Page images
PDF
EPUB

́Recueil d'Obfervations fur les Volcans & fur la Minéralogie du Kamtfchatka, avec des Notes ;

Par le Baron DE DIETRICH, Correfpondant de l'Académie des Sciences Lues à l'Académie le 21 Août 1779.

M. Scherer a publié en 1774, en Allemand, la description du Pays

de Kamtschatka par George-Guillaume Steller, ancien Membre de l'Académie des Sciences de Pétersbourg, qui y avoit été envoyé en 1738, & qui y avoit paffé plufieurs années. Il périt de froid en route, au moment où il devoit cueillir le fruit de fes travaux, étant en chemin pour s'en retourner à Pétersbourg, après que fes ennemis avoient épuifé toutes les reffources de l'intrigue pour l'empêcher d'y revenir. L'étudiant Kraschenninikoff avoit été envoyé dans le Pays de Kamtfchatka en même temps que ce Savant; il en a publié une defcription. Il fuffit de la comparer avec celle de Steller, pour être convaincu que la moindre partie de cette description appartient à Krafchenninikoff, & qu'il y a même plufieurs faits très-curieux dans les obfervations de Steller, dont il ne fait pas mention; faits qui deviennent d'autant plus intéreffans, qu'ils s'expliquent aujourd'hui par les progrès que la Phyfique a faits. On traduifit la defcription de Kraschenninikoff dans notre Langue en 1767. Cette Traduction forme deux petits volumes in-8°., imprimés à Lyon chez Benoît Duplain, dont la magnifique Traduction de 1768, en deux volumes in-4°., à la fuite du Voyage en Sibérie de l'Abbé Chappe, ne differe que par quelques détails plus étendus fur les rivières du Pays, & par la beauté de l'impreffion & des planches. Dans la même année, l'on a imprimé à Erlang, en François, un abrégé de la defcription du Pays de Kamtfchatka. Depuis M. Rafpe a traduit, en Anglois, en 1774, la relation de l'Archipel du Nord, découvert par les Ruffes dans les mers du Kamtfchatka & d'Anadir, que M. Staëhlin avoit publiée en Allemand; & nous avons une édition Françoife de l'Ouvrage de Muller fur l'hiftoire des voyages & décou vertes faits par les Ruffes le long des côtes de la mer Glaciale & furt l'Océan oriental, tant vers le Japon, que vers l'Amérique; mais ce dernier livre ne contient que l'hiftorique des expéditions. Je réunis ici les obfervations minéralogiques qui fe trouvent éparfes dans ces différens Ouvrages François, Allemands & Anglois, & j'y joins quelques réflexions. Il y a dans le Pays de Kamtschatka deux chaînes de montagnes trèsremarquables; la plus confidérable des deux, qui eft celle de la mer de Pengina, parcourt le Pays entier : elle prend fon origine à dix-huit

werftes (1) de Lopatka, s'étend d'abord du fud-oueft au nord-eft, & à la hauteur du fleuve de Bolfchaya. Elle fe dirige droit vers le nord, & traverse ainfi tout le Pays de Kamtfchatka qu'elle partage prefqu'en deux parties égales du fud au nord. Les montagnes qui compofent cette chaîne font fort élevées; il n'y a que peu de bois au fud & au nord : elles y font même fouvent toutes nues, mais à l'oueft & à l'eft elles font garnies de forêts touffues & vaftes. Vers le nord-eft font les fources du fleuve de Kamtschatka. A l'oueft font les fources de toutes les rivières qui ont leurs embouchures dans la mer de Pengina, parmi lesquelles il en eft un plus grand nombre de remarquables que du côté oppofé; mais elles font en général plus petites, plus profondes & plus rapides, parce que les montagnes font bien moins éloignées de la mer de ce côté que de l'autre. Ces rivières deviennent toujours moins confidérables depuis le fleuve de Bolfchaya jufqu'à Lopatka, & de même depuis ce fleuve jufqu'au Tigil. Dans les endroits où de grandes rivières prennent leur fource, les rangées des montagnes fe doublent, fe triplent, & accompagnent les fleuves depuis leurs fources jufqu'à moitié chemin de leurs embouchures; & là où elles s'approchent fort du rivage en devenant efcarpées, elles élèvent le lit des rivières, & y occafionnent des paffages profonds, rapides & dangereux. C'eft ainfi que les montagnes s'avancent de l'intérieur des terres vers la mer le long du fleuve de Bolfchaya & de Poiftra, où il y a un espace de Pays de plus de vingt milles tout en montagnes. Toute la contrée, depuis le fleuve Bolfchaya jufqu'au lac de Kurilly, & de-là jufqu'à Lopatka, eft de la même nature, ainfi que tout le canton des montagnes avancées de Schipuni & de Kronotzki, qui s'étendent à

