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il lui demanda de la part de la république où était le comte. Les conjurés venaient d'apprendre sa mort. Verrina, après l'avoir cherché long-temps en vain, s'était remis sur sa galère comme désespéré, parce que les nouvelles qui venaient de tous les quartiers de la ville portaient qu'il ne paraissait en aucune part. Cela fit que Hériôme répondit audacieusement et avec une extrême imprudence à Justiniani, qu'il n'était plus temps de chercher d'autre comte que lui-même, et qu'il voulait que tout présentement on lui remît le palais.

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Lesénat, ayant appris par ce discours la mort du comte, reprit courage, et envoya douze gentilshommes pour rallier ceux de la garde et du peuple qu'ils pourraient mettre en état de se défendre. Quelques-uns des plus échauffés, même pour le parti de Fięsque, commencèrent à s'étonner. Plusieurs, qui n'avaient pas tant d'affection ni de confiance pour Hiérôme, qu'ils en avaient eues pour son frère, se dissipèrent au seul bruit de sa mort: et le désordre se mettant parmi les conjurés, ceux du palais s'en aperçurent, et délibérèrent s'ils les iraient charger, ou s'ils traiteraient avec eux. Le premier avis fut proposé comme le plus honorable, mais le second fut suivi comme le plus sûr. Paul Pansa, homme extrêmement considéré dans la république, et attaché de tout temps à la maison de Fiesque, fut choisi comme un instrument très-propre pour cet effet. Le sénat le chargea de porter à Hiérôme un pardon général pour lui et pour tous ses complices; il consentit à cet accord par les persuasions de Pansa. L'abolition fut signée en même temps, et scellée avec toutes les formes nécessaires par Ambroise Senaregua, secrétaire de la république : et ainsi Hiérôme de Fiesque sortit de Gênes avec tous ceux de son parti, et se retira à Montobio. Ottobon, Verrina, Calcagno et Sacco, qui s'étaient sauvés sur la galère de Fiesque, tinrent la route de France, et se rendirent à Marseille, après avoir renvoyé à la bouche du Var, sans leur faire aucun mal, Sébastien Lescaro, Manfredo, Centurione et Vincent Vaccaro, qu'ils avaient pris à la porte de Saint-Thomas. Le corps du comte fut trouvé au bout de quatre jours, et ayant été laissé quelque temps sur le port sans sépulture, il fut enfin jeté dans la mer par le commandement d'André Doria. Benoît Centurione et Dominique Doria furent députés le lendemain vers André pour lui faire compliment au nom de la république sur la mort de Jannetin, et le reconduire dans la ville, où il fut reçu avec tous les honneurs imaginables. Il se rendit au sénat le jour suivant, où il représenta par un discours

véhément, et qu'il prit soin d'appuyer du crédit de ses amis, que la république n'était point obligée de tenir l'accord qu'elle avait fait avec les Fiesque, puisqu'il avait été conclu contre toutes les formes, et signé (pour ainsi dire) l'épée à la main. Il exagéra fort combien il était dangereux de souffrir que les sujets traitassent de la sorte avec leur souverain; et que l'impunité d'un crime de cette importance serait un exemple fatal à la république. Enfin André Doria sut couvrir avec tant d'adresse ses intérêts particuliers sous le voile du bien général, et soutenir si fortement sa passion par son autorité, qu'encore qu'il y eût beaucoup de personnes qui ne pouvaient approuver que l'on manquât à la foi publique, le sénat déclara néanmoins tous les conjurés criminels de lèzemajesté, fit raser le superbe palais de Fiesque, condamna ses frères et les principaux de sa faction à la mort, punit de cinquante ans de banissement ceux qui avaient eu la moindre part à cette entreprise, et ordonna que l'on ferait commandement à Hiérôme de Fiesque de remettre entre les mains de la république la forteresse de Montobio. Le dernier point n'était pas si aisé à exécuter que les autres; et comme la place était bonne par sa situation et par ses fortifications, auxquelles on travaillait encore continuellement, on jugea plus à propos d'essayer toutes les voies de la douceur pour la tirer des mains des Fiesque, avant que d'en venir à la force, dont l'événement est toujours douteux. Paul Pansa eut commandement du sénat de s'y rendre au plutôt et d'offrir des conditions raisonnables à Hiérôme de la part de la république. Mais elle ne reçut de lui pour toute réponse que des reproches de la foi violée envers les siens, et un refus assez fier d'entrer en aucun traité avec les Génois. L'empereur, qui craignait que les Français ne se rendissent maîtres de ce château très-important à la sûreté de Gênes, pressa fortement le sénat de l'assiéger, et lui donna pour cet effet toutes les assistances nécessaires. Augustin Spinola, capitaine de réputation, eut cet emploi, investit la place, la battit quarante jours durant, et obligea ceux qui étaient dedans de se rendre à discrétion.

Quelques historiens accusent Verrina, Calcagno et Sacco d'avoir conseillé à Hiérôme une capitulation si peu honorable, à cause des dégoûts qu'ils avaient reçus en France, d'où ils étaient revenus pour se jeter dans la place. Cette prise fit naître dans la république de nouveaux désordres, par la diversité qui se trouva dans les avis des sénateurs touchant la punition des prisonniers. Beaucoup de personnes penchaient du côté de la douceur, et voulaient que l'on pardonnât à la jeunesse de Hiérôme, soutenant que le crime de cette famille avait été suffisamment puni par la perte du comte et par celle de tous ses biens; mais André Doria, passionnément animé contre elle, l'emporta encore une fois sur la clémence du sénat, et fut cause qu'il fit exécuter Hiérôme de Fiesque, Verrina, Calcagno et Assereto, et que l'on donna le sanglant arrêt contre Ottobon, qui porte défense à sa postérité, jusqu'à la cinquième race, de s'approcher de Gênes.

Arrêtons-nous ici, et considérons exactement ce qui s'est passé dans l'exécution de ce grand dessein. Tirons, s'il nous est possible, de ce nombre infini de fautes, que nous y pouvons remarquer, des exemples de la faiblesse humaine, et avouons que cette entreprise, considérée dans ses commencemens comme un chef-d'œuvre du courage et de la conduite des hommes, paraît dans ses suites toute pleine des effets ordinaires de la bassesse et de l'imperfection de notre nature. Car après tout, quelle honte n'a-ce pas été pour André Doria d'abandonner la ville au premier bruit, et de ne pas faire le moindre effort pour essayer d'apaiser par son autorité cette émeute populaire ? quel aveuglement d'avoir négligé les avis qui lui venaient de beaucoup

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