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lorsque vous avez entendu le récit des troubles qui agitoient le royaume, qu'il étoit important de décréter les articles relatifs aux droits féodaux, décrets qui ne ditinguant ce qui est propriété de ce qui ne l'est pas, devoit tirer le peuple de l'erreur où l'on a voulu le jeter, & ramener le calme dans le royaume. D'après ces réflexions, Messieurs, je pense qu'au lieu de discuter ici cette question des colonies, il seroit utile de nommer un comité qui prît connoissance de tout ce qui est relatif aux pétitions de Bordeaux, des villes de commerce, en général de tout ce qui a rapport aux colonies; ce moyen aura, je crois, le très grand avantage, & d'accélérer, d'une part, la décision de l'affaire actuelle, & d'une autre, d'économiser le tems si précieux que nous devons à la constitution nationale, que les vœux de toute la France nous pressent d'achever.

M. Cocherel a prétendu que l'assemblée étoit assez instruite, & qu'elle pouvoit prononcer sur la question qui lui étoit soumise, puisqu'elle ne regardoit que les troubles qui régnoient dans l'isle.

M. de Cazalès a également combattu M. de Lameth, soutenant qu'il ne s'agissoit dans ce moment que de rétablir l'ordre dans les colonies

& de trouver le moyen de renouer les nœuds qui attachoient les colonies à la métropole, & qu'on sembloit prêts à briser.

M. Begouen a combattu égalemment la motion de M. de Lameth: il y a long-tems, s'est-il écrié, que les députés du commerce sollicitent l'assemblée de s'en occuper. Vous savez aussibien que moi que les manufactures sont sans vigueur, le commerce sans activité; si vous ne vous occupez des de lui faire reprenmoyens dre son essor ordinaire, les finances sont ménacées du plus grand péril, & par contre-coup la constitution. Je conclus donc à ce que l'on s'occupe de la pétition des députés du commerce.

M. le président a pris sur lui de trancher la difficulté ; & regardant la motion de M. de Lameth comme non-avenue, il a posé ainsi la question: Continuera-t-on le rapport sur les colonies, oui ou non? On s'est récrié singuliérement sur cette maniere de poser la question. M. Babey & ses voisins ont insisté pour qu'elle fût présentée autrement. Cependant M. le président est toujours allé en avant, & la gauche du président a mieux aimé relâcher de ses droits, que de causer du trouble dans l'assemblée. Ainsi M. l'abbé Grégoire a fait un autre rapport sur la Martinique.

Une assemblée coloniale, composée de 121 membres, après s'être constituée, a déclaré qu'ils ne pourroient rien décider qu'ils ne fussent au nombre de 81. Cependant quoique réduite à 28 membres, ils ont fait des statuts, des réglemens provisoires qui blessent les intérêts de la métropole & de la colonie. Tel est, par exemple, celui par lequel ils ont ouvert quatre ports aux vaisseaux étrangers. Une partie des colons proteste contre les arrêtés de l'assemblée coloniale, les regarde comme nuls, & blâme le commandant de l'ifle de les avoir approuvés.

Ce rapport fini, M. Alexandre de Lameth a pris la parole & a dit: M. le président, tout membre devant à l'assemblée le plus grand res-pect & devant avoir le plus grand soin à ne pas y exciter de troubles, & à ne pas ralentir ses opinions, je crois devoir expliquer pourquoi j'ai insisté à vous demander la parole & vous prouver que vous avez eu tort de me la refuser. Il alloit détailler les reproches qu'il avoit à lui faire, mais M. le président l'a interrompu en disant : Monsieur, j'ai eu tort. Puisque vous en convenez, a repris M. de Lameth, je n'insiste pas.

Il est certain que la motion de M. de Lameth n'avoit pas été présentée comme elle le devoit

&

que M. le président s'étoit contenté de dire: continuera-t-on la discussion, oui ou non? Il est certain encore que M. de Menou lui avoit demandé la parole sur la maniere de poser la question ; & qu'il lui avoit refusée constamment, sous prétexte qu'il n'y avoit pas d'autre maniere de poser la question; cependant il en étoit une plus naturelle & qui eût satisfait tout le monde : l'assemblée veut-elle délibérer sur la motion de M. de Lameth, oui ou non?

M. le Chapelier voyant que l'on se préparoit à aller en avant, a pris la parole: Il faut savoir si la discussion doit s'ouvrir sur les colonies; on vient de nous faire des rapports. Je ne crois pas qu'aucun de nous ait pu prendre, d'après la lecture, une détermination fixe sur l'affaire actuelle. D'ailleurs, trente-trois personnes sont inscrites pour la parole; chacun traitera la question sous le point de vue qui l'intéresse ou qui le frappe ; mais d'après les discours, il en résultera une incohérence dans les idées, une fluctuation dans les esprits qui entraînera beaucoup de longueur dans vos opérations. Il faut donc envoyer l'affaire à un comité exprès qui nous présntera un ensemble de travail, & une combinaison d'idées réfléchies.

M. le Camus a appuyé la motion de M. de

Lameth, & proposé de diviser ainsi la question Nommera-t-on un comité oui ou non ? Comment sera-t-il composé? On a adopté la division de M. le Camus ; mais à la droite du président on a invoqué la question préalable, & l'assemblée a décidé qu'il y avoit lieu à délibérer sur la nomination d'un comité.

L'esprit d'opposition rendoit l'assemblée bruyante & tumultueuse; cependant le silence s'est réta→ bli, & M. Charles de Lameth a dit plus la question actuelle est difficile & délicate, plus l'assemblée doit porter une attention scrupuleuse à ne point donner prise sur elle, & à ne point faite la moindre faute. On feroit retomber sur l'assemblée tout le mal même dont elle ne seroit pas cause; ainsi on lui a attribué, on lui attribue encore le défaut de crédit, & l'on se plaît à dissimuler & à cacher que l'on a convoqué la nation, parce qu'on étoit aux abois. J'appuie donc la nomination d'un comité, sans quoi nous serons exposés à des divagations éternelles. Chacun nous présentera ses idées, & nous n'aurons point d'ensemble. La résistance de part & d'autre fera sortir des bornes que prescrit la sagesse ; les calomnies viendront encore fondre sur l'assemblée nationale; on l'accusera de lenteur. Nous avons le plus grand intérêt à éviter ces impressions. Je

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