Page images
PDF
EPUB

dans le tumulte de l'émeute, échappé à la vigilance de Suzanne.

Depuis, toutes les démarches avaient été infructueuses; on n'avait jamais pu retrouver sa trace.

Le patriotisme de la pauvre Marthe souffrait tous les jours, de la souffrance intime de son frère et de celui qu'elle considérait comme tel, et c'est à peine, depuis la disparition de Thérèse, si elle prenait intérêt à la chose. publique.

Elle négligeait jusqu'à ses fleurs, qu'elle arrosait si bien autrefois tous les matins.

Un soir, elle s'était endormie sans sourire au ciel bleu qui ranimait souvent, cependant, l'espérance dans son âme attristée, sans jeter un regard attendri sur la cage où s'ébattaient l'essaim joyeux de ses petits oi

seaux.

Les petits oiseaux que Thérèse aimait tant à nourrir de ses mains et rafraîchir de ses lèvres.

Mais il vint un moment où, sans motifs apparents, Marthe se montra toute différente. Elle jouait avec ses oiseaux, elle arrosait ses fleurs, elle en prenait même un soin particulier; elle souriait au soleil qui entrait tout joyeux dans sa petite chambre; elle interrogeait le ciel, et faisait la moue aux gros nuages gris qui assombrissaient et menaçaient de lui troubler sa journée. Depuis longtemps on ne l'avait vue ainsi. Si ce n'eût été le pli qui contractait son beau front, on eût juré qu'elle était heureuse. Elle ne l'était pas cependant, la gentille Marthe, mais elle espérait... L'espérance, la consolation de tous les affligés, le dernier mot des persécutés, descendait lentement dans son cœur et envahissait tout l'espace

que remplissait autrefois la douleur. Une après-midi, on frappait discrètement à sa porte, et un homme jeune encore se présentait.

Mademoiselle, fit-il, je viens vous trouver de la part du marquis de Beiram.

- Du marquis de Beiram, répéta Marthe que ce grand nom n'effrayait pas, mais je croyais qu'il n'y avait plus de marquis.

lui-là.

Pardon, la preuve est que je viens de la part de ce

-Et que me veut-il, ce marquis? demanda Marthe avec la même insouciance qu'elle en avait mise à recevoir l'étrange visiteur.

-

bien.

Mais... fit celui-ci assez embarrassé, il vous veut du

C'est bien honnête de sa part.

Et Marthe rangeait son ouvrage pour se diriger vers la porte, et l'ouvrir toute grande à l'ambassadeur de ce bon marquis de Beiram qui lui voulait du bien, quand l'ouvrage lui tomba des mains de surprise et d'effroi.

La preuve encore que M. le marquis vous veut du bien, disait le messager, c'est qu'ayant appris l'amitié que vous portez à Mlle Thérèse Bideauré, il m'envoie vous prévenir qu'elle court en ce moment un grand danger.

Un grand danger, répéta Marthe, vous dites... mais comment?... Que puis-je y faire ? s'exclama-t-elle effrayée.

Je ne serais pas venu vers vous, si votre concours était inutile.

Parlez, vous savez bien que Thérèse n'est pas seulement une amie pour moi, c'est une sœur qui m'est plus chère que moi-même.

[ocr errors]

- Il faut d'abord que vous me suiviez.

Vous suivre, dit Marthe qui réfléchit, mais il faut auparavant que vous me disiez...

Je ne sais rien. On ne m'a rien appris. Votre amie est en péril. Vous seule sans doute pouvez la sauver. Le marquis qui s'intéresse à elle m'a ordonné de venir vous chercher. Ne me demandez rien de plus.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
[ocr errors]

Je vous suis, dit Marthe, torturant son esprit en conjectures, et bravant le soupçon qui la gagnait devant l'imminence du péril qu'on lui signalait.

[ocr errors]

Je ne monterai dans aucune maison, se dit-elle en route, je vais me tenir sur mes gardes.

Elle était alors dans le faubourg Saint-Germain, au haut de la rue de l'Université, près de l'hôtel des Invalides.

Il était six heures du soir. Le jour baissait lentement. La rue était déserte. L'inconnu quitta Marthe et disparut derrière une porte cochère qui dissimulait la - cour d'un grand hôtel. Quelques minutes après un jeune homme descendait. C'était le marquis de Beiram en per

sonne.

- Comment, ma belle, fit-il, quand un cas aussi grave

que celui qui se présente vous appelle, vous craignez de vous compromettre.

- Il s'agit bien de ma réputation, monsieur, répondit Marthe, quand il s'agit de mon amie. mais encore fautil que je sache pourquoi vous me faites appeler. Votre domestique n'a répondu à aucune de mes questions. Depuis cinq mois, nous cherchons partout la malheureuse jeune fille, et personne n'a pu nous renseigner sur elle. Je n'apprends qu'elle existe que pour apprendre qu'elle court un danger peut-être plus grave que la mort. De grâce, instruisez-moi, et sauvez-la, si cela est en votre pouvoir.

Cela est en mon pouvoir si vous voulez m'aider, répondit le marquis.

[ocr errors]

Si je le veux, mais je me dévouerai s'il le faut.

C'est moins du dévouement que de la confiance de votre part que j'ai besoin de trouver en vous.

Vous seriez un infâme si vous me trompiez, dit Marthe.

[blocks in formation]

Non, mais jurez-moi que vous agissez au nom de la vérité.

[ocr errors]

Je vous le jure.

Je vous appartiens, monsieur. Que faut-il faire?

Attendre maintenant à demain. Thérèse n'est point susceptible de mourir d'un jour à l'autre. Le péril qui la menace n'est pas la mort. Il est plus grave que celui-là, et moins précipité.

Mais par un mot délivrez-moi de l'incertitude qui me dévore. Est-elle en prison? sous le coup d'une loi sanguinaire ou d'une haine atroce?

Non. Elle est tout simplement tombée dans un horrible guet-apens, où il m'est impossible de la faire sortir sans un aide, sans l'aide d'une femme, sans l'aide d'une femme en qui elle-même ait pleine confiance.

[ocr errors]

Vous m'effrayez, dit Marthe.

Rassurez-vous, au contraire.

Dites-moi ce qu'il faut faire, je le ferai.

Le visage du marquis de Beiram rayonna, mais Marthe, tout occupée de la pensée de Thérèse, ne s'en aperçut pas.

Attendre, répéta-t-il, je vous l'ai dit. Demain à cinq heures de l'après-midi trouvez-vous dans le jardin du Palais-Royal, près du théâtre de la Liberté. J'y serai, et, vous instruisant davantage, nous combinerons le plan de sauver la malheureuse enfant.

Marthe s'éloigna, promettant l'exactitude au rendezvous du marquis, et après avoir aussi promis le plus grand silence sur cette entente et les événements qui suivraient.

[ocr errors]

Une indiscrétion ferait tout perdre, avait dit le marquis.

Marthe jurait de se conformer à la volonté du marquis, sans rechercher quelle raison pouvait commander ce silence; et sans même songer, tant son cœur était inquiet, à la cause qui le faisait agir dans l'intérêt qu'il semblait porter à Thérèse, qu'il n'avait cependant jamais dû approcher.

Le lendemain, Marthe s'était bien gardée de manquer au rendez-vous. Le marquis s'y trouvait. Mais il était trop tard et trop tôt. Il fallait attendre. Tous les jours, vers les quatre à cinq heures, Marthe s'échappait de sa

« PreviousContinue »