Page images
PDF
EPUB

pieces relatives aux colonies. La premiere que l'on a lue est une lettre de M. de la Luzerne qui rappelle à l'assemblée, que sa majesté a autorisé, dans l'isle de Saint-Domingue, des assemblées coloniales, mais dont la mission ne devoit être que de préparer les matériaux, éclairer l'assemblée nationale sur les vrais intérêts, sur les rapports nécessaires & réciproques des colonies avec la métropole, pour la mettre à portée de statuer sur la constitution de nos isles, de maniere à ménager les intérêts du plus grand nombre, & à procurer la plus grande masse de bonheur possible aux colons. Le mode de convocation de ces assemblées coloniales étoit fixé par une ordonnance de sa majesté, dont la bonté paternelle ne cherchoit par-là qu'à remédier aux abus qui pouvoient s'être glissés dans l'administration; mais le succès n'a point répondu aux espérances de sa majesté. Dans la partie du nord de cette isle, au Cap, il s'est formé une assemblée qui a outrepassé ses pouvoirs; elle s'est érigée en assemblée provinciale, s'est prétendue investie de tous les pouvoirs, &, confondant tous les principes, a prétendu avoir en elle-même le pouvoir exécutif & judiciaire. Les loix, disent les membres de cette assemblée, ne sont loix qu'autant que les peuples les ont consenties librement. C'est

un droit inhérent aux hommes, c'est un droit imprescriptible; mais ceux en qui il réside duivent avoir le droit de faire exécuter les loix; donc dans le peuple réside le pouvoir exécutif, & par la même raison le pouvoir judiciaire.

Confondant ainsi les principes, les députés de l'assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue ont délibéré & agi en conséquence, & cumulé dans leurs mains tous les pouvoirs, delà l'emprisonnement du substitut du procureurgénéral au Cap, M. du Bois; de-là la révocation du premier proposé au recouvrement des impôts; de-là des proscriptions contre des membres de la cour du conseil supérieur de Saint-Domingue, la cassation de ses arrêts, &c.

Les colons & habitans de Saint-Domingue, dans la partie du nord, gémissant sous le despotisme ministériel, se sont crus autorisés à se constituer, & à redresser par eux-mêmes une foule d'abus & de vexations.

Le sieur Marbois est singuliérement inculpé par l'assemblée provinciale de Saint-Domingue. Il paroît que ses concussions ont poussé la patience des habitans à bout ; ce qui donneroit une faveur aux inculpations faites contre lui, c'est qu'il a déguerpi l'isle; laissé la caisse dans un délabrement affreux. Le conseil supérieur est ac

cusé de s'être prêté aux manigances ministérielles, & d'avoir contribué à l'épuisement du trésor public. On voit, par le peu que je viens de dire, qu'il existe deux partis diametralement opposés dans l'isle de Saint-Domingue; le conseil supérieur, & l'assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue.

Réciproquement on a cassé des arrêts ou des décrets; le conseil supérieur a protesté de la nullité & de l'illigitimité de la prétendue assemblée provinciale du Cap. Celle-ci a défendu de regarder comme tribunal légitime la cour du conseil supérieur, & fait exprès inhibitions d'obéir aux arrêts émanés de cette prétendue cour; de-là il arrive nécessairement que chaque parti, maître chez soi, agit conformément à l'esprit qui le dirige. Au Cap, on a créé, ou, suivant les sions de l'assemblée provinciale, réintégré le conseil supérieur dont les fonctions avoient été interrompues depuis 3 ans. (Les habitans du Cap regardant la réunion des deux cours supérieurs comme illégitime, & faite contre leur gré, prétendent qu'elle n'a pu opérer qu'une interruption, & non une cassation de leur cour.) Les membres

[ocr errors]

expres

[ocr errors]
[ocr errors]

du conseil supérieur, réunis à Saint-Domingue se croient bien investis, & on ne peut disconvenir qu'ils ont pour eux les apparences.

pour

Une correspondance suivie entre M. de la Chevalerie, président de l'assemblée provinciale, & M. Peignieres, dont on a fait lecture à l'assemblée, prouve qu'il y a bien des mouvemens dans l'isle; mais on n'y voit point ces semences de discorde qui caractérisent une insurrection générale. Les colons du nord paroissent tous disposés à rester fermemenr attachés à la mere-patrie & au roi des François. Les parties du sud & de l'ouest ne paroissent même n'avoir pris aucune part dans les altercations qui se sont élevées entre l'assemblée provinciale & la cour supérieure. On voit seulement un penchant dans la partie du sud adopter les principes de celle du nord. Au reste, cette grande affaire, dont on a fait le rapport aujourd'hui, reparoîtra lundi sur la scene, & nous nous en occuperons alors dire en passant que le gouverneur, ne paroît point mal-voulu; tout ce qu'on lui reproche, c'est de se laisser environner de gens vendus au ministre de la marine qui se trouve inculpé dans plusieurs circonstances. Dans une de ses lettres, M. de la Chevalerie dit à M. Peigneres: quand à la formation de l'assemblée générale, nous n'avons besoin pour la former que du concours des trois provinces, nous aurons soin d'en écarter nos ennemis, les vôtres, & sur-tout la vermine qui nous ronge.

nous pourrons M. Peigneres,

Le rapporteur a conclu en peu de mots, après la lecture des pieces, que rien n'annonçant ni une scission, ni une insurrection dans Saint-Domingue, il seroit peut-être à propos d'attendre les différentes pieces qu'annonçoient, & l'assemblée provinciale du Cap, & la cour du conseil supérieur, pour juger avec plus de connoissance de cause. M. Alexandre de Lameth a demandé la parole & a dit, Messieurs avant de passer à la discus: sion de la grande question qui vous est soumise il me semble qu'il ne seroit pas inutile de présenter à l'assemblée quelques réflexions; nous ne pouvons nous dissimuler, Messieurs , que cette question majeure n'en renferme plu ieurs autres; premiérement celle des troubles qui agitent en ce moment nos colonies; secondement, les pétitions de la ville de Bordeaux & des villes de commerce; troisiemement, la question générale sur les colonies; ces questions ont une si intime relation entre elles, qu'il me paroît indispensable de les traiter séparément; elles donneront lieu d'ailleurs à de si grands développemens de principes, de philosophie, de morale, de politique & de commerce, qu'elles entraîneront nécessairement une très-longue discussion. Et cependant, Messieurs, vous avez pensé, il y a peu de jours,

« PreviousContinue »