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ment. Je pense, en outre, que vous ne serez pas mécontente du lit que j'ai fait porter dans votre chambre. Quant à concevoir quelque crainte pour la nuit, rassurez-vous. Deux factionnaires veillent à la grande porte; plusieurs valets me répondent sur leur tête du moindre esclandre; les fenètres sont hautes et le pavé anguleux. - Je suis donc prisonnière ! s'écria Thérèse.

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- Point de vilains mots, dit tranquillement le chevalier; une charmante enfant comme vous, prisonnière, allons donc !

Et se tournant vers elle avec un sourire apprêté :

Combien voulez-vous d'esclaves à votre service?

Je veux; je veux ma liberté ! s'exclama Thérèse, que la douceur du chevalier épouvantait plus que ne l'aurait fait de dures paroles.

· Demain, dit-il en se levant lentement et en se dirigeant tranquillement vers la porte opposée à celle qu'il avait désignée, demain j'aurai l'honneur de vous faire demander la faveur d'un entretien. Peut-être, et je l'espère, aurais-je le bonheur d'être mieux compris qu'aujourd'hui.

Une porte s'ouvrit et se referma lourdement. Le chevalier de Maupertuis avait disparu.

— C'est horrible! se dit Thérèse, se tordant les mains de désespoir, René aux mains de ses bourreaux, et moi, moi, à la disposition de cet homme.

Une draperie se souleva, et un domestique en riche livrée se montra.

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J'attends les ordres de mademoiselle, dit-il d'une voix respectueuse.

Thérèse fit un signe négatif.

Laissez-moi, dit-elle, je n'ai besoin de rien.

Celui-ci s'éloigna, la draperie retomba et Thérèse se retrouva dans la solitude, le cœur torturé par un monde de pensées.

Le soir même de cette scène, dans une pièce retirée d'un petit hôtel isolé du boulevard de la Reine, un souper avait lieu. Ce souper, qui se récidivait chaque soir dans ce même endroit, chaque soir aussi dégénérait en orgie. C'était une orgie de grand seigneur, où le vin, le jeu et les femmes faisaient merveille. C'est une chose déplorable à avouer, mais la conduite de la noblesse, à cette époque, appartient à l'histoire aussi bien que celle du peuple. Tous les nobles, qui n'avaient pas émigré, tous ceux qui n'étaient pas à Coblentz, prêchant la guerre extérieure et la guerre civile, allumant les partis, réchauffant les vieilles haines et menaçant leur propre pays, tous ceux qui n'étaient point des misérables, avides du sang français, étaient des lâches enfermés au fond de leurs hôtels ou de leurs châteaux, des lâches prophétisant, au bruit de leurs festins honteux, la ruine publique, le règne du despotisme et la venue de l'étranger. Il y avait certes les exceptions: le vicomte René d'Aubersac, Hérault de Séchelles et plusieurs autres relevaient par leur conduite leur caste déshonorée.

Mais pour un homme de cœur, que de tristes hères. C'étaient donc là ces grands seigneurs, ces noms illustres, ces guerriers, ces diplomates, ces défenseurs zélés d'une royauté légitime. Le droit divin, préjugé, sottise, ridicule drapeau avec les haillons duquel on affublait nos grands-pères au berceau.

Or, par le temps où toutes les poitrines d'hommes

battaient pour la chose publique, où toutes les tètes ardentes s'enthousiasmaient pour la patrie en péril, où tous les fronts intelligents pensaient, où tous les bras agissaient, quelques grands seigneurs se réunissaient dans un coin de Versailles pour s'enivrer et rire au fond du verre de l'enthousiasme général.

Ce soir-là le souper n'avait pas été moins joyeux qu'à l'ordinaire. On s'était entretenu des discours de l'Assemblée et des personnages de la révolution. On avait trouvé bien profondément ridicules certains hommes comme Vergniaud, Louvet, Condorcet et autres, des gens de rien, sans nom, sans patrimoine, sans éclat dans le monde, et qui déclaraient que tout homme était libre, comme s'il n'avait pas de tout temps existé deux classes dans la société l'une nombreuse et misérable, composée de peuvres hères condamnés à tous les rudes labeurs, et sans autres droits que celui de vivre quand elle le pouvait; l'autre, restreinte dans le nombre, mais opulente, et joignant à la fortune tous les priviléges; comme si aussi l'homme pouvait se gouverner seul, sans qu'une main de fer s'appesantit sur lui, sans lois arbitraires, sans soldats, sans geôliers, sans bourreaux. C'étaient-là de la folie et de radieuses utopies dont l'étranger allait faire justice.

Ils ne se trompaient pas tout à fait, nos marquis; mais l'Europe décimée apprit aussi à ses dépens que la justice coûte cher. La conversation variant à l'infini, le nom du vicomte René d'Aubersac se trouva sur le tapis. Le chevalier de Maupertuis, qui présidait en quelque sorte la soirée, résolut de ne point le laisser tomber.

-Messieurs, disait à propos le marquis de Beiram, je

déplore avec vous la retraite de d'Aubersac, mais je ne puis m'empêcher de lui reconnaître les qualités essentielles qui font le gentilhomme.

Allons donc! dit de Maupertuis, lui qui a déserté la cause de son roi.

Je reconnais ses torts; mais souvenez-vous que c'était un des meilleurs officiers de notre armée.

- Du reste, dit un des convives, il ne fait plus partie des nôtres. C'est un transfuge, il n'a plus droit à notre estime.

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Son père, le duc, et son aîné, le marquis, l'ont depuis longtemps renié.

N'a-t-il pas été cause, dit un autre, du suicide de son cadet?

J'ignore cette histoire, dit le marquis de Fontange. Mais oui, répondit-on, le comte d'Aubersac s'est suicidé dans un incendie terrible qu'il avait allumé luimême dans un accès de désespoir.

- Dites de démence, fit un tout jeune convive que l'on nommait le comte de Montravel.

Cette parole ne fut pas relevée, et la conversation

continua.

Le vieux duc n'est-il pas en Suisse? demanda de Beiram.

Non, dit de Maupertuis, il est à Coblentz, où son fils, le marquis, dit-on, l'a rejoint dans un si piteux état, que chacun oubliant ses propres douleurs s'est ému de pitié pour une aussi grande infortune.

Il était blessé ?

Mais non... je crois qu'il était fou.

- A propos, monsieur, dit de Maupertuis, connaissez

vous une nommée... attendez donc, mais aidez-moi donc, le nom ne me vient plus.

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Mais vous la connaissez : Thérèse, Thérèse.

C'est cela, une nommée Thérèse Bideauré.

N'est-ce pas la fille d'un homme qui a fait tant parler de lui?

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Justement, l'assassin de Gameirio.

Mais c'est la sœur de la Palférine, la séduisante Palférine.

Je ne savais pas cela.

Bien belle fille, dit-on.

Dites une des plus jolies femmes de Paris, s'écria le baron de Sennecé.

De Beiram, pendant ces quelques mots, n'avait pas soufflé.

Il pálit un moment et la sueur lui coula du front.
Mais se remettant aussitôt.

Eh! mais, dit-il, c'est la maîtresse du vicomte d'Aubersac.

Dites sa fiancée, fit le comte de Montravel avec humeur.

Messieurs, si vous touchez à la vertu des femmes, vous vous ferez un ennemi de notre jeune comte, fit le marquis de Beiram tout à fait remis.

De Montravel a raison, dit de Maupertuis, la jolie fille en question n'est que la fiancée de d'Aubersac. Tellement sa fiancée, qu'il l'épousera sûrement si nous n'y mettons ordre.

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