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Après la conclusion de M. Maury, M. de Mirabeau s'empare de la tribune, fait tous les préparatifs d'un grand combat ; ôte son surtout & médite, dans la profondeur de son génie, les moyens de terrasser le président; mais cette journée a été féconde en miracles; on a été aux voix pour savoir si M. de Mirabeau seroit entendu; tout le côté droit s'est levé en sa faveur; mais la majorité se trouvant à la gauche, n'a point voulu entendre. M. de Mirabeau: mécontent des siens, il a rendossé son surtout. Quelques sarcasmes lancés contre ses voisins ont été la seule vengeance qu'il ait tiré de n'avoir pu attacher quelques guirlandes de fleurs à la couronne que M. l'abbé venoit de poser sur la tête de M. Necker, son ami intime.

M. Desmeuniers a répondu à M. Maury. Il l'a suivi pas à pas, & l'a combattu vigoureusement. Il a débuté par rappeller le point de la discussion sur le remplacement de la gabelle. Il a prouvé que le mode de remplacement de M. l'abbé étoit impossible, qu'il étoit contraire au dernier article du décret. Pour effacer l'impression que M. l'abbé Maury avoit pu laisser sur le premier ministre des finances, il a rappellé que l'assemblée lui devoit sa naissance, sa force, &c.

C'est à lui, s'est-il écrié, que nous devons le rapport au conseil du 27 décembre 1788; c'est à lui que nous devons cette égalité de représentation avec les anciens ordres, sans laquelle les abus n'auroient jamais été détruits. (Ici les applaudissemens ont été vifs & réitérés, sauf du côté de la minorité.) M. Desmeuniers a ajouté que jamais l'assemblée ne se séparereroit sans avoir

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achevé cette constitution tant désirée par les peuples, & que les cahiers exigeoient tous, de concert, avant le travail des finances; que les contribuables acquiteroient facilement la contribution de 40 millions, puisqu'ils étoient considérablement déchargés par la répartition des impôts sur les privilégiés ; que cette opération formoit dans l'Isle de France, une diminution en faveur des contribuables de 11 sols pour livre, qui se téduiroit de 5 à 6 sols pour livre dans la plupart des provinces; qu'il ne falloit donc pas écouter les récits alarmans de la malveillance.

Ici la discussion s'est fermée, & l'article énoncé dans la séance, après bien des débats, a été décrété.

Séance du 18 mars, au soir.

M. Fréteau a occupé le fauteuil. ·

La séance a commencé par la lecture des adresses de plus de 60 villes ou communautés. Deux ont fait sensation. Celle des maîtres, contre-maîtres, matelots & novices des ports de Rochefort, l'Orient & Brest, qui font leur serment à la patrie, & annoncent qu'ils ont déposé dans un mémoire, remis au comité de marine, leurs réclamations contre l'injuste répartition des salaires; & celle des communautés de Hattanville, Dieville, & autres en Lorraine, sous le comté de Sancerre vous aviez fait, Messieurs, par vos décrets du 4 août plus qu'on eût osé attendre; mais combien de nouveau bienfaits ne nous avez vous pas accordés depuis. La distinction des ordres abolie a renversé le mur de division qui séparoit

les François; la suspension des loix que vous avez accordée au roi pendant deux législatures donnera à la nation le tems de les mûrir. Vous avez détruit l'injuste préjugé des peines infâmantes; les pensions soustraites à la faveur ne sont plus accordées qu'à ceux qui les méritent, &c.

Pour nous, nous avons à vous supplier de prononcer sur l'incroyable échange du comté de Sancerre. D'un côté la maîtrise de Saint-Mihiel de l'autre les officiers de M. d'Espagnac nous poursuivent déjà pour le paiement des droits de 1790. Tirez-nous de ce conflict, Messieurs, le plus promptement qu'il sera possible. Nous sommes avec respect illustres législateurs de l'univers, votre très-humble, &c.

M. prieur a dit que la meilleure maniere de réconnoître le patriotisme de ces habitans étoit de renvoyer l'adresse au comité des domaines, pour qu'il rapporte cette affaire incessamment. L'assemblée y a accédé.

