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monde, vous ne pouvez avoir d'autres principes. Perdue pour perdue, mieux vaut ne pas m'abandonner à de folles espérances. » Vous voyez si seul, je puis quelque chose pour elle, mais ce soir, ajouta le marquis, vous allez paraître devant elle, vous serez à mon bras, vous m'accompagnerez. Votre vue la décidera à l'instant. Êtes-vous sûr?

Comment supposer qu'elle doute de l'homme dans lequel vous avez placé votre confiance. Elle vous suivra. Je lui parlerai. Mes plans sont tracés. Cette nuit même elle sera réunie à vous, et la même voiture qui seule vous a amenée, vous ramenera toutes deux à Paris.

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Que Dieu vous entende! exclama Marthe, qui pensa à la joie qu'allait éprouver René en retrouvant Thérèse.

V

COMMENT ON SAVAIT S'AMUSER ET SE VENGER

Le plus étrange dans tout ceci, c'est que le marquis ne mentait qu'à moitié. A quoi bon mentir, puisque la vérité le servait si bien. Thérèse en effet était tombée au pouvoir d'un infâme. Il se nommait le chevalier de Maupertuis. Ce chevalier, gentilhomme de l'ancienne cour et homme plus orgueilleux et haineux que débauché, avait occupé quelque temps des fonctions secrètes auprès de Louis XVI. C'était lui qui avait envoyé des agents pour dépister René d'Aubersac. Apprenant que le jeune homme était pris, et recevant en même temps de sa majesté royale l'ordre de ne plus sévir, vu l'état alarmant du moment, il avait à son tour donné des ordres pour que René fut mis en liberté, se réservant de s'en débarrasser d'une autre manière. En conséquence,

il avait mis en avant ses limiers de première classe, tel que le comte de Francheville. Ce dernier, comme on sait, avait payé pour tous.

L'imbécile! s'était écrié de Maupertuis, il ne m'a pas compris.

Mais sachant le comte de Francheville de l'autre monde et le vicomte d'Aubersac en liberté dans celui-ci, quelle avait été sa surprise quand on était venu l'avertir que ce même vicomte était détenu prisonnier à Paris depuis deux jours. Il se sera fait reprendre, se dit le chevalier, les sots, n'avons-nous pas maintenant assez d'ennemis sur le dos, sans envenimer les choses? Il attendit le vicomte d'Aubersac, se promettant d'excuser ses agents auprès de lui, et prit d'avance un visage aimable et souriant. Celui-ci fut amené.

Le chevalier de Maupertuis bondit sur son fauteuil. Il connaissait de longue date le vicomte d'Aubersac, et il ne ressemblait en rien au jeune muscadin qu'il avait devant lui.

C'est vous qui vous nommez le vicomte d'Aubersac? dit Maupertuis.

brève.

Moi-même, monsieur, dit Thérèse d'une voix

Le marquis fit signe aux agents de s'éloigner, puis quand il fut seul en présence de Thérèse, il se jeta dans son fauteuil riant aux éclats et regardant la jeune fille en face. Celle-ci commença à trembler.

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Les yeux ravissants que vous avez, monsieur le vicomte, fit le chevalier dont l'hilarité redoublait.

Thérèse sentit la rougeur lui monter au front, et elle baissa la tête.

Il se leva et voulut lui passer la main sous le men

ton.

Monsieur, dit Thérèse avec dignité et se reculant de quelques pas, puisque vous avez découvert la supercherie, il est inutile de poursuivre cette comédie plus longtemps.

Quoi! vous n'ètes pas le vicomte d'Aubersac? fit le chevalier de Maupertuis avec semblant de colère. Thérèse haussa les épaules.

Le chevalier appela :

Reconduisez-moi monsieur dans sa prison, dit-il aux agents. Vous me répondez de sa personne, ajouta-t-il d'un ton sec.

Ce fut plus de deux heures après que Thérèse fut reconduite devant lui.

Mademoiselle, lui dit-il, si j'ai été un peu sévère pour vous tout à l'heure, veuillez me le pardonner. J'étais outré de la bêtise de mes agents et du peu de succès de mes combinaisons. Vous devez comprendre que lorsque l'on est certain de tenir un prisonnier d'état, il en coûte de se voir déchu dans un espoir aussi légitime. Maintenant, vous me voyez rassuré. Pendant que ces idiots vous acceptaient comme étant celui qu'ils avaient l'ordre de saisir, d'autres agents s'emparaient de M. le vicomte en personne.

Ce n'est pas possible! s'exclama Thérèse.

Très-possible, dit tranquillement le chevalier; en voici les preuves, des pièces à l'appui : l'ordre d'arrestation d'abord, les rapports des agents. Tenez en voici un qui relate l'affaire au complet. M. le vicomte d'Aubersac a été arrêté à minuit et quelques minutes, dans sa

demeure. Il sortait du club; il s'était encore attardé en route et rentrait chez lui. Vous voyez que la chose est assez claire et assez rassurante pour moi, continua le chevalier. Je vous avoue qu'un instant j'ai été effrayé. Songez qu'il s'agit d'un prisonnier important, je vous le répète, et votre dévouement que j'admire maintenant tout à mon aise, depuis que je ne le crains plus, a failli me mettre dans un bien cruel embarras.

Thérèse était d'une pàleur livide.

Le sort de René est-il en votre pouvoir? demandat-elle au marquis avec des sanglots dans la voix.

Entièrement.

- Et vous aurez le courage de le persécuter?

Le vicomte d'Aubersac a trahi son Dieu et son roi, dit le chevalier de Maupertuis d'une voix sévère : il a brisé son épée de gentilhomme, et, par son infâme conduite, il est de ceux qui, dans ces derniers temps, ont le plus déshonoré la noblesse. Il mérite un châtiment.

Thérèse regarda cet homme à deux fois pour savoir ce qu'elle devait croire et rejeter de ses paroles.

--

Passez dans cette pièce dont la porte est entr'ouverte, dit alors celui-ci, vous y trouverez les habits de votre sexe. La bienséance ne permet pas que vous restiez plus longtemps costumée de la sorte.

Mais, à quoi bon? Venue ainsi, ne puis-je...

Faites ce que je vous dis. Cette pièce et cette autre chambre sont à votre disposition et constituent votre appartement. Les habits que vous trouverez sont les vôtres. Si quelque chose a été omis, appelez, et deux domestiques sont à vos ordres. Vos heures de repas sont réglées, et vous avez toute liberté dans votre apparte

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