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fiècle, & qu'on puiffe par conféquent lui affigner une origine plus reculée, on ne peut douter cependant qu'il ne laiffe encore beaucoup à defirer.

2. Ce n'eft pas que prefque tous les Chymiftes, depuis Giber, ne se foient occupés de la diftillation; que plufieurs d'entr'eux n'aient essayé de

de M. de Boynes, alors Miniftre de la Marine, la machine fut exécutée à Paris en grand, à peu près dans les proportions de celle représentée dans les planches cijointes. Cette machine a été foumite alors à des épreuves multipliées, fous les yeux de plufieurs Membres de l'Académie Royale des Sciences, de nombre de perfonnes diftinguées par leurs connoiffances & par leur rang (1), & le fuccès en a été complet.

Il y a donc plus de fix ans (2) que cet Ouvrage auroit pu être publié, fi on cût été moins jaloux de ne donner que des réfultats certains, fondés fur la théorie & confirmés par l'expérience.

Pendant qu'on étoit ainfi occupé de recherches & d'expériences, le Capitaine Conftantin - John Phipps a publié à Londres un Ouvrage in-4, intitulé: A Voyage towards the north pole undertaken by his Majeftys command in 1773. London, 1774 On y trouve la defcription d'une machine diftillatoire, de l'invention du Docteur irving deftinée à deffaler l'eau de la mer; elle confifte en un long tuyau de métal, adapté par un bout à une chaudière, & qui communique de l'autre avec un vale ou récipient. On entretient l'eau de la chaudière bouillante, & on rafraîchit continuellement le tuyau avec des torchons imbibés d'eau fraîche. On y peut voir (pag. 205 & fuivantes) le defcription qu'en a donné le Docteur Irving lui même (3). Sans entrer dans le détail des inconvéniens de cette méthode, de l'embarras qu'elle entraîne, & de l'effet médiocre qu'on doit en attendre, il fera aifé de reconnoître combien elle a peu de rapport avec celle qu'on publie aujourd'hui.

Ce qui paroítra fans doute très digne de remarque, c'eft que, d'après un article inféré, pages 217 & 218 de l'Ouvrage du Capitaine Phipps, on diroit, d'après les propres paroles du Docteur Irving qu'il rapporte, que ce dernier avoit quelque connoiffance du principe dont on fe propofe de donner l'application dans cet Ouvrage; bien plus, en comparant les dates des expériences faites à Paris, avec le temps de fon départ, on s'appercevra qu'il ne feroit pas impoffible qu'il n'eût eu, avant de s'embarquer, communication de ce qui fe paffoit à Paris. Ce qu'il y a de très-certain, c'eft que la machine dont on donne ici la defcription, a été publique à Paris, & expofée aux yeux des Phyficiens pendant tout le cours de 1773, tandis que l'Ouvrage du Capitaine Phipps n'a été imprimé qu'en 1774.

Au refte, quand on fuppoferoit que le Docteur Irving a eu connoiffance, avant fon départ, de la méthode qu'on expofe ici, il y a apparence qu'il ne lui eft parvenu que des notions incertaines & peu détaillées, qui n'ont fervi qu'à l'égarer; car on ne pourroit pas concevoir autrement, comment il auroit pu préférer un moyen évidem ment défectueux, à un autre beaucoup plus fimple, & qui n'eft fufceptible d'aucun

inconvénient.

(1) M. Turgot, alors Intendant de Limoges, depuis Contrôleur-Général des Finances; M. Trudaine, Confeiller-d'Etat, Intendant des Finances; M. Montigny ; M. Macquer; M.Leroy; M. Lavoifier; M. Defmarets, & plufieurs autres.

