corinthe quatre ans après.

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