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petite chambre, et courait au Palais-Royal. Le marquis avait toujours quelques bonnes nouvelles à lui apprendre. C'est ce qui entretenait la jeune fille dans l'espoir qui s'était emparé d'elle au premier mot qui lui avait été dit de Thérèse. Elle était jeune, naïve, elle ne doutait de la parole de personne.

Il faut avouer que celui-ci n'avait jamais parlé à la jeune fille un autre langage que celui qu'il lui avait tenu le premier jour. Il était question de Thérèse, et rien de plus. Marthe n'avait vu dans le marquis de Beiram qu'un homme de bien qui s'était juré d'accomplir une bonne action; et le marquis n'avait rien fait qui pût faire supposer à Marthe qu'elle s'était trompée. Aussi, bientôt sa confiance s'accrut-elle en ce dernier à un tel point, qu'elle appartenait tout entière à cet homme. Celui-ci s'en aperçut. C'était le point qu'il désirait atteindre. Sûr alors de réussir dans le projet qu'il avait combiné, il le mit à exécution; et la confiance de Marthe lui prouva qu'il ne s'était pas trop avancé.

Le soir de cette journée, René et Marcel ne virent pas Marthe, le lendemain, ils se demandèrent avec stupeur ce qu'elle était devenue, et s'ils allaient se mettre encore à la recherche de celle-là comme de Thérèse.

Le marquis de Beiram n'avait point perdu de temps. Le jour où Marcel et René d'Aubersac se désolaient de la disparition de Marthe, comme cinq mois auparavant ils s'étaient désolés de celle de Thérèse, la jeune fille était en sa possession.

Il faut aviser à l'instant même, lui avait-il dit.

Une voiture attendait rue Richelieu. Le marquis y fit monter la jeune fille.

Elle voulut faire une objection, le marquis la prévint.

Vous serez de retour avant ce soir, dit-il.

La voiture prit par la rue Saint-Honoré et gagna les quais par la place de la Révolution. Elle traversait ensuite Auteuil, le Point-du-Jour, Billancourt et s'arrêtait à Sèvres. Marthe déjà inquiète s'aperçut qu'on changeait les chevaux.

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- Mais où me menez-vous? demanda-t-elle.

Vers votre amie.

Vous le jurez.

Ce doute n'est pas digne de votre cœur, dit le marquis d'un ton sentencieux.

La voiture roula de nouveau. Elle traversa avec rapidité la ville, brûlant le pavé, et ne se ralentissant pas sur la grande route. Les premières maisons de Châville apparurent à Marthe.

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Est-ce ici? demanda-t-elle avec inquiétude.

Pas encore... mais bientôt.

Marthe ne parut pas rassurée.

Les maisons avaient disparu. C'était la campagne qui se dessinait des deux côtés de la route. Des pelouses vertes, peu accidentées, divisées par des palissades en bois et rappelant les sites brumeux et peu réjouissants des campagnes de l'Angleterre. Le crépuscule du soir, colorant d'un rouge ardent l'occident assombri et jetant aux deux horisons des ombres épaisses, ajoutait à cette ressemblance. Marthe se sentit prise soudain d'un froid au cœur, et sa tête retomba attristée sur les coussins de la voiture.

Si on me trompait, se dit-elle.

Quelques maisons se groupaient des deux côtés. Elle interrogea le marquis.

Non, fit celui-ci, mais nous y touchons, à notre but. Dans dix minutes nous sommes arrivés. lci c'est Viroflay, et nous descendrons à Versailles.

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Versailles est une belle ville, mon enfant, que la royauté regrette. Une ville où la noblesse se plait mieux qu'à Paris, dit le marquis, qui devina la pensée de l'enfant.

- Oui, oui, je sais, dit Marthe.

La barrière était franchie, encore quelques secondes et l'avenue de Paris disparaissait. La voiture alors traversait la place d'armes, passant devant le château de carte de Louis XIII dissimulant le palais de marbre de Louis XIV.

Arrivé près de la rue des Récollets, le cocher parut indécis.

-

bord.

Boulevard de la reine? demanda-t-il.

