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-Mademoiselle, lui dit-il, je connais René; il fut dans un temps mon ami, et je ne l'ai pas oublié. Vous pouvez vous confier à moi et me conter vos douleurs...

Le marquis de Beiram allait continuer, et Thérèse, l'interrompant, se disposait à lui répondre, quand elle sentit qu'elle était surveillée.

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Monsieur, fit elle, je ne vous connais pas; et elle s'éloigna.

Bon, se dit le marquis, me voilà fixé. Elle n'aime plus le vicomte; peut-être ne l'a-t-elle jamais aimé. Si elle ne lui est plus attachée, et elle me l'a prouvé par sa froide réponse, elle s'est livrée à de Maupertuis volontairement. Or, qui se livre à de Maupertuis se donne à de Beiram!

Fier de ce nouveau raisonnement, il rechercha de nouveau Thérèse, et ayant été assez heureux pour l'entraîner dans une pièce où personne ne pouvait les voir ni les entendre, il se jeta à ses pieds et lui parla un langage passionné.

Thérèse eut tout simplemeet peur de ce roué si habile qui s'imaginait si bien avoir touché la corde sensible. Elle l'interrompit et elle lui échappa.

-

Ne me parlez jamais, monsieur, fit-elle; je vous méprise, je vous hais.

- C'est étrange, se dit de Beiram, cherchant à donner un prétexte à sa défaite.

Il crut l'avoir trouvé, et la première fois qu'il rencontra Thérèse, il ne lui parla plus de son amour, il ne dit pas un mot de lui-même. Il ne fut question que du chevalier de Maupertuis.

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J'ai tout deviné, lui dit-il, c'est un misérable, il

vous a attirée ici dans un piége infâme, et il ne vous y retient que par l'effroi qu'il vous inspire. Ne craignez rien. Il n'est point aussi redoutable que vous pourriez le croire. Je me charge de vous en délivrer, moi, pour peu que vous ayez confiance dans mon dévouement.

Thérèse détourna la tête, et refusa d'en écouter davantage.

La seconde fois, elle hésita; et devinant un sourire de joie sur les lèvres du marquis qui, certain de son triomphe, redoublait d'éloquence, elle se contint encore et ne répondit pas.

Puis un jour, obsédée, elle éclata :

Eh bien, oui, fit-elle, j'ai été trompée, retenue par la force; oui, ici je ne suis que prisonnière et je n'aspire qu'à ma liberté; oui, je hais votre chevalier de Maupertuis, et je le voue à la vengeance des miens; oui, je suis malheureuse, perdue, la mort me semblerait un bien, un refuge contre mon horrible situation. Tout cela est vrai. Mais ce qui l'est aussi, c'est que dans ma haine je confonds tous ceux qui m'approchent, tous ceux qui assistent à ma honte, tous ceux qui peut-être l'ont combinée avec lui. Je vous hais tous, autant que lui, plus que lui. Vous vous valez, vous êtes tous dignes de vous entendre. Vous, marquis de Beiram, ce n'est pas la première fois, croyez-le, que votre nom frappe mon oreille. Depuis longtemps, dans ma pensée, il est synonyme de débauché, de séducteur méprisable, pour qui rien n'est sacré. Laissez-moi, je ne vous connais pas.

Thérèse ne savait pas dire vrai. Elle n'invoquait ici qu'un bruit vague. Elle ignorait encore avoir devant elle le séducteur de Suzanne.

Le marquis de Beiram ne se tint pas néanmoins pour battu et revint à la charge, mais repoussé avec plus de violence, il se tourna d'un autre côté, et s'adressa au chevalier de Maupertuis.

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N'es-tu pas bientôt las de ta nouvelle conquête? lui

Non, fit l'autre.

Tant pis.

- Que veut dire cette expression de regret?

Elle signifie que moi je suis las de ma propriété de Fontenay.

Allons donc, une propriété charmante.

- C'est vrai.

cieux.

Grandiose, des bois de hautes futaies, un parc déli

- C'est vrai.

- Une route royale, une rivière, un lac, que sais-je, des massifs adorables, du poisson et du gibier. On ne se lasse pas ainsi d'une semblable habitation, surtout quand on la tient récemment comme toi d'un vieil oncle, qui a été assez bète pour se laisser mourir, ayant derrière lui pour plusieurs millions de revenus.

Que veux-tu, c'est peut-être parce qu'elle ne m'a rien coûté que j'en suis las.

Et tu veux vendre?

Non, je veux jouer.

-Jouer, grand Dieu! et contre quoi?

Il faut dire que le chevalier de Maupertuis adorait la propriété. Paysan dans la force du terme, il n'avait pas un louis vaillant qu'il achetait un pouce de terrain de plus. Il ne rêvait que s'agrandir, puis s'arrondir et s'al

longer. Une nuit qu'il était ivre, et qu'il avait gagné quelques ducats à la bassette, il demandait si la Normandie était à vendre.

Or, depuis longtemps il lorgnait la propriété de Fontenay que le marquis de Beiram possédait, comme nous avons dit depuis peu.

De Maupertuis avait des domaines qui ne le cédaient en rien à cette propriété, ce qui ne l'empèchait pas de s'écrier toutes les fois qu'il apercevait de Beiram :

-Heureux de Beiram! heureux propriétaire de Fontenay! seigneur tout puissant des domaines de Fontenay! heureux de Beiram.

Ce dernier se frottait les mains, et se disait à part lui, je te vois bien venir, chevalier, mais tu perds ton temps, chevalier, tu ne l'auras pas.

Cette fois, il en était bien différent, et de Beiram abordait de Maupertuis avec une idée bien arrêtée.

Jouer, jouer la propriété de Fontenay, et contre quoi, grand Dieu! répétait de Maupertuis.

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Contre celle de Villa-Seymour.

Oh! non.

Contre celle des Rochers-d'Arpaigny.
Oh! non.

Du moment qu'il s'agissait de propriété contre propriété, le chevalier de Maupertuis n'eût jamais consenti, quand bien même la sienne eût valu cent fois moins. -On ne se sépare pas ainsi d'un champ qu'on à défriché, disait le chevalier.

Eh bien, s'écria de Beiram, je te joue ma propriété contre une femme.

Contre une femme! s'écria l'autre, es-tu fou?

Est-ce dit?

Mais quelle femme vaut Fontenay, dit de Mauper

tuis en riant.

Ta nouvelle maîtresse.

Le chevalier se mit à rire.

-La proposition est plaisante, dit-il.
-Tu sais que je suis un original.

Je ne te le savais pas à un tel point.
Consens-tu?

-Permets-moi de réfléchir, fit de Maupertuis se grattant l'oreille, que diable! ça demande réflexion. Car enfin, si je perds...

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-Ah! dam! j'aurai la propriété, je serai seigneur de Fontenay. C'est toi, mon cher, qui l'auras voulu.

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Est-ce fait?

Eh bien, oui, cria de Maupertuis, que décidément la propriété tentait.

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-Non, cette nuit, dans la galerie Fragonard.

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Le lendemain, le marquis de Beiram apparut pâle, défait, négligé dans sa toilette, l'œil abattu, le front moite, l'air consterné. Il avait perdu dans la fameuse nuit sa magnifique propriété de Fontenay, celle de Maillebois, celle de Visconti, celle de la Roche-d'Aigues; une villa à deux lieux de Saint-Germain, hôtel de Brissac, rue du Vieux-Versailles, et cinq cents ducats. Il ne lui restait plus qu'un grand hôtel rue Saint-Domini

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