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M. Cochard a prétendu que dans le pays de droit écrit, le droit de triage n'avoit été établi que par la jurisprudence & les arrêts ; & que les seigneurs n'en avoient bénéficié qu'en qualité de seigneurs hauts justiciers. Partant de l'injustice & de la tyrannie du triage, il a conclu à ce que la loi qu'on alloit porter eût un effet rétroactif, & réintégrât les communautés dans tous les droits dont elles jouissoient avant l'ordonnance de 1669.

M. Goupil de de Préfeln a pris à tâche de réfuter M. Cochard, en débutant par une vérité dont tout le monde étoit frappé, je veux dire que l'opinant avoit fait des digressions & des divagations; M. Goupil qui aime tant à parler latin dans une assemblée où l'on ne doit entendre que le françois, auroit pu réfuter l'opinant par ces deux mots summum jus, summa iniquitas. Il eût peut-être satisfait le préopinant même ; mais le patriarche Goupil, se plaît quelquefois à dire des vérités dures, cependant on ne peut disconvenir qu'il a parlé en législateur. Vous ne pou vez donner un effet rétroactif à notre loi sans bouleverser toute la société. Les fonds triagés, en vertu de l'ordonnance de 1669, sont passés dans les mains d'acquéreurs de bonne foi. Ils se sont possédés sous la sauve-garde de la loi.

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On a, jusqu'à ce moment, dans l'assemblée nationale suivi une grande regle de justice, celle de ne pas faire rétrograder l'effet d'une loi nouvelle introductive d'un droit nouveau. Vous suivrez la même maxime dans la question qui s'agite maintenant, Mais, diton, cette loi est injuste; cela peut être Les loix humaines sont souvent imprégnées d erreurs

mais ces erreurs, quand elles sont consacrées par le laps d'un siecle, peuvent & doivent être redressées; mais on ne doit point fouiller dans les événemens qu'elles ont causés, autrement on ne pourroit compter sur rien dans la société. Vous vous 'garderez bien, j'espere, d'admettre un principe aussi subversif ; vous pouvez bien porter en arriere vos regards sur un abus nouvellement consacré; mais lorsqu'une fois cet abus, quelque absurde & injuste qu'il soit, a passé le terme acquis pour la prescription, il fait loi, sur-tout lorsqu'il est émané de la puissance reconnue, quoique mal-à-propos, pour législative. Conformément à son opinion, il a conclu qu'on ne pouvoit étendre l'effet rétroactif de la loi nouvelle, jusqu'à l'ordonnance de 1669, mais bien jusques' aux lettres-patentes de 1777 & 1779.

M. Robespierre a débuté par condamner la maniere dont la question étoit présentée. On ne doit pas dire votre décret aura-t-il un effet rétroactif, mais bien l'invasion des biens communaux par les seigneurs, en vertu du droit de triage, sera-t-elle consacrée ?

Voilà, s'est-il écrié, de quelle maniere on doit présenter la question. Qu'il me soit permis maintenant d'interpeller ceux qui défendent ce droit inique de triage, & de leur demander quelle est sa base, quelle est son origine; je réponds pour eux l'iniquité & la tyrannie. Sous Louis XIII & la minorité de Louis XIV, les seigneurs se sont emparés du tiers des biens communaux par des voies de fait; réduites au silence par la loi du plus fort, les communautés se sont vues expoliées de leurs propriétés par l'ordonnance de 1669,

