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- Je sais tout, dit deux jours après Mme Roland à Gabrielle; pardonnez-moi les paroles qui me sont échappées sur ce noble jeune homme, que j'ai jugé d'abord trop sévèrement. Vous, Gabrielle, vous pouvez me pardonner, car vous connaissez mon excuse.

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Merci, madame, dit Gabrielle, qui baissa les yeux. -Ne craignez rien, reprit Mme Roland, et aimez sans contrainte. Barbaroux est un homme incapable de vous tromper. Il vous aime, et je réponds de ses sentiments.

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Enfant, fit René à Gabrielle, Barbaroux m'a tout appris, et je n'attendais plus que cet aveu de ta part pour me réjouir de ton bonheur et en attendre avec toi le dénoûment prochain.

Mais la nuit était arrivée où Roland et quelques girondins, réunis dans la petite chambre de la rue SaintJacques, veillaient dans l'attente de Barbaroux et de Rébecqui. Rébecqui ne quittait pas plus Barbaroux que Saint-Just ne quittait Robespierre, Fréron Camille Desmoulins, et Buzot Mme Roland. Vers les minuit, les deux jeunes gens se présentèrent. Une table était au milieu de la chambre. On s'assit autour, et des cartes géographiques déroulées, on étudia la question. En tenant compte de tous les retards et des incertitudes probables, les Autrichiens, pressés par la cour, pouvaient être à Paris à la fin d'août. On était alors en juillet, et les chefs de l'insurrection n'étaient pas prêts pour agir.

Il faut appeler vos Marseillais, Barbaroux, dit Mm. Roland.

C'est mon avis, dit le jeune homme, eux seuls trancheront le noeud gordien.

Gabrielle tremblait et son cœur palpitait d'aise à la vue de son fiancé, dont le visage, éclairé par le reflet de la lampe, se transformait et s'illuminait dans la chaleur de la discussion.

-Quel jour peuvent-ils être ici? demanda Roland. Le 30 du mois.

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C'est notre dernier mot, Barbaroux.

Le 30, en effet, les Marseillais entraient à Paris par la barrière de Charenton.

Barbaroux et ses amis avaient été à leur rencontre.

A l'apparition de ces hommes que le génie d'un seul homme dominait et qui paraissaient exaltés et comme fanatisés par la révolution, la royauté se crut perdue et résolut de leur porter un coup immédiat. Tout fut préparé à cet effet. On savait d'avance que les sections de Paris devaient donner un banquet aux bataillons de Marseille, et que ce banquet était pré aré chez un restaurateur aux Champs-Elysées.

Personne ne parut s'en offenser d'abord, et les événements suivirent leur cours.

Le lendemain de leur arrivée, les Marseillais, entourés par le peuple qui les fêtait, choquaient le verre, s'encourageant de chants patriotiques et d'acclamations enthousiastes. L'harmonie la plus complète régnait parmi eux. Aucun ne songeait à troubler la belle journée qui lui était offerte, et tous se croyaient les bienvenus dans la capitale.

Mais soudain, un peu plus loin, des milliers de tables. se dressent, et une foule immense, accourant de tous

côtés, les envahit dans un instant. C'est un repas de royalistes qui se prépare. On a prétendu que ce rapprochement était dû au hasard. Le moyen de croire à un hasard aussi à propos et si bien combiné!

Les royalistes prennent place. Ce sont des serviteurs de la cour, des écrivains soldés par la liste civile, des officiers et des soldats des régiments du roi, militaires qui ont refusé de marcher à l'ennemi et ont déserté leur poste; des misérables sans principes, ambitieux d'argent et avides de sang, intrus salariés par la cour et par les émigrés, des bandits enrôlés sous le nom de Chevaliers du poignard.

Ils sont en nombre, en force et bien armés sous leurs habits. Ils boivent, s'exaltent, raillent à haute voix, et se retournant du côté des Marseillais, crient :

Vive le roi !

A ce cri, les Marseillais répondent par :

Vive la nation!

Les royalistes se lèvent. Les Marseillais les imitent. Quelques injures s'échangent. Les bouteilles volent dans les deux camps, et retombent en éclats. Les visages meurtris montrent des faces ensanglantées. La colère, sourde d'abord, grandit et fermente dans les bataillons des jeunes Marseillais.

Le peuple s'en mêle. La troupe accourt, et des accapareurs, se transformant en meneurs et reconnus dans les groupes de royalistes, sont arrêtés par elle. On ne se connaît plus les armes sont tirées, la lutte a lieu, terrible, acharnée; blessés et mourants roulent pêle-mêle dans la poussière teinte de sang.

Barbaroux lui-même, qui jusqu'alors s'était tenu à

l'écart, donne l'exemple de la défensive, et, les pistolets aux poings, repousse les lâches agresseurs.

Le combat n'est pas long et se termine à la honte de ces derniers. Ils fuient, non dispersés et au hasard, mais dans la direction du château. Ils s'engouffrent par le pont tournant, près la terrasse des Feuillants, et les portes du jardin s'ouvrent toutes grandes pour les recevoir. Des lits sont prêts pour les blessés. Des femmes, anges de charité, à qui l'héroïsme et le dévouement feraient tout pardonner, les attendent, les mains blanches et le front pâle, l'œil animé et le cœur palpitant, pour se désespérer avec eux et les récompenser d'un sourire.

Il y a de l'enthousiasme dans les plus mauvaises

causes.

La femme agit dans le cercle où elle est née; il lui est permis de ne point se porter au delà. Le sentiment chez elle domine tout. Merci à celles qui soignent toutes les blessures. Manches retroussées, elles vont, distribuant le baume sur les plaies et des consolations aux vaincus. Elles espéraient des triomphateurs, et elles n'ont que des fuyards. La poésie dont leur cœur déborde les aveugle, et transforme ces courtisans de la servitude et ces spadassins de grand'route en héros, victimes de l'action intrépide et malheureuse.

Mais le lendemain on demandait l'expulsion des Marseillais; et la cour faisait grand esclandre. Le tour était joué mais il avait eu le tort de ne pas réussir. C'est le patriotisme qui arme, et non l'or d'une liste civile. Pour la patrie seule on se dévoue. On meurt pour une nation, pour un principe, pour une idée... pour une femme, pour un frère... on ne meurt pas pour un roi.

IV

DES PASSE-TEMPS DES AMIS DU ROI

Mais pendant que ces grands événements s'accomplissaient, et que la cour recevait un nouvel échec, le drame intime de nos personnages se dénouait tristement dans l'ombre. Jamais la petite mansarde de Marthe n'avait été si désolée. L'enfant avait perdu sa sœur. Il lui restait encore un autre ami, René; mais Marcel et René rivalisaient avec elle en abattement et en désespoir.

Marcel, renseigné par Suzanne, savait que Marguerite existait; mais cette assurance n'avait que plus augmenté sa douleur.

Elle existait; mais, où était-elle? comment vivaitelle?

N'était-elle pas folle?

Elle avait, dans cette nuit de folie de Versailles, et

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