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Sans doute, répondit de Maupertuis, si nous le voulons bien, nous empêcherons ce mariage.

Je ne crois pas, monsieur, dit de Montravel, d'Aubersac est un méridional, il est tétu, et il aime fort cette belle fille.

Eh bien, soit, mais nous rendrons alors ce mariage si odieux, que s'il se fait, il déshononera à jamais celui qui le fera.

Et pourquoi déshonorer d'Aubersac?

De Maupertuis se leva la haine dans les yeux.

Parce qu'il nous a tous déshonorés en déshonorant la noblesse.

- C'est vrai, dirent tous les convives, l'idée est bonne, mais comment faire?...

C'est bien simple, répondit de Maupertuis. Cette fille, comme toutes ses pareilles, est ambitieuse. C'est ce qui fait son dévouement pour l'homme qu'elle espère duper. Ne croyez pas à l'amour de ces filles-là. Que quelqu'un se présente, mieux appuyé en fortune et en position que d'Aubersac, et elle l'acceptera.

Le comte de Montravel regardait de Maupertuis avec effroi.

Le marquis s'aperçut de ce froid regard braqué sur lui, et se tournant vers le tout jeune homme.

Ne trouvez-vous pas, monsieur de Montravel, que cette fille-là a toutes les qualités requises pour faire. une adorable maîtresse, dit le chevalier avec affectation.

-Je ne la connais pas, répondit le comte sèchement.

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Mais vous avez eu un instant l'envie de la défendre. avec une chaleur...

- Parce qu'elle était insultée gratuitement, mais je ne l'ai jamais vue.

Eh bien! monsieur le comte, félicitez-vous, demain vous la verrez.

Demain?

- Demain, ainsi que tous ces messieurs, du reste, ajouta le chevalier se tournant vers tous les convives. - Demain, répéta de Montravel.

Ici même, à cette table, au milieu de cette réunion. - Si tu fais cela, de Maupertuis, s'écria le marquis de Beiram, avec un air de doute qui n'échappa à aucun des convives, je te déclare le roi des roués.

- Buvons donc à ma royauté, s'exclama le chevalier, car je me regarde comme un roi heureux. La ravissante fiancée de d'Aubersac, la future comtesse n'est rien pour moi aujourd'hui, demain je vous présenterai: la divine maîtresse du chevalier de Maupertuis.

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Je ne vous crois pas, dit le comte de Montravel, à qui l'âge fit excuser, tout ce que ce doute avait de blessant pour l'honneur du chevalier.

Monsieur, vous serez demain des nôtres, dit simplement et froidement le chevalier.

VI

UN ÉTRANGE ENJEU

Le lendemain on attendait la soirée avec impatience. Tous avaient entendu parler de la beauté de la fiancée de René et de l'amour passionné qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Quelques-uns même l'avaient vue et les avaient vus ensemble. Leur pensée avait été celle qu'il n'était pas de femme à la cour dont la beauté égalât celle de cette fille du peuple; et que tous deux s'aimaient à la folie.

On ne pouvait donc croire à la promesse du chevalier de Maupertuis. Cependant, son assurance, jointe à son nom, à sa fortune, à sa position d'attaché secret à la haute police directe de la royauté, et surtout à sa réputation de Lovelace heureux, chassait le doute dans la pensée des plus incrédules.

Deux hommes seulement persistaient à douter ces

deux hommes étaient le comte de Montravel et le marquis de Beiram.

Le premier, par la bonne opinion qu'il avait des femmes, le second par la mauvaise qu'il avait du chevalier de Maupertuis.

Ce dernier était un Lovelace, il est vrai, mais un Lovelace incompréhensible.

Sa galerie comptait les portraits des plus jolies femmes de Paris, mais de toutes ces femmes qu'il avait possédées, pas une seule ne l'avait aimé.

On citait ses bonnes fortunes, on aurait été bien en peine de citer une passion, ni même un caprice qu'il aurait fait naître.

On lui cédait sans amour on le quittait sans haine. C'était un bel homme, cependant, payant de sa haute taille, de son visage et probablement de sa bourse.

L'histoire assurait qu'il ne payait pas autrement, et qu'il avait bien tort de compromettre les femmes

Mais le chevalier de Maupertuis était un habile duel ́liste, un homme bien en cour, et un homme redoutable, on se taisait autour de lui.

Si l'on n'avait vu que des ingrates à son bras, on parlait tout bas de ses victimes; victimes autres que celles que fait l'amour et que sa justice avait condamnées. L'histoire en question ne s'était donc jamais ébruitée. Le chevalier de Maupertuis restait pour tous un séducteur étourdissant de bonheur et un don Juan de premier ordre.

-Messieurs, avait dit la veille le chevalier, demain orgie complète; amenez des femmes, je vous présenterai la mienne.

Or, l'heure désignée était sonnée. Douze ou quinze gentilshommes étaient arrivés et devisaient entre eux.

Sept ou huit femmes, dans des toilettes splendides et originales se promenaient dans les salons; elles devaient être belles à en juger par leur taille avantageuse, leur port hautain, leur buste souple, flexible, et leur tournure aristocratique.

Elles devaient être jeunes à en juger par leur col gracieux et un peu long, leurs épaules rondes et admirablement modelées, la naissance d'une poitrine large, bombée et qui mal dissimulée par un fin tissu resplendissait d'une éclatante blancheur.

Il était de nécessité de juger par les apparences, car, par un raffinement de volupté, toutes ces femmes étaient masquées, et devaient s'abandonner aux plaisirs le masque sur le visage.

Le marquis de Beiram entra, et se convainquant de l'absence de Maupertuis, se jeta sur un canapé et attendit.

-Ce n'est pas possible, se dit-il, de Maupertuis en sera pour sa fête et probablement pour ses frais au dehors.

En ce moment paraissait le chevalier de Maupertuis. A son bras était une femme de haute taille, vêtue avec magnificence, mais dont un masque de soie cachait les traits du visage.

Tous les gentilshommes s'étaient levés, et les femmes s'étaient rangées à la vue de Maupertuis.

On se parlait tout bas, et l'on s'interrogeait.

-Ce n'est pas elle, disait-on, ce ne peut pas être elle.

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