l'oueft.

L'autre chaîne de montagnes confidérables fe tire du fud-oueft au nordeft; elle commence au fleuve Gabriela, & s'étend vers le nord-oueft jufques vers les montagnes les plus avancées de Tschuktschi: cette chaîne s'avance avec un grand nombre de pointes alongées dans la mer, & y forme des baies (2) remarquable

(1) Selon l'Abbé Chappe, la werfte a 300 fachènes; la fachène a 3 archines; l'archine a 26 pouces 6 lignes pied de Roi de Paris; la fachène a 6 pieds 7 pouces 6 lignes la werite par conféquent eft de 552 toifes 3 pieds 7 pouces 6 lignes. 103 werftes font égales à un degré du méridien fuppofé de 57060 toifes. D'après des Notes manufcrites, que M. Scherer a eu la complaifance de m'envoyer, on compte 104 Werftes pour un degré. Avant le Czar Pierre Premier, les werftes étoient de 1000 fachènes; elles font même encore ufitées vers les frontières de l'Empire du côté du nord & de l'eft: mais autour de la Capitale, elles ne font plus que de soo fachènes, & on les a indiquées, fur les grands chemins, par de hautes perches fur lesquelles les diftances font exactement marquées.

(2) Krafchenninikoff n'eft point entré dans ce détail au fujet des montagnes de Kamt fchatka; il fe contente d'en donner une très-courte notice. ( Voyez le Voyage en Sibérie de l'Abbé Chappe, T. II, Part. I, p. 1 ).

Outre ces chaînes, il y a beaucoup de montagnes détachées, remarquables & faciles à diftinguer, qui font ordinairement dans les parties où les montagnes avancées s'entaffent les unes derrière les autres & occupent tout le Pays, ou fur les bords de la mer, là où les montagnes forment des baies. Ces montagnes ifolées ont prefque toutes la même figure, la même forme & les mêmes propriétés.

La première de cette efpèce de montagnes, depuis Lopatka, du côté de la mer de Pengina, fe nomme Apalskaja Sopka; on la voit de trèsloin fur mer elle fert aux Marins de guide certain pour trouver le fleuve Bolfchaya. Cette montagne eft à cent werftes au fud-oueft de l'habitation qui eft fur ce fleuve; elle a la forme du foin ou du grain entaffé, en cône: elle brûloit intérieurement, & donnoit beaucoup de fumée autrefois; mais il y a déjà long-temps que ces phénomènes ont ceffé. Elle furpaffe en hauteur toutes les montagnes qui fe trouvent aux environs de la mer de Pengina; elle a à fon fommet un lac fort étendu, & il fe trouve autour & fur le volcan beaucoup d'os de baleine.

Dans la mer des Caftors, à vingt werftes au-deffus du golfe d'Awatscha, eft une femblable montagne, également ifolée; elle eft fituée dans une baie, & n'eft éloignée de la mer que de cinq werftes: elle porte le nom Wiluitfchiskaja-Sopka; autrefois, il en fortoit auffi de la fumée.

de

Le golfe d'Awatfcha renferme auffi trois de ces montagnes coniques, placées les unes à côté des autres, à trente- fix werftes en ligne droite du Port; l'une d'elles porte le nom de Goraëla-Sopka, parce que fon fommet fume toujours; fa plus terrible éruption fut celle de 1737 (3). La feconde eft appellée Straëlefchnaja - Sopka, à caufe des pierres vitreufes qu'on y trouve; c'eft une forte de flux verdâtre dont les Kamtfchadales font des flèches. Le troisième de ces volcans n'a point de nom. Ces hautes montagnes, depuis leur base jusqu'à la moitié de leur hauteur, & même davantage, font compofées d'autres montagnes rangées en amphithéâtre les unes au-deffus des autres. Elles font remplies de bois: mais l'extrémité de leur fommet n'eft qu'un rocher ftérile & couvert de neige (4).

