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Je dois à la nation mon génie, mon sang; je ne lui dois pas le sacrifice de mes amours.

Vous lui devez du moins compte des sommes qu'elle vous alloue pour son utilité.

Dumouriez sort furieux, et ne remet plus les pieds chez Mme Roland. Profitant de la lutte qui a lieu entre les girondins et les jacobins, il se jette dans les rangs de ces derniers.

Robespierre, Danton, Camille Desmoulins, les tètes fortes du parti, se laissent séduire comme Roland, le roi, la reine, le pople, comme un jour il séduira les soldats qu'il trahira.

Bien appuyé, il accuse Mme Roland à la tribune; cette femme, dit-il, paralyse nos efforts pour le bien de ses menées souterraines. Ce n'est pas assez d'être vénal, corrompu, il est lâche. Les girondins répondent par une demande de comptes. Dumouriez s'emporte on ose le soupçonner lui, il préfère donner sa démission. C'était en effet plus simple. Cent mille francs avaient été employés pour sa maison. Roland, pressé par sa femme, somme en ce moment le roi de sanctionner le décret sur les prêtres non assermentés.

Le