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deux ans après y avoir été réintégrées. En effet, l'ordonnance de 1669 a dit aux seigneurs: prenez un tiers des biens communaux, quand il sera prouvé que la cession en a été faite à titre gratuit. Comme si une donation ne donnoit pas au donataire une véritable propriété; comme si ravir à quelqu'un un bien vendu ou donné n'étoit pas également un attentat contre la propriété. Mais quelle est donc cette prétendue loi qui a consacré de tels excès ? C'est une loi qui n'en est point une, puisqu'elle porte le caractere contradictoire à toute loi, dont le but & l'esprit doivent être de procurer le bonheur & la sécurité au plus grand nombre possible d'individus. Or, l'ordonnance de 1666 n'a favorisé que quelques individus privilégiés, aux dépens de la grande famille donc cette loi est nulle, donc elle porte évidemment le caractere de réprobation inhérent à toutes les productions du despotisme; donc le droit de triage, aux yeux de la raison, est un droit inique, & pour trancher le mot, n'est qu'une rapine. Or, à présent, je le demande, les vassaux peuvent-ils demander la restitution de ces biens usurpés, & pouvez-vous l'ordonner? N'est-il pas conforme aux principes de la propriété, de rendre des biens enlevés? Des ministres ont-ils pu autoriser des invasions, des usurpations?... Il vous reste donc à opter entre l'ordonnance de 1666 & la justice éternelle dont vous ne vous départez jamais. Il dépend de vous d'ordonner la restitution de ces biens. Etes-vous donc moins puissans pour rendre la justice, que le despotisme pour exercer cette tyrannie? Pouvez-vous vous refuser à cette restitution sans violer les principes de la pro

priété ? Sans doute il s'en suivra bien des inconvéniens; mais des pertes particulieres doivent-elles un instant vous empêcher de consacrer le principe? Quand un effet a été volé, le propriétaire perd-t-il donc ses droits sur sa propriété ? n'est-il pas en droit de la réclamer? Hé bien ! les peuples réclament des fonds que l'injustice, la violence, la tyrannie leur ont extorqués.

L'opinant a conclu par demander que les biens communaux, dont les communautés avoient été dépouillées, en vertu du droit de triage, depuis quarante ans, fussent réintégrées dans leurs biens.

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Après M. de Robespierre, M. Lanjuinais a dit: Si vous examinez la question suivant le droit de la nature, elle veut qu'il y ait un terme après lequel la propriété la plus légitime est effacée par la possession contraire; elle autorise la prescription sur laquelle reposent les droits des nations, 'comme ceux des individus. Consultez-vous sur l'édit de 1667; cette loi faite en faveur du peuple par le despotisme; il n'y a ni possession, ni jugemens, ni aucun titre qui purge le vice des entreprises des ci-devant seigneurs sur les usages communs & biens communaux, même sous prétexte de triage. L'ordonnance de 1669 a, depuis 120 ans, autorisé les triages en certains cas; cette loi a été constamment observée; sur la foi publique ont été faits d'un bout du royaume à l'autre, une immense multitude de contrats, de transactions, de jugemens, de défrichemens, desséche

bâtimens & autres améliorations sur les usages communs & sur les communaux. La loi étoit injuste, mais elle avoit le caractere de loi; il est sage de l'abroger comme vous l'avez fait; mais si vous don

nez à la loi nouvelle un effet rétroactif, vous attaquez, pour ainsi dire, tous les propriétaires du royaume & vous autorisez les folles demandes de la loi agriaire qu'on inspire au peuple abusé ; vous mettez en péril la liberté publique ; il fa adopté la rédaction du comité, en ajoutant ces deux amendemens: << sans entendre approuver les triages ou dispositions de tout ou partie des usages communs & biens communaux maintenant contestés, ou en faveur desquels la prescription n'est pas acquise; mais toute voie de fait contre la possession annale est rigoureusement défendue en cette partie, & sera punie par la déchéance de leur droit contre les auteurs de voies de fait, postérieures à la présente loi ». Il a motivé cette derniere dispositon sur les voies de fait qui se commettent contre les nouvelles clotures sous prétexte d'usurpation; il a dit que dans les environs de Dot des troupes de paysans viennent d'abattre les clotures anciennes ou modernes de 6000 journaux de terre.

M. l'abbé de Barmon a défendu l'ordonnance de 1669, mais seulement en passant; il a conclu à ce que la loi n'eût point un effet rétroactif, & que les procès encommencés fussent décidés par la loi nouvelle. M. l'abbé Grégoire : promettezmoi de vous observer, Messieurs, que l'ordonnance de 1669 a été enregistrée en parlement dans un lit de justice, & par ordre exprès de sa majesté, & l'on sait, sous un prince aussi despote que Louis XIV, ce que c'étoit qu'un lit de justice. On se disposoit encore à prolonger la discussion, lorsque l'assemblée a émis le vœu impérieux de fermer la discussion. M. Merlin, faisant abstraction de toutes les questions étran

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