(3).Krafchenninikoff a décrit cette éruption; elle a été accompagnée de phénomènes qui nous font connus par les éruptions du Véfuve & de l'Etna. Les tremblemens de terre furent fi violens, que les Illes voifines les reffentirent. Les eaux de la mer furent vifiblement agitées; la mer déborda, inonda le Pays, & fe retira alternativement à perte de vue, en laiffant le rivage à fec. Des prairies furent changées en collines, des champs en lacs & en baies. Chaque fecouffe étoit précédée d'un murmure affreux, femblable à celui du mugiffement, qu'on entendoit fortir de terre. On reffentit des fecouffes jufqu'au printemps de 1738. Le même Auteur a décrit l'éruption du volcan du Kamtfchatka dont on va parler. M. Faujas de Saint-Fond a inféré ces defcriptions dans fon Difcours fur les Volcans brûlans, qui eft à la tête de fes Recherches fur des Volcans éteints du Vivarais. C'eft par faute d'impreffion que les volcans du Kamtschatka font au nombre des volcans d'Europe, dans fon Ouvrage.

Près de ces volcans en eft un quatrième très-élevé, dont la mer baigne les pieds; il eft à quarante werftes au couchant d'Awatfcha.

Le volcan de Tolbatfchi eft fitué fur la langue de terre qui eft entre la rivière de Kamtschatka & celle de Tolbatfchi; il jette de la fumée depuis plufieurs années. Il y eut en 1739 une éruption; il vomit des flammes & enfuite des cendres, qui couvrirent de tout côté, fur l'efpace de cinquante werftes, la terre déjà couverte de neige.

On voit encore une montagne de la même nature derrière les montagnes avancées de Schipun, vis-à-vis l'embouchure du fleuve Schupanowa fur le bord de la mer : on l'appelle Tfchupanouskaïa-Sopka.

Du côté des montagnes avancées de Kronoski, vers l'ouest, eft la montagne de Kronotskaja-Sopka, également ifolée & pareille aux précédentes (5). De-là, on trouve le volcan qui eft au-deffus du fleuve Kamtfchatka; on le voit très diftinctement des habitations de Wergnoi & de Nifchnoi : il eft plus élevé que toutes les montagnes du Pays de Kamtfchatka, tant celles qui forment les chaînes, que celles qui font ifolées : on le nomme Kamtfchatka-Goraëla-Sopka (6). Il eft plus pointu & plus en forme de pain de fucre que toutes les autres ; il s'en élève conftamment une quantité de fumée très-épaiffe & puante: il vomit quelquefois des flammes avec un craquement & un bruit épouvantable, & rejette une fi grande quantité de cendres & de pierres-ponces, qu'il en couvre le Pays à trois cents werftes aux environs à la hauteur d'un werfchok; on l'a vu jetter des flammes fans interruption depuis 1727 jufqu'en 1731. En 1737, il y eut une éruption des plus effroyables (7): c'est la feule montagne qu'il foit abfolument impoffible de gravir; on parvient avec beaucoup de peine & de danger à monter les autres (8). La rivière de Biakak

(5) Krafchenninikoff place ici un fecond volcan, qui n'a point de nom; en revanche il ne parle pas du troifième volcan, fans nom, de la baie d'Awatfcha, dont Steller fait

mention.

(6) Goraëla est un mot Ruffe, Sopka eft un mot Kamtschadale; tous deux fignifient une montagne enflammée, un volcan, comme l'a obfervé M. le Profeffeur Scherer.

