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que, à Paris, et deux ou trois châteaux en province. Il faut dire que le diable d'oncle dont il avait hérité avait bien fait les choses. C'était néanmoins jouer de malheur, d'autant plus que Thérèse restait à de Maupertuis, qui, ayant l'éveil, s'était promis désormais de se tenir sur ses gardes et de ne pas trop exposer celle-ci aux attaques désespérées du malheureux marquis.

VII

L'ÉCHELLE DE SOIE

Mais pendant que la fiancée de René devenait dans une nuit de débauche l'enjeu d'une partie de lansquenet, un ennemi inconnu se dressait dans l'ombre contre les deux séducteurs.

Cet ennemi, c'était le jeune comte de Montravel.

On l'a vu se révolter contre la supposition que la fiancée d'un gentilhomme, qu'il avait entendu citer pour son honneur et pour son courage, pût se prostituer pour un homme tel que le chevalier de Maupertuis. Le fait étant avéré, le jeune homme en reçut une profonde blessure. Sans connaitre René, il en souffrit pour lui. D'une extrême jeunesse, et entraîné dans la vie de plaisirs des autres gentilshommes, il était loin de partager comme eux les erreurs de la noblesse et leur mépris pour le peuple. Croyant à la majesté du malheur aussi bien qu'à la majesté royale, il se fût battu pour son roi,

beaucoup plus parce qu'il était malheureux que parce que c'était son devoir.

Il n'en voulait donc pas à René de sa désertion qu'il excusait et qu'il comprenait presque à la vue de l'inconduite de cette noblesse si fière et si arrogante. L'action de Thérèse, qu'il jugea du point où il était placé, lui fit regretter de ne point connaitre René, afin de pleurer avec lui l'ingratitude de celle qu'il aimait.

De Montravel crut René d'autant plus sensible à cet abandon, qu'il fut soudain frappé de la beauté extraordinaire de Thérèse. Il voulut en vain en chasser le souvenir, l'insultant et la méprisant dans sa pensée; ce fut une lutte de tous les instants où sa raison eut le dessous. Il la revit, lui pardonna sans l'entendre, et l'aima d'un amour profond et caché. Bientôt il remarqua sa pâleur, son air maladif, les sombres préoccupations qui, au milieu des plaisirs les plus bruyants, l'isolaient complétement; il devina qu'elle souffrait, et pressentit un malheur. Il étudia tous ses mouvements; et les manières du chevalier de Maupertuis. Au bout de quelques jours, il était convaincu que Thérèse n'était pas coupable, et qu'elle était victime d'un infàme guet-apens. C'est alors qu'il se promit de la venger et de la sauver. Depuis qu'il croyait à l'innocence de Thérèse, son amour avait grandi, et ne se contenait qu'avec peine. Inactif à une époque de tourmente, il était heureux de trouver une occasion de faire quelque chose qui eût un semblant héroïque. Il avait vingt ans. Sa mère lui avait mis au cœur une profonde vénération pour toutes les femmes. Le culte qu'il lui avait conservé était la garantie de son amour pour tous.

Aussi, différant en cela des jeunes gens qui l'entouraient, il croyait à la vertu avant de soupçonner le vice; et se fût avoué le chevalier de la première femme qui fût venue à lui. Le but de sauver Thérèse bien arrêté dans son esprit, il résolut de le mettre aussitôt à exécution. D'abord, il se montra doux, soumis et respectueux pour la jeune fille toutes les fois qu'il se rencontra avec elle. Il eut de ces prévenances dont une femme seule comprend la portée, et lui rendit de ces légers services. qu'une femme ne peut oublier.

Il savait les sujets de conversation qu'il fallait choisir devant elle, et ceux qu'il fallait rigoureusement écarter. Il se trouvait toujours là pour la sauver d'une mauvaise compagnie et lui éviter de méchants propos ou de sots compliments. Jamais il ne l'interrogeait, et faisait mine de ne rien voir quand il apercevait des larmes dans ses yeux. Un jour, il brisa un verre au nez du baron de Sennecé pour détourner son regard trop complaisamment attaché sur elle.

Rien n'échappait à Thérèse qui dans son cœur remerçiait son jeune protecteur.

- Mais à quoi bon, disait-elle, son dévouement ne me sauverait pas.

De Montravel découvrit alors la passion du marquis de Beiram, et il trembla deux fois pour la victime.

Mademoiselle, lui dit-il, le soir même, je vous jure que je suis votre ami. Confiez-vous à moi, et méfiez-vous de Beiram.

-Merci, dit-elle, en souriant, mais la recommandation était inutile.

Tant mieux. Mais moi, me redoutez-vous?

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Quelqu'un arrivait. Ils ne purent cette fois en dire plus long. Mais la voix de Thérèse avait été douce. On sentait que la jeune fille ne demandait qu'à être convaincue pour s'abandonner à son nouveau protecteur.

soir.

Vous ne pouvez rien pour moi, lui dit-elle un

Mais cependant...

- Je suis prisonnière ici, mais toutes les portes s'ouvriraient que je ne chercherais pas à m'évader.

- Voilà qui est étrange.

- Votre estime me fait du bien, dit Thérèse, plaignez-moi, mais ne tentez rien pour ma délivrance, je ne puis l'accepter.

Le jeune comte de Montravel pesa toutes les paroles de la jeune fille, et se tortura l'esprit pour les comprendre sans pouvoir y parvenir.

Elle est malheureuse, victime d'un infâme qu'elle méprise, privée de sa liberté, loin de celui qu'elle aime; je lui offre de la sauver... et elle refuse. Voilà qui confond l'imagination la plus féconde, se dit le comte aux abois.

-

J'y suis sécria-t-il trois jours après cette prière de Thérèse; c'est cela. Comment n'ai-je pas deviné plus tôt ?

Il n'eut pas un instant de repos avant qu'il eût rencontré la jeune fille, et là, l'attirant à l'écart :

- Au nom de l'amitié respectueuse que j'ai ressentie pour vous, au nom de l'intérêt que je vous porte, au nom de votre amour pour le fiancé de votre jeunesse, au

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