Non, fit le marquis, rue du Vieux-Versailles d'a

Le cocher comprit.

Il tourna bride, longea la rue de la Chancellerie, passa devant l'ancien hôtel de la guerre, détourna à la rue de Gravelle, coupa par la rue du Jeu-de-Paume, et faisant trembler les vitres de la fameuse salle à jamais célèbre, joignit la rue du Vieux-Versailles. Il s'arrêta devant la porte cochère d'un petit hôtel dont les fenêtres et les contre-vents étaient hermétiquement fermés. Audessus de la porte on lisait : Hôtel de Brissac.

Le marquis de Beiram tenait cet hôtel du vieux duc de Brissac, et, jugeant plus prudent, par le temps qui courait, de ne pas afficher son nom, laissait celui du vieux duc rayonner sur la pierre vermoulue. Du reste, il lui appartenait depuis peu. Après avoir été ruiné, comme on s'en souvient, et avoir abandonné Versailles, il avait fait un nouvel et immense héritage qui le remettait à flot et lui permettait de reparaître à Versailles et de se jeter dans de nouvelles aventures. Cet homme, qui parfois composait avec l'émeute et frissonnait à la pensée de la révolution, dans d'autres moments l'oubliait complétement et redevenait l'homme de l'ancien régime, l'homme qui avait été le séducteur de Théroigne de Méricourt et de Suzanne Bideauré.

La lourde porte s'ouvrit, la voiture pénétra dans l'intérieur, et le marquis, sautant sur le pavé, offrit galamment la main à Marthe qui ne savait si elle devait se réjouir ou se désoler de son arrivée. Quand elle eut gravi les marches d'un superbe escalier éclairé par des lampes d'argent suspendues à la voûte de marbre par des étoffes de soies lamées d'or, et qu'une porte lourde roulant lentement sur ses gonds se fût refermée sur elle, Marthe se retrouva seule avec le marquis dans une grande pièce meublée de chêne, tendue de damas vert et d'une imposante simplicité. De Beiram lui désigna un siége et s'assit respectueusement à quelques pas d'elle.

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Vous souvenez-vous bien de toutes mes paroles, mon enfant lui dit-il, et avez-vous toujours toute confiance en moi?

Puisque je suis ici, fit Marthe, qui baissa la tête et fut prête à pleurer.

- Mon enfant, reprit le marquis de Beiram, qui, enveloppé dans une longue houppelande, les cheveux sans poudre et négligés, le visage sérieux et la parole grave, avait plutôt l'air d'un père de famille que la mine d'un séducteur, mon enfant, écoutez-moi bien, je vais vous répéter, en partie, ce que vous savez déjà, afin de bien vous convaincre de la nécessité de votre personne et de votre confiance. Thérèse est tombée dans les mains ou plutôt elle a été livrée dans les mains d'un misérable qui a juré son déshonneur. La malheureuse lutte et luttera jusqu'à son dernier souffle. Mais un moment viendra, et ce moment approche, où ses forces l'abandonneront et où il lui faudra céder. Comme le physique, le moral s'épuise dans ce combat horrible de la vertu contre l'infamie, déshonorée, Thérèse se tuera.

O mon Dieu! laissa échapper la pauvre Marthe, ô vous, monsieur, vous ne ressemblez pas à ce méchant homme, vous la défendrez, vous l'arracherez à la mort et à l'ignominie!

Je ferai mon possible comme je l'ai fait déjà, répondit froidement le marquis, mais jusqu'ici mes efforts ont été impuissants, parce que je n'ai pas été secondé. Ami du séducteur, j'ai été suspect aux yeux de la malheureuse. Viveur moi-même, il faut l'avouer, et de cette classe que la fille du peuple a entendu condamner, je ne devais lui inspirer aucune confiance. Touché de ses larmes, de son désespoir, le cœur ému à la vue d'une désolation aussi grande, je lui ai tendu les mains, je lui ai crié Sauvez-vous! Elle m'a regardé avec stupéfaction. « Je ne vous crois pas, a-t-elle dit, je vous hais, je vous méprise à l'égal de mon bourreau. Vous êtes du même

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