(7) Peut-être, dit Muller dans fes Obfervations géographiques, qui fervent de fupplément à l'Edition que M. Scherer nous a donnée de Steller, qu'on y trouve du fel ammoniac, & qu'on pourroit en préparer avec les cendres de ce volcan, comme on le pratique dans le territoire de Furuchansky, fur la rivière de Charanga. Suivant Pallas, Tom. III, p. 321, Bufching & Lacroix, Furuchanski le nomme aujourd'hui Mangafei. Pallas, en traitant du territoire de Mangafei, ne fait point mention de volcans ni du fel ammoniac que, fuivant Muller, l'on y doit préparer. Ce n'eft point cependant que la conjecture de Muller foit déplacée: car le fel ammoniac eft un produit ordinaire des volcans.

(8) On fait en général combien il eft pénible de parvenir au fommet des volcans encore enflammés ou nouvellement éteints, Les amas de matières pulvérulentes & mobiles, mêlées de fragmens de laves & de pierres difformes, raboteuses & tranchantes,

prend

prend fa fource dans ce volcan, dont la bafe s'étend vers cet endroit jufques dans la rivière même de Kamtfchatka. Les eaux de celle de Biokos font épaiffes & blanchâtres; fon fond eft couvert d'un fable noirâtre, & l'on trouve fur fes bords des pierres fpongieufes de différentes couleurs, & des morceaux de lave.

L'an 1740, à l'arrivée de Steller, il y eut une éruption de flammes confidérables. Les gens du Pays prennent ces éruptions pour un fignal de la révolte; & les Ruffes ont adopté cette fuperftition, parce que les émeutes des Kamtschadales contr'eux ont quelquefois été suivies du succès lorfqu'elles ont été commencées pendant une éruption.

Il doit fortir de temps à autre de la fumée de la montagne de Chevelitfcha, qui eft fituée à vingt werftes de la rive gauche du Kamtfchatka. La fable que les Habitants du Pays racontent de cette montagne, mérite quelqu'attention. Selon eux, elle n'a pas toujours exifté dans la place où elle eft aujourd'hui ; elle doit avoir été autrefois fur le bord de la mer Orientale, là où eft maintenant le lac Kronotzkoi: mais ne pouvant plus fupporter l'incommodité des marmotes qui la rongeoient, elle se tranfporta, en trois fauts, fur le terrein où on la voit actuellement, ayant laiffé deux lacs aux emplacemens où avoient abouti ces premiers fauts. Il eft affez vraisemblable, dit Krafchenninikoff, qu'il y a eu autrefois une montagne dans l'endroit où eft aujourd'hui le lac Kronotzkoi, & que celle de Chevelitfcha, quoique fort ancienne, foit cependant reftée feule comme elle eft, après que toutes les montagnes võifines ont été abîmées (9).

Le volcan de Krafnaja-Sopka ou volcan rouge eft prefqu'à une égale 'distance des fources de la rivière de Howka & de celle de Tigil: le fommet de ce volcan n'eft pas en pointe, mais plat & étendu.

Entre la rivière Outfchiliaguena & l'embouchure de celle d'Echklin eft un rivage efcarpé appellé Keitel, à trois werftes avant d'arriver à l'embouchure de cette rivière; & fur la rive orientale, fon fommet eft

des

pentes

très-efcar

qui couvrent les croupes, en font la caufe; & fi la montagne a pées, il doit en effet être impoffible de les gravir. On n'ignore pas ce qu'il en coûte pour monter au Véfuve, qui eft cependant un des volcans enflammés dont le fommet est le plus acceffible.

(9) Je ne penfe pas, comme Krafchenninikoff, que cette montagne foit reftée seule fur pied, de plufieurs autres qui fe font abîmées. En réuniffant le fens de la tradition à ce que Krafchenninikoff dit de la fumée qui doit fortir de cette montagne, il eft plus naturel de penfer qu'il y avoit en effet des montagnes volcaniques dans les endroits ou font aujourd'hui les lacs; qu'elles fe font éboulées, & que la montagne de où Chevelitfcha s'eft élevée, en très-peu de temps, par une éruption violente: phénomène que l'hiftoire des volcans retrace fouvent.

« PreviousContinue »