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dans son département, et fut envoyé comme député à l'Assemblée législative. Les girondins reconnurent un des leurs et l'entraînèrent dans le parti fameux que présidait Mme Roland. Le jeune homme vint chez cette femme, et ébloui à sa vue, il laissa lui-même dans son esprit le souvenir de son image resplendissante. Ils causèrent longtemps tous deux et se quittèrent fascinés l'un de l'autre. Barbaroux n'avait point encore rencontré une femme douée d'un esprit aussi élevé et d'un génie aussi profond. C'était la première fois que Mme Roland constatait un tel enthousiasme dans une tête aussi belle. Ils se revirent et s'admirèrent. Mais l'admiration tomba peu à peu.

-Elle a trop d'esprit se dit Barbaroux.

Il est trop beau, se dit Mme Roland.

Tous deux se redoutèrent et s'éloignèrent l'un de l'autre.

Barbaroux, que les circonstances avaient fait homme politique, eût plutôt fait un poète. Son âme, d'une sensibilité extrême, vibrait comme les cordes d'une lyre. Ce n'était point l'audace, l'énergie, la force et même le génie qu'il rêvait dans une femme, mais l'amour, l'abandon, des soupirs étouffés, des larmes, le sentiment de son exaltation et son emportement.

Cette femme, il crut l'avoir trouvée dans la maison même de Mme Roland. Celle-ci, fidèle à son mari, et ne possédant déjà plus son cœur qui depuis longtemps luttait en secret, refoulant son amour pour Buzot, oublia bientôt l'image de Barbaroux, qui l'avait, à la vérité, séduite un moment.

Si elle eût aimé ce dernier, elle s'en fût voulu à elle

même. Elle eût accusé sa conscience et n'eût pas cru à un amour inaltérable né par une conformité de sentiments et une élévation commune.

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Barbaroux est trop beau, se répétait-elle, on ne doit l'aimer que pour son visage; la beauté physique emporte tout chez lui.

Des craintes puériles doivent sans cesse tourmenter le cœur, oublieux bientôt de sa propre dignité. Quelle loyauté attendre de l'homme que toutes les femmes courtisent.

Barbaroux, écrivait-elle dans un accès d'humeur, est un homme léger. Les adorations que les femmes sans mœurs lui prodiguent nuisent au sérieux de ses sentiments. Quand je vois ces beaux jeunes hommes trop enivrés de l'impression qu'ils produisent, comme Barbaroux et Hérault de Séchelles, je ne puis m'empêcher de songer qu'ils s'adorent trop eux-mêmes pour adorer la patrie.

Mme Roland a trop d'esprit, répétait Barbaroux, elle ne doit accepter aucune supériorité au-dessus de la sienne, et doit craindre la rivalité du malheureux qui aurait l'audace et l'orgueil de l'aimer. C'est une femme devant laquelle on s'agenouille, mais contre laquelle on défend son cœur.

Or, ce n'était pas Mme Roland, qui, une nuit à la lueur indécise d'une lampe ne jetant à propos qu'un faible éclat, et enfermée dans une chambre à triple verrous, décachetait en tremblant une missive toute noircie d'une petite écriture serrée et rapide.

<«< Gabrielle, disait cette lettre, tout homme, si ordinaire qu'il soit, si tombé qu'il puisse être a une femme

qui veille à ses côtés, et s'achemine avec lui dans la route; cette femme est l'ange gardien du malheureux. Elle devine sa pensée, elle prévoit ses besoins, elle se réjouit avec lui dans le bonheur, elle pleure avec lui dans les jours d'affliction. C'est elle, le plus souvent, qui reprend courage la première pour recommencer la lutte.

« C'est encore elle qui lui voile le passé triste, et jetant l'oubli dans son âme, lui montre d'un doigt l'avenir souriant et radieux.

« L'avenir, c'est la tombe, la femme y place un berceau. S'il en est ainsi pour l'homme ordinaire, quelle doit être cette femme pour l'homme intelligent, pour celui qui sent dans son cœur le désir de toutes les grandes choses et un ardent amour pour la liberté ?...

