Page images
PDF
EPUB

Ne pouvant briller au premier rang avec des orateurs comme Vergniaud, Guadet, Gensonné, Louvet; avec des philosophes comme Chamfort, Condorcet; avec des économistes comme Roland; des publicistes comme Brissot; des âmes sensibles et poétiques comme Buzot, Barbaroux, Chénier et Hérault de Séchelles, Robespierre s'était isolé.

-Cet homme aime sincèrement la patrie, répétait Buzot, mais il l'aime pour lui seul.

La vérité est, qu'il préférait ne faire partie d'aucune société, dans la crainte qu'on le soupçonnât de partialité, lui qui avait l'orgueil d'être désigné sous le nom de Robespierre l'incorruptible.

Il n'entretenait plus de correspondance avec madame Roland et ne se présentait plus au comité des girondins. Il restait aux jacobins et il y brillait.

Pour la dernière fois peut-être, il sentait le terrain faiblir sous son pied, et il cédait à ceux-ci.

Il s'agissait de la guerre.

Robespierre ne se démentant jamais, luttait contre la guerre. Il ne voulait pas de sang pour cimenter la démocratie. Pendant que nos vaillantes armées feront, disaitil, des prodiges sur nos frontières, la noblesse ici se révoltera et nous bâillonnera. Envoyez le peuple se faire tuer, et que restera-t-il au cœur de la nation pour la défendre? Ce n'est pas avec du sang que la liberté se fonde.

Mais les girondins désiraient la guerre. Ils la demandaient avec raison. La France était assez forte pour repousser l'étranger et se faire respecter à l'intérieur. L'Europe méritait de voir des soldats républicains, et

d'essuyer le feu des jeunes conscrits d'une nation se réveillant au feu de l'indépendance.

Louvet, remplaçant Robespierre à la tribune, l'avait combattu avec courage et avait mis la majorité de son côté.

-Eh bien, s'écria Robespierre, je suis vaincu, je passe à vous, et moi aussi je demande la guerre.

Il fallait l'entendre alors, cet homme.

Sa voix glapissante avait quelque chose de strident et de fatal. Il parlait comme un oracle, et la foule, qui le lendemain devait rugir à la voix de Danton, écoutait, dans une attitude morne et glacée, la parole solennelle et froide de Robespierre qui avait le don de la remuer jusqu'au fond des entrailles.

[ocr errors]

Que dis-je, reprit-il, je la demande plus terrible et plus irréconciliable que vous; ni comme un acte de sagesse, ni comme un acte de raison, ni comme un acte politique, mais comme la ressource du désespoir. Je la demande à une condition, qui sans doute est convenue entre nous, car je ne pense pas que les avocats de la guerre aient voulu nous tromper, je la demande à mort, je la demande héroïque, je la demande telle enfin que le génie de la liberté la déclarerait lui-même à tous les despotismes, telle que le peuple de la révolution la ferait lui-même sous ses propres chefs, telle que de lâches intrigants la désirent peut-être, et telle que des ministres et des généraux ambitieux nous la conduiraient.

Mais là, Robespierre s'arrête, il semble interroger la foule qui l'entoure et qu'il tient suspendue et haletante, il presse son front dans ses mains et s'écrie :

Où est-il le général dont les mains pures de notre sang sont dignes de porter devant nous le drapeau de la liberté? Où est-il ce nouveau Caton, ce troisième Brutus, ce héros encore inconnu? Qu'il se reconnaisse à ces traits, et qu'il vienne! Nous allons le mettre à notre tête. Où est-il! où est-il! il n'existe pas...

Tel fut le dernier mot du tribun, qui avec le palatin de Posnanie arborait la devise: Je préfère les orages de la liberté à la sécurité de l'esclavage.

Robespierre détestait Lafayette, et ne croyait pas en Dumouriez.

Il avait raison, et dans leur foi en cet homme, les girondins commirent leur première faute.

Robespierre, en effet, était vaincu, les girondins l'emportèrent. A Louvet revint le triomphe de la séance. Robespierre céda, mais ne pardonna pas à ce dernier.