(2) On écrivoit ceci en 1776,

(3) L'on a inféré auffi dans le Journal de Phyfique de M. l'Abbé Rozier, mois d'Octobre 1779, p. 318, la defcription de cette machine, avec le plan d'une autre affez différente, du même Docteur Irving, pour le même effet.

faire des changemens, des additions, des modifications aux appareils diftillatoires ufités de leur temps: mais il paroît en même temps qu'ils fe font toujours tenus renfermés dans 1: cercle étroit des premières idées. Les Cucurbites ont toujours confervé la figure de la courge ou calebaffe à l'imitation de laquelle ont été formés les premiers modèles, & dont ils ont emprunté leur nom. On s'eft contenté de les alonger, de les raccourcir, d'en rétrécir ou d'en élargir l'ouverture: mais le fond n'a pas changé. De même l'alambic, garni de fon chapiteau, eft encore aujourd'hui l'homo galeatus, l'homme couvert d'un cafque, dont parlent les anciens Alchy

mistes.

3. Le peu de progrès de l'Art de la diftillation, vient, fans doute, de ce que la plupart des Chymistes ont envisagé cette opération plutôt relativement à l'objet philofophique, qu'à l'objet économique. C'étoit affez pour eux de parvenir au but de leur opération par une méthode exacte & commode; il leur importoit peu qu'elle fût un peu plus longue & un peu plus difpendieufe.

4. Il n'en est pas de même relativement aux Arts. Le problême à réfoudre n'eft pas feulement de produire un effet quelconque, mais, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, de parvenir au maximum de l'effet, & au minimum de la dépenfe. La folution de ce problême n'intéreffe pas feulement les Particuliers, elle intéresse l'Etat lui même ; c'eft d'elle en effet que dépend la chûte ou le fuccès de prefque tous les Etablissemens relatifs; c'est elle qui établit la balance entre le commerce de Province à Province, de Nation à Nation; c'est elle enfin qui rompt l'équilibre & la concurrence, ou qui les

rétablit.

5. S'il eft un Etat où l'Art de la diftillation ait une liaison intime avec le commerce national & avec le fyftême politique du Gouvernement, c'est fur-tout en France où, premièrement, cet Art, appliqué à la converfion des vins en eaux-de-vie, forme une branche de confommation confidérable dans l'intérieur du Royaume, un objet d'exportation à l'extérieur, enfin un produit confidérable pour les revenus du Roi; fecondement, où la Navigation attend de l'Art de la diftillation les moyens de deffaler l'eau de la mer avec plus de fimplicité, de commodité & d'économie, qu'on ne l'a fait jufqu'à préfent.

6. On a penfé, d'après cela, que ce feroit bien mériter du Gouvernement François & de l'humanité en général, que de donner des moyens de tirer plus de parti, qu'on ne l'a fait jufqu'à ce jour, des deux agens qui fervent à opérer la diftillation, la chaleur & le refroidiffement; de produire plus d'effet d'une manière plus fimple & moins difpendieufe; enfin, d'appliquer les améliorations dont l'Art de la diftillation eft fufceptible, non-feulement aux Arts, mais encore au deffalement de l'eau de la mer.

7. L'objet de la diftillation eft en général de réduire un fluide quel

conque en vapeurs par le moyen de la chaleur, & de le condenfer enfuite par le refroidiffement. L'appareil qu'on emploie communément pour produire cet effet, eft connu fous le nom d'alambic: il confifte, 1. en une cucurbite ou chaudière, 2°. en un chapiteau, 3°. en un réfrigérant.

8. C'eft dans le chapiteau que s'opère la condenfation des vapeurs ; &, pour la favorifer, on lui applique pardeffus, auffi bien qu'au tuyau de décharge, une quantité d'eau froide plus ou moins confidérable. On conçoit que cette eau ne peut rafraîchir la vapeur fans s'échauffer elle même; qu'elle doit par conféquent acquérir infenfiblement un degré de chaleur presqu'égal à celui de la vapeur, & qu'alors elle ceffe d'être capable de la condenfer, Cette circonstance a fait fentir aux premiers Distillateurs la néceffité de renouveller de temps en temps l'eau du réfrigérant; & on a été même, dans les fabrications en grand, jusqu'à faire paffer à travers un courant d'eau continu.