Un membre a demandé que l'assemblée déclarât qu'en suspendant les jugemens des prévôts, son intention n'étoit pas de les empêcher de prononcer des sentences d'absolution & de plus amplement informé. L'assemblée l'a décrété ainsi.

On est enfin passé à l'ordre du jour, & M. Harnoux a commencé le rapport de la compagnie des Indes, au nom du comité d'agriculture & de

commerce.

Il est entré dans la discussion du fond; il a démontré aisément la nécessité du commerce de l'Inde, & l'intérêt que nous avons de l'élever au niveau de notre consommation; il a exposé ensuite les moyens employés par les deux parties oppo

sées; la compagnie & le commerce libre. D'abord la cargaison d'un vaisseau expédié pour l'Inde est de deux millions, dit la compagnie ; il faut faire deux & quelquefois trois expéditions avant de recevoir un vaisseau en retour. Voilà donc pour un armateur six ou au moins quatre millions de mise dehors; & il est bien peu de maisons assez opulentes pour se livrer à ce commerce. Aussi plusieurs armateurs ont-ils été obligés, pendant que le commerce étoit libre, de faire avec la compagnie angloise des traités d'affrétement pour apporter ses marchandises en France. Ils n'en étoient conséquemment que les agens & les voituriers. De plus, le défaut d'établissemens & d'agens sur les lieux, empêchent les armateurs de suivre la marche nécessaire dans le pays c'est d'aller T'argent à la main, exciter la cupidité de l'Indien naturellement indolent, parce qu'il a peu de besoins, & qu'ils sont tous faciles a remplir, & de le mettre ainsi sur l'ouvrage dont on a besoin. Ils sont donc obligés de se contenter des marchandises de rebut, refusées par les autres Européens de1à le défaut d'assortiment, delà la concurrence qui s'établit entr'eux lorsqu'ils arrivent tous ensemble pour faire leur chargement.

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Sur le premier reproche, le commerce libre répond que 7 à 8 cent mille livres suffisent pour un chargement, qu'en une seule année il a expédié jusqu'à trente-neuf vaisseaux. Quant au défaut d'assortiment, la compagrie elle-même n'est pas à l'abri de ce reproche. Enfin la concurrence existe toujours de la part des autres nations ; que si le moyen d'éviter la concurrence étoit de créer des compagnies, il faudroit donc faire tout

le commerce par compagnie; d'observation que jusqu'en 1788 la compagnie elle même s'est fournie en Angleterre. Enfin la vente du commerce libre s'est élevée tous les ans à plus de trente millions, tandis que celle de la compagnie n'a jamais passé vingt-un millions.

D'après ces considérations, le comité a pensé que le commerce libre est plus avantageux à l'état, parce qu'il met plus d'économie dans ses expéditions, qu'il exporte moins d'especes & plus de marchandises de France, que par conséquent il emploie plus de bras & vivifie nos atteliers, qu'il vend à un prix plus modéré, & qu'il est plus utile aux finances, en ce qu'il paie le droit d'indult, dont la compagnie est exempte. D'ailleurs, il n'est pas croyable que toutes les villes de commerce puissent errer sur leur propre intérêt. En conséquence le comité a proposé le projet de dé

cret suivant :

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« L'assemblée nationale, considérant que la liberté des mers est le bien des nations, que les entraves & le monopole gênent le génie, détruisent les opérations, a décreté & décrete, 1. le privilege exclusif, accordé pour le commerce de l'Inde & de la Chine, par les arrêts du conseil des . . . . est révoqué; il sera libre à tout citoyen d'y commercer sans passe-port ni commission; 2°. tous vaisseaux faisant le commerce de l'Inde feront leur retour à l'Orient ; 3°. le droit d'indult sera perçu, à raison de 5 pour cent, sur les marchandises de l'Inde & de la Chine, & de 3 pour cent sur celles des isles de France & de Bourbon; 4°. enfin la compagnie sera exempte de ce droit jusqu'au premier janvier 1792 ».

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