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Guadet sourit.

La reine est belle, et cette beauté superbe est voilée par des larmes qui la rehaussent encore.

- Lisez l'histoire, dit-il, refoulant une flatterie que lui défend la gravité des circonstances.

Guadet s'est levé et salue avec respect.

La reine voit que le girondin lui échappe et avec lui son parti.

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Venez au moins voir mon fils.

La reine prend elle-même un flambeau, précède le représentant du peuple qui la suit, et, élevant son flambeau d'une main, de l'autre elle entr'ouvre des rideaux blancs et montre à Guadet interdit le visage souriant de l'enfant endormi.

Le jeune homme s'approche.

Les yeux humides de la reine semblent implorer un bon mouvement.

Guadet le comprend. Il a une jeune femme aussi, lui, une jeune femme que les joies et les douleurs de la maternité attendent, et qui lui saura gré de cette concession à une autre mère malheureuse.

Madame, dit-il, permettez-moi de l'embrasser.

La reine triomphante écarte les rideaux violemment, et désigne la tète du Dauphin.

- Elevez-le pour la liberté, madame, dit Guadet l'embrassant au front, elle est la condition de sa vie.

Un instant après, le jeune homme sortait du château

pour n'y jamais rentrer. Son cœur était ému, et il se reprochait presque son émotion. Il ne l'eût pas avoué à Mme Roland qui l'eût cependant bien compris. Il l'écrivit dans une longue lettre à la douce compagne qu'il avait laissée à Bordeaux dans sa famille, craignant pour elle les agitations de sa vie publique.

Celle-ci lui répondit: Tu as bien fait Guadet. Un homme peut sans crainte avouer son émotion devant les larmes d'une femme, cette femme fût-elle coupable, cette femme fût-elle reine.

Guadet n'avait point été inflexible devant l'infortune; comme Barnave, la douleur d'autrui avait trouvé accès dans son âme, mais comme Mirabeau, Lafayette et autres âmes vénales, Guadet ne s'était point vendu.

Le 14 juillet 1792 approchait, la fête de la fédération eut lieu.

Ce n'était plus ni cet autel magnifiquement desservi par trois cents prêtres, ni ce vaste champ couvert de soixante mille gardes nationaux, richement vêtus et régulièrement organisés; ni ces gradins latéraux chargés d'une foule immense, ni enfin ce balcon où les ministres, la famille royale et l'Assemblée assistaient à la première fédération. Tout était changé, dit M. Thiers. Tous les emblêmes annonçaient la guerre. Quatre-vingt-trois tentes figuraient les quatre-vingt-trois départements. A côté de chacune était un peuplier, au sommet duquel flottaient des banderolles aux trois couleurs. Une grande tente était destinée au roi, à l'Assemblée, et une autre au corps administratif.

L'autel de la Patrie n'était plus qu'une colonne tronquée. Placé au milieu, un monument s'élevait d'un côté

pour les patriotes qui allaient être victimes des guerres, et de l'autre apparaissait un immense bûcher recouvert de tous les insignes de la vieille noblesse et des anciens préjugés, tels que manteaux d'hermine, tiare, armoiries, écussons, bonnets de docteur, chapeaux de cardinaux, couronnes, clefs de saint Pierre, cordons bleus.

La foule fit irruption au Champ de Mars, et le roi entouré de sa cour, y parut, mais la tristesse de cette dernière contrastait avec l'ivresse du peuple.

Le roi descendit de son balcon, et, au milieu des troupes, se dirigea vers l'autel de la Patrie et prêta serment.

Serment menteur qu'il se promettait bien de ne pas tenir.

On l'invita à mettre le feu à l'arbre de la féodalité.
Il se replia vers ses troupes et fit la sourde oreille.
Le peuple courut à l'arbre; et le vaste bûcher flamba.
La reine en aperçut les flammes et poussa un soupir.

Si l'on brûle les hochets avec lesquels on achète et l'on amuse le peuple, pensait-elle, comment les rois se feront-ils respecter.

On avait détruit la Bastille, il ne manquait plus que de brûler les rubans.

Mais la cour espérait.

Mme de Staël et M. de Narbonne, ces deux amants habitant les nuages d'un électisme impossible, rêvent la fuite du roi et la combinent en secret.

L'ennemi touche nos frontières de ses avant-postes, et Coblentz retentit de cris de joie comme si déjà la révolution était vaincue.

Roland, pâle, abattu, rencontre Rebecqui et Barba

roux aux Champs-Elysées, et tous les trois tombent dans les bras l'un de l'autre.

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Nous sommes perdus, s'écrie Roland, la liberté est en péril et la Patrie en danger. Les royalistes ont raison, dans huit jours les Autrichiens seront à Paris.

Attendez-moi cette nuit, dit Barbaroux.

Ой?

Chez vous, nous viendrons, Rebecqui et moi. Nous étudierons la question ensemble, et demain notre cause sera gagnée.

Je vous attendrai, dit Roland.

Quel était donc ce jeune homme assez puissant pour changer une situation politique après une détermination, et en qui Roland, l'homme mûri, vieilli, l'ancien ministre, l'austére philosophe paraissait avoir une si grande confiance.

Barbaroux commandait à 20,000 Marseillais attendus d'un jour à l'autre à Paris.

Il était le roi de ces hommes énergiques, de ces hommes intrépides que la misère et les tortures n'auraient pu vaincre. Nés au bord des mers, ces hommes aux formes athlétiques, aux bras musculeux, colorés dans leur langage comme passionnés dans leur enthousiasme, et que rien ne faisait trembler, obéissaient sur un signe à Barbaroux, leur compatriote et leur idole.

Barbaroux était un homme de vingt-six ans. On ne le connaissait que sous le nom d'Antinoüs, tant sa beauté avait d'éclat. D'une taille moyenne, mais admirablement modelée, svelte, flexible, élancée, sa tête ondulait comme les vagues tourmentées d'une mer orageuse, et sur son visage au profil grec et fier se reflétait le jeu mo

bile des passions et des sentiments qui surgissaient dans l'humanité.

Enthousiaste, fanatique, triste et mélancolique à la fois, son front resplendissait comme éclairé d'une lumière intérieure. Ses grands yeux disaient toute son âme, émue, convulsive et attristée. Tont en lui respirait l'amour des grandes choses et la lassitude du désespoir. Il y avait deux hommes dans Barbaroux, l'homme d'action et l'homme de pensée, le jeune homme passionné et le vieillard réfléchi, le soldat et le poète.

Il était né dans la bourgeoisie, mais sa famille, enrichie dans la navigation, descendait du peuple. Remontez à la source de tous ces noms qu'illustre un matin le héros ou l'homme de génie qui le porte, vous y trouverez toujours un paysan ou un artisan.

Reçu avocat, et ne trouvant point de causes à sa taille, il avait attendu dans l'inaction l'heure de se rendre utile à la Patrie commune. Retiré dans une des terres appartenant à un des membres de sa famille, il s'était renfermé dans la solitude pour y étudier et rêver à l'aise. Les sciences l'occupèrent longtemps, puis, son esprit, grandi soudain par les premières rumeurs de la révolution, par l'intuition peut-être des grands événements qui se préparaient, et par la vue du site alpestre qu'il habitait, s'élança dans la poésie.

On a retrouvé quelques pièces fugitives du futur girondin. Elles peignent les aspirations élevées de son ardente nature, les incertitudes de son esprit brûlant, les appréhensions de son cœur sensible, les mystérieuses. rêveries de l'homme avide de science et d'amour.

Barbaroux occupa ensuite divers emplois supérieurs

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