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ter le souterrain et fuir de nouveau. Nul ne savait où il allait. La séparation ressembla à un adieu suprême, dit un historien. Valades prit la route des Pyrénées. La mort l'attendait. Il marchait en aveugle au-devant de son sort. Barbaroux, Péthion, Buzot, liant leur vie ou leur mort dans une indissoluble amitié, se dirigèrent à travers champs du côté des Landes de Bordeaux, espérant faire perdre leurs traces dans ce désert. Guadet, Salles et Louvet passèrent cette première journée dans une carrière. Un ami de Guadet devait venir les prendre, à l'entrée de la nuit, pour les conduire à six lieues de là, dans la maison d'une femme riche, dont Guadet avait plaidé la cause et sauvé jadis la fortune. L'ami manqua de courage et ne vint pas. Guadet et ses amis partirent seuls et comme au hasard. Le froid, la neige, la pluie glaçaient leurs membres mal couverts. Arrivés enfin à quatre heures du matin à la porte de sa cliente, Guadet frappe, se nomme, il est repoussé. Il revient désespéré près de ses amis. Il trouve Louvet évanoui de faim et de froid au pied d'un arbre. Guadet retourne à la maison et implore en vain, d'abord un lit, puis du feu, puis un verre de vin pour un ami expirant. L'ingratitude laisse gémir et mourir sans réponse. Guadet revint encore; ses soins et ceux de Salles réchauffent Louvet. Celui-ci prend une résolution désespérée qui le sauve. Poursuivi par l'image de l'ami qu'il a laissé à Paris, il se décide à le revoir ou à périr. Il embrasse Salles et Guadet; partage avec eux quelques assignats qui leur restent, et se traîne seul sur la route de Paris.

La nuit suivante, Guadet, Salles, Péthion, Buzot, Barbaroux, se retrouvaient dans la maison d'un ouvrier.

C'est là seulement qu'ils apprirent la mort des vingtdeux Girondins, que leurs amis avaient pu jusque-là leur cacher.

Et René d'Aubersac? demanda Barbaroux à Gabrielle.

Désigné pour mourir avec eux, ils l'ont jusqu'ici épargné.

Et comme Barbaroux eut un sourire de satisfaction.

-

à

Oh! ce n'est que quelques jours de répis, fit-elle, il attend la mort à la Conciergerie, et peut-être, l'heure où nous parlons, sa destinée s'accomplit-elle. Et essuyant une larme qui, malgré elle, s'échappait de ses yeux:

Nous nous sommes fait nos adieux, dit la sœur de René; il m'a dit : Sœur, rejoins Barbaroux, sauve-le si tu peux; tu ne peux plus rien pour moi, et ta vue ne ferait qu'attrister mes derniers moments.

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Bon et excellent ami, s'écria Barbaroux oubliant un instant ses douleurs pour celles de celui qu'il se plaisait déjà à appeler son beau-frère.

Quelques jours après, les fugitifs apprirent une autre mort qu'ils ignoraient, celle de madame Roland; ils faillirent en mourir de chagrin.

Buzot surtout en fut inconsolable, et il fallut lui arracher le couteau avec lequel il voulait se suicider.

Une semaine s'écoula durant laquelle ils parvinrent encore à échapper aux poursuites.

Mais la maison du père de Guadet est envahie. Salles et Guadet sont pris, enchaînés, conduits à Bordeaux et guillotinės,

Ceux qui restent apprennent cette arrestation, cette mort, et cette nouvelle les foudroie.

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Allons, se dirent-ils, courage, fuyons encore.

Ils quittent leur retraite, munis d'un pain, d'un morceau de viande, de quelques poignées de pois verts; ils marchent toute la nuit et arrivent près d'un village nommé Castillon.

Là, un d'eux croit qu'il est découvert, il est à bout de forces, il perd la tête, il se tire un coup de pistolet et tombe baigné dans son sang.

Ce malheureux, c'était Barbaroux.

On se précipite sur lui, on l'interroge, on devine Barbaroux, et le glaive du bourreau achève l'œuvre du pistolet.

Le jour même où la belle tête de Barbaroux tombait, l'âme de Gabrielle s'exhalait.

Les Girondins, dont presque tous étaient ses amis, madame Roland qu'elle aimait comme sa mère, son frère qui disputait à l'échafaud la dernière heure de sa vie, Barbaroux, traîné mourant à la guillotine, c'était trop pour elle. Elle mourut en quelque sorte du même coup qui frappait tous les siens.

Quelques jours après, deux nouveaux cadavres étaient trouvés dans un champ de blé; c'étaient ceux de Péthion et de Buzot.

VIII

LE CONDAMNÉ A MORT

Tous les jours les charrettes de Fouquier-Tinville vidaient les prisons, emportant vers la place de la Révolution les bons et les méchants, les violents et les faibles, les ennemis du peuple et les modérés, vengeant à la fois le despotisme passé et enrayant l'avenir.

Ils mouraient tous sans murmures, sans récriminations... vieillards, femmes, enfants. Epoque héroïque et étrange... On s'embrassait et l'on se donnait la mort.

Les princes, les ducs, les marquis, les Viviane, les Marchangy, les Montravel, les Roucher, les Chenier, les défenseurs du droit divin et les amis timorés de la grande cause, ils tombaient tous, tous ceux que nous avons haïs ou aimés dans le cours de ce récit, c'était le

glaive égalitaire s'abattant sans colère mais sans repos sur les têtes jeunes, belles ou avides d'oubli.

Le sang, et souvent un sang pur et généreux, lavait le sol fangeux de la grande nation qui contenait, dans son sein, les tronçons pourris et les membres infectes de plusieurs générations gangrenées.

Ils tombaient tous, les uns après les autres, ils allaient tous tomber, après les Girondins, madame Roland, après madame Roland, Danton, Camille Desmoulins.

Tous, jusqu'à Robespierre, que la réaction un jour assassinera lâchement, ainsi que Saint-Just, le grand et stoïque républicain.

Nous raconterons quelque jour sa mort héroïque et fatale.

De toutes ces femmes sublimes qui ont traversé ce récit en courant, toutes avaient payé leur dette à la liberté naissante ou étaient à la veille du sacrifice, toutes, jusqu'à la Dubarry qui se débattait en vain contre la main du bourreau, qui l'étreignait, toutes, jusqu'à la Palférine qui, dans son propre sang, purifia les fautes de sa jeunesse, toutes, jusqu'à la belle Théroïgne de Méricourt qui, déshabillée un jour par une troupe d'infàmes mégères qu'on nommait les furies de la guillotine, disparut et devint folle.

On la crut morte et elle passa pour telle.

Plût au ciel qu'elle le fût; mais elle vécut celle-là, elle vécut folle toute sa vie, et mourut vingt ans après à l'hôpital de la Salpêtrière.

Il n'est pas jusqu'à Lucile, Lucile l'immortelle qui ne suivit à l'échafaud son bien aimé Camille.

Ils s'étaient aimés dans la vie et avaient vécu du même

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