« Quelle doit être cette femme, s'il l'a su choisir, et si tous deux, nés peut-être d'un bout du monde à l'autre, sont assez prédestinés du ciel pour se joindre sur la terre et marcher dans la même route.

<< Voulez-vous être cette femme, Gabrielle?

« Je ne m'appartiens pas tout entier. Je dois à notre patrie mon sang, mon énergie, mon expérience des choses et mon enthousiasme, je lui dois peut-être plus encore, mais l'heure du triomphe pour tous sera aussi, pour moi et pour nos vaillants amis, l'heure de la déli

vrance.

<< Gabrielle, je vous aime.

<«< Libre, mon bonheur sera de vous consacrer un reste de ma vie; et de lier mon existence à la vôtre.

<< Me donnez-vous le droit d'espérer ?

« BARBAROUX. >>

La lettre échappa des mains de Gabrielle et roula sur le parquet. La jeune fille n'osait en croire ses yeux, et des larmes sillonnaient ses joues. Elle frissonnait, son cœur battait, tout son être tressaillait :

M'aurait-il devinée? disait-elle.

Et elle répétait avec émotion le nom de Barbaroux. Il semblait que ce nom fut harmonieux sur ses lèvres. Elle en avait prononcé de plus pompeux, de plus brillants; elle n'en avait jamais rencontré un aussi beau. Barbaroux !

Lui, ce jeune homme si intelligent que les masses se courbaient devant lui, si intrépide que les rois tremblaient à son nom, si sympathique que tout le monde l'aimait, si bon que ses ennemis même le défendaient, si juste que ces mêmes ennemis le respectaient; lui, si patriote, si éloquent, si brave, si généreux, et si beau que. Mme Roland avait eu peur de lui.

Il avait jeté les yeux sur elle, la pauvre fille isolée, malheureuse, pleurant sa famille décimée et ses beaux jours évanouis.

Gabrielle relisait sa lettre... lettre idéale que toute femme recevra au moins une fois dans sa vie.

Il ne ment pas, ses lèvres sont trop pures pour avoir jamais distillé le mensonge, se disait-elle.

Et elle pensait à Mme Roland, qui le trouvait trop beau.

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Est-ce sa faute, se disait Gabrielle.

Toute cette nuit-là elle ne dormit pas et se retraça les différentes fois qu'elle avait vu Barbaroux, l'effet qu'il avait produit sur elle, les paroles qu'ils avaient prononcées. Un nouveau monde s'ouvrait pour la jeune fille.

Son frère, un jour, en badinant, lui avait fait un reproche :

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Tu n'as pas encore aimé, lui avait-il dit.

Je ne veux aimer jamais que toi.

René avait souri, comme il souriait, lui, avec la tristesse des désabusés.

Le matin, Gabrielle avait les yeux tout rouges, et, indécise sur ce qu'elle devait répondre à Barbaroux, elle parla d'une indisposition, et toute la journée s'enferma dans sa chambre. Indécise encore le soir, elle ne répondit rien. Barbaroux vint, et elle se déroba à sa vue. Un soir, elle ne put lui échapper, et les deux jeunes gens eurent une longue conversation. Gabrielle parlait de retraite, de couvent; elle n'en pensait pas un mot. Barbaroux, l'homme énergique, eut de vraies larmes aux yeux et avec cela l'éloquence de la persuasion.

Mais pourquoi m'aimez-vous, moi? disait Gabrielle; je ne suis pas une patriote, je suis une aristocrate, une de ces femmes que vous poursuivez de votre haine. Je n'ai point au cœur ces grands sentiments qui vous enflamment. J'admire Mme Roland sans l'imiter ni pouvoir la suivre. Mon rôle est modeste, humble, et peu à la hauteur de celui auquel votre génie et votre ardeur vous appellent.

Je vous aime ainsi, et autrement vous ne seriez pas la femme que je rêve.

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Vous n'êtes pas un homme d'État, Barbaroux.

Près de vous, je ne veux être qu'un poète.

Et moi, moi... mon cœur, je ne l'interroge pas, monsieur Barbaroux, je me défie de lui. C'est mon frère seul qui est mon juge.

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