Qu'était donc ce jeune imprudent qui osait attaquer l'homme incorruptible, l'idole du peuple, le tribun dans toute la gloire de sa popularité. Introduit dans l'intimité de Mme Roland qui l'estimait et l'aimait, ami des girondins dont il devait partager les luttes et les malheurs, futur membre de la convention, Louvet n'était rien encore, qu'un spirituel romancier auteur de Faublas, roman libertin, peignant les mœurs licencieuses d'une époque, et dont la vogue s'était soutenue plusieurs années. Mais si Louvet avait ri un instant avec le vice, et si son esprit n'avait pu résister à la tentation d'en peindre les excès et les ridicules, son cœur vierge encore travaillait à la pensée de la vertu, et se révoltait contre les inégalités sociales. Il avouait naïvement que les injustices du sort bouleversaient son imagination ardente.

Pourquoi, se disait-il, le nom de Rohan est-il plus beau que celui de Louvet, si celui qui le porte n'a rien fait pour la chose publique. Qu'importe les hauts faits des ancêtres, puisque l'homme n'est pas responsable de la génération qui naîtra de lui; la gloire des siens ne peut rejaillir sur sa personne. Puis on sait trop la source des noms pompeux. Ils ont payé souvent des services bien infimes et bien rampants. La noblesse d'aujourd'hui est la descendante d'une classe de valets qui, à force de bassesses, ont bien mérité du passé, présentant, comme le cardinal Dubois, toutes les surfaces du corps au pied du maître.

Dédaignant le trafic du marchand et désespérant, malgré ses talents et son ambition, de parvenir à quelque position digne du génie qu'il se connaissait, Louvet se jeta dans les lettres. Il y montra ce qu'il aurait pu faire. Le livre est le blason de l'homme de génie, ce blason-là a ses détracteurs, ses ennemis, ses loups dévorants, mais il efface de ses rayons intellectuels les armoiries fleurdelisées et tout éblouissantes d'or de nos grands seigneurs.

S'il existe encore une aristocratie, elle s'est réfugiée dans les lettres.

Louvet, au bruit sourd de la révolution, avait abandonné la plume du romancier, et s'essayant aux luttes de la tribune, promettait un orateur pour la cause qu'il défendait.

Petit de taille, frêle de corps, son apparence était loin de répondre au feu de son génie et à l'emportement de sa nature. Sa tête était belle et frappait par ses formes féminines. Des traits fins, réguliers, expressifs, de grands

yeux d'un bleu indécis, un teint pâle, des cheveux soyeux et blonds, un front proéminant, vaste et mélancolique, faisaient remarquer ce jeune homme à la tribune qu'il occupait déjà avec un rare mérite.

Il lui avait fallu un certain courage pour s'attaquer, lui, obscur, à Robespierre, et ce courage il ne l'avait pas un instant démenti.

Voici, du reste, l'opinion qu'a laissée de Louvet madame Roland elle-même : Louvet, dit-elle, pourrait bien quelquefois, comme Philopamen, payer le tribut de son extérieur. Petit, frêle, la vue courte, l'habit négligé, il ne paraît rien au vulgaire qui ne remarque pas au premier abord la noblesse de son front, le feu qui s'allume dans ses yeux, et l'impressionnabilité de ses traits à l'expression d'une grande vérité ou d'un beau sentiment. Il est impossible de réunir plus d'intelligence et plus de simplicité et d'abandon. Courageux comme le lion, doux comme l'enfant, il peut faire trembler Catilina à la tribune, tenir le burin de l'histoire, ou répandre la tendresse de son âme sur la vie d'une femme aîmée!

Or, courageux, comme le dit Mme Roland, Louvet, sans s'inquiéter des suites de sa lutte avec Robespierre et de l'écho de sa parole, sortait du fameux club des jacobins.

Il était une heure avancée de la nuit.

Quelques fanatiques de Robespierre, honteux de son peu de réussite, attendaient Louvet à quelques pas plus loin, se promettant de lui faire payer cher sa victoire.

Celui-ci, pressé de rejoindre sa demeure, avait laissé ses amis qui discutaient encore et s'éloignait d'un pas pressé.

« PreviousContinue »