9. L'application qu'on a faite du ferpentin à la diftillation des eauxde-vie, prouve bien qu'on a fenti cette difficulté: mais en même temps le ferpentin étant un tuyau fort étroit, d'un fort petit diamètte, on auroit dâ s'appercevoir qu'il étoit impoffible qu'une grande maffe de vapeurs y fût introduite à la fois; que par conféquent une grande partie des molécules en expansion devoit être forcée de refter dans le chapiteau, & que, refroidie de proche en proche par le voisinage du réfrigérant, la plus grande partie devoit retomber dans la chaudière. Il arrive donc néceffairement, dans notre manière ordinaire de diftiller, qu'une partie des molécules du fluide circulent un grand nombre de fois alternativement de la chaudière dans le voisinage du chapiteau, & du voifinage du chapiteau dans la chaudière, avant que d'être engagées dans le ferpentin.

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10. Quelque bon que fût ce dernier moyen, on n'en a pas encore tiré tout le parti poffible; on a prefque toujours fait arriver le courant d'eau à la partie fupérieure du réfrigérant: mais on ne s'eft point apperçu que l'eau froide étant plus lourde que l'eau chaude, cette dernière fe préfentoit toujours à la partie fupérieure du vaiffeau. Il arrive de-là, 1o. que ea l'eau froide ne peut arriver au réfrigérant fans traverser une maffe d'eau chaude fort confidérable, & fans s'échauffer par conféquent ellemême; & qu'elle ne produit pas par conféquent tout l'effet retroidiflant qu'on avoit droit d'en attendre. 2°. Qu'une portion confidérable d'eau froide ne parvient pas même jusqu'à la furface du réfrigérant; qu'elle remonte auparavant & s'échappe fans avoir prefque produit aucun effet. peu de réflexion auroit appris aifément le moyen de remédier à cer inconvénient. Il ne s'agiffoit que d'introduire l'eau froide dans le réfrigé rant, par un tuyau aboutiffant à la partie inférieure, tandis que le tuyau de fa décharge auroit été adapté à la fupérieure: alors l'eau feroit arrivée, la plus froide poffible, à la furface du réfrigérant, & feroit fortie, la plus chaude poffible, du réfrigérant.

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11. Cette objection n'eft pas la feule qu'on ait à oppofer à l'ufage du ferpentin: fa forme exige un grand vaiffeau pour le contenir. Or, un grand vaiffeau ne peut être rempli que par un grand volume d'eau ; & il en résulte que l'eau qui a été échaufféé par le contact du ferpentin, ne peut pas fortir promptement qu'il feroit à defirer; qu'elle eft obligée de traverser la nouvelle eau froide qui arrive au réfrigérant; qu'elle l'échauffe de proche en proche de forte qu'on peut dire avec vérité qu'à l'exception du premier inftant, on a toujours de l'eau tiède, & non de l'eau froide en contact avec le ferpentin.

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12. Enfin, la matière même dont eft formé le ferpentin, fournit un nouvel obftacle au refroidiffement; communément il eft de plomb ou d'étain, & il a une grande épaiffeur. Il s'enfuit, par une conféquence néceffaire, que dès qu'il a acquis un certain degré de chaleur, fa maffe oppofe une résistance continuelle à l'action refroidiffante de l'eau; de forte, par exemple, que fi l'on fuppofe que l'eau froide agiffe comme 50, & que la chaleur du tuyau réfifte comme 10, il ne reftera plus que 40, pour repré

fenter l'effet refroidisfant réel.

13. On n'a point eu non plus affez d'égards, dans la conftruction de nos appareils diftillatoires, à un principe certain & inconteftable; c'est que l'effet réfrigérant n'a lieu qu'en raifon des furfaces froides qui touchent à la vapeur, & qui la condenfent. Une fuite de ce principe, eft qu'on ne fauroit trop multiplier les furfaces réfrigérantes; cependant nos appareils diftillatoires, au mépris de ce principe, préfentent une petite furface à un très-grand volume de vapeurs.

