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souffle et des mêmes transes; ils se suivirent sur la route terrible et leurs lèvres, encore tièdes du baiser de leur amour, se retrouvèrent dans la mort.

De toutes ces femmes qui avaient joué un rôle dans ces journées chaudes d'enthousiasme et d'inspirations grandioses, il n'en resta qu'une qui vécut longtemps après, et qui vécut trop pour sa gloire.

Thérézia Cabarrus.

Nous la retrouverons dans les Muscadins du Directoire, pages émues des heures convulsives des derniers jours de la Révolution, dont les Amours d'un Garde française ont salué l'aurore.

Madame Roland fut le génie de la liberté; Thérézia Cabarrus, autrement dit madame Tallien, morte princesse de Chimay, fut le génie de la réaction.

Elle tua Robespierre et salua Bonaparte.

Elle enterra la République et amena l'Empire.

Mais laissons, pour l'heure, ces grandes figures dans l'ombre, et finissons cette longue Odyssée par le tableau ému de l'événement capital qui doit en être le dénoûment.

René d'Aubersac était toujours à la Conciergerie : condamné à mort en même temps que les Girondins, son nom n'avait pas encore été appelé par la voix sinistre du pourvoyeur de Sanson. Qu'attendait-on?

Lui-même l'ignorait et ne savait que supposer. L'oubliait-on. Il souriait à cette pensée et n'y croyait guère. Ancien officier du roi, protégé de Marie-Antoinette, ami des Girondins, ses crimes étaient flagrants. Il devait, jusqu'au bout, accomplir sa destinée, et cela d'ailleurs ne lui déplaisait pas de mourir.

Ses adieux étaient faits. Il était prêt, et s'impatientait que le moment tardât tant.

Tous les jours, le geôlier entrait dans la prison et lisait à haute voix une longue liste.

C'étaient les noms de la funèbre journée.

René prêtait l'oreille.

« Allons, se disait-il, ce n'est pas encore pour aujourd'hui, alors c'est pour demain. »

Une après-midi qu'il venait d'entendre nommer les noms des tristes élus du jour, et qu'il se réfugiait, soucieux et sombre, au fond de la prison, se demandant de quel droit on prolongeait ainsi son supplice, on vint l'avertir que quelqu'un le demandait au parloir.

Etonné, il se rendit à l'invitation.

Ce n'était pas Thérèse certainement qui venait une fois de plus attrister ses derniers moments, Thérèse était venue la veille et avait promis de ne plus reparaître. Oh! la scène avait été déchirante!

Depuis un an, les deux amants étaient deux époux. Dans les bras de l'épouse, il y avait un enfant issu d'une union sainte et légitime, mais que la loi, exigeante dans sa forme, n'avait pas voulu légaliser.

- Ma pauvre Thérèse, avait dit René en sanglotant, le temps va nous manquer pour être l'un à l'autre devant les hommes.

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Qu'importe, répondit celle-ci, ne sommes-nous pas mariés devant Dieu, et mon père ne nous a-t-il pas fiancés lui-même, au nom de notre amour et de nos malheurs?

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Eh bien! René d'Aubersac ou René Bideauré, que t'importe... Il est notre sang, notre vie à tous deux, s'il ne porte pas le beau nom que tu as, il aura tes vertus et ton grand cœur.

Ainsi avait parlé Thérèse la républicaine devant le condamné à mort; ainsi avait-elle parlé pour ne pas désespérer la conscience du malheureux père; mais il n'est pas besoin de dire tout ce qu'au fond du cœur elle souffrait de la fausse situation qui était faite à son enfant.

Rendons-lui justice, pour elle, elle n'y songeait pas. Cette dernière entrevue avait été, disions-nous, déchirante.

Elle avait eu lieu entre les barreaux de fer d'un guichet aux deux côtés duquel veillaient deux geôliers.

Le mari et la femme n'avaient pu se donner le baiser suprême qu'entre ces barreaux.

Un moment la mère avait élevé le petit être innocent et insouciant, et avait approché sa tête des froids bar

reaux.

Embrasse-le! s'était-elle écrié.

René s'était penché, et, au milieu d'un sanglot, avait appuyé ses lèvres brûlantes sur le front de l'enfant qui était son fils et qu'il était certain de ne plus jamais revoir.

Jamais, car une heure après cette scène on devait appeler la liste du jour, et il était convaincu que son nom ne pouvait y être omis.

Après l'enfant, ce fut la mère qui colla sa joue contre les barreaux.

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Ce fut tout ce qu'il put dire, le vaillant et beau René qui, dans une seconde, entrevit toute sa vie et les heures chaudes de sa jeunesse passées aux genoux de la fille du peuple.

Ce fut tout aussi ce qu'on lui permit de dire, car le temps accordé à la visite étant écoulé, les geôliers fermèrent le guichet.

On poussa Thérèse dehors, et elle alla tomber dans les bras de son père qui l'attendait, et l'emporta plus morte que vive par les rues de Paris.

Elle voulait aller l'attendre sur le passage de la charrette.

Tu n'iras pas, lui dit Bideauré.

Elle obéit machinalement et se laissa emmener.

Il était temps d'ailleurs qu'elle rentrât, elle grelottait la fièvre, et dans les rues on eût dit une folle.

Mais ce jour là passa pour René sans qu'on l'appelât. Le lendemain de même.

C'est alors qu'il s'étonnait et s'inquiétait même de cette prolongation du supplice, quand on vint l'avertir que quelqu'un l'attendait au parloir.

Sa première pensée fut pour Thérèse, mais aussitôt il se dit que c'était impossible et que celle-ci ne pouvait désirer renouveler l'horrible scène de la veille.

Il entra dans le parloir, et, chose étrange, dans un parloir ouvert, sans guichet et sans gardiens.

Quel était donc le personnage qui venait le visiter, le personnage assez puissant pour faire ouvrir toutes les portes et obtenir le droit d'approcher du condamné à mort?

Il regarda devant lui et ne le devina pas.

C'était une femme vêtue à la grande mode du temps et avec une exquise élégance. Cette femme devait être jeune, à en juger par la souplesse de sa taille, mais quant à son visage, il était dissimulé par un voile fort épais, et la pièce étant déjà obscure, il fut impossible à René de découvrir ses traits.

Mais comme elle restait muette, droite devant lui, il l'interpella doucement.

-Est-ce bien moi, madame, dit-il, que vous venez chercher jusqu'au fond de cet antre de mort?

M. le comte René d'Aubersac, c'est bien vous, n'est-ce pas ? dit la jeune femme avec une grande douceur dans la voix.

Il sourit.

-Je m'appelle René d'Aubersac tout simplement, répondit-il, et c'est bien assez, madame, je vous jure, pour un homme qui a si peu de temps à vivre.

Qu'en savez-vous ?

Ma condamnation est prononcée.

Oui, mais le bourreau ne l'a pas encore exécutée.
Cette voix... murmura René.

Vous la connaissez? fit vivement la jeune femme.
Mademoiselle de Noverre, dit René.

Moi-même.

Et la jeune femme soulevant son voile, montra le plus joli visage qu'on pût voir.

René ne pût s'empêcher, malgré le peu d'intérêt et de sympathie qui l'attirait vers cette femme, de lui en faire compliment.

Elle était belle comme au temps où elle souriait au

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