14. Une grande partie de ces principes font applicables à la conftruction des fourneaux; & de très-fimples réflexions feront fentir combien les nôtres font défectueux. Un fourneau, quel qu'il foit, n'eft, à proprement parler, que l'inverfe d'un réfrigérant. L'objet, dans les deux cas, eft de combiner de la manière la plus avantageufe l'effet de l'échauffement, fi l'on peut fe permettre cette expreffion, & du refroidiffement de la chaleur acquife, avec celui de la chaleur communiquée. Mais cet objet eft fouvent manqué dans nos fourneaux dans la plupart, l'air froid s'introduit librement dans le foyer, & va frapper le fond de la chaudière qu'il refroidit au lieu de Féchauffer; tandis que, d'un autre côté, une portion de l'air échauffé s'échappe avant de s'être dépouillé de fa chaleur & de l'avoir tranfmife dans la chaudière. (Voyez le n°. 76 cideffous).

15. Il feroit fuperflu de fuivre plus loin cette comparaison, & d'infifter davantage fur des vérités auffi palpables; il fuffit de les avoir indiquées aux Phyficiens, pour qu'ils les fentent. On fe contentera donc de déduire de toutes les confidérations précédentes, un certain nombre de principes. propres à fervir de guide dans la conftruction des machines diftillatoires.

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en général, & plus particulièrement de celle qu'on fe propose de dé

crire.

16. Les principes relatifs à la conftruction des machines diftillatoires, font, 1°. de préfenter la plus grande surface réfrigérante poffible à la liqueur réduite en vapeur; 2°. de lui préfenter continuellement cette furface au plus grand degré de refroidiffement poffible; à cet effet, de faire en forte que l'eau arrive, la plus froide poffible, à la surface réfrigérante & qu'elle refforte le plutôt qu'il eft poffible, parce que dès qu'elle eft échauffée, loin de pouvoir être utile relativement au but de l'opération, elle ne peut plus au contraire qu'y nuire; 3°. de difpofer les chofes de manière, que les vapeurs une fois engagées dans le voisinage du réfrigérant, elles ne puiffent plus retomber dans la chaudière; 4°. de donner très-peu de maffe & d'épaiffeur à la furface métallique réfrigérante, afin que l'eau froide foit appliquée, le plus immédiatement qu'il eft poffible, à la

vapeur.

17. Les principes relatifs à la conftruction des fourneaux, font de faire en forte, 1. qu'aucune portion d'air froid ne puiffe penétrer dans le foyer, & frapper le fond de la chaudière ; 2°. que tout l'air qui s'introduit dans le foyer, traverse en entier, avant que d'y arriver, la maffe de matière embrafée; 3°. que cet air, ainfi échauffé, ne forte du fourneau, qu'après avoir circulé autour de la chaudière dans toute fon étendue; qu'après s'être appliqué, en quelque façon, à tous les points de fa furface, & s'être dépouillé en fa faveur de toute la chaleur qu'il avoit contractée: en forte qu'après être arrivé, le plus chaud poffible, à la chaudière, il en forte le plus froid poffible.

D'un autre côté, la chaudière pouvant être regardée, d'après les principes expofés ci-deffus, comme une espèce de réfrigérant par rapport à l'air échauffé qui la frappe, on conçoit qu'elle doit préfenter le plus de furface qu'il eft poffible; qu'elle doit être formée d'un métal mince, qui, par fa maffe, ne détruife pas une partie de fon effet refroidiffant, &c.

18. On va donner l'application de ces principes généraux, premièrement à la diftillation des eaux-de-vie: fecondement à la folution du fameux problême du deffalement de l'eau de la mer. Les deux machines qu'on va décrire, & qui font, à proprement parler, la même, font fimples & d'une exécution facile; & l'on peut affurer avec d'autant plus de confiance qu'elles rempliront leur objet, qu'elles ont été éprouvées en grand avec le fuccès lo plus complet,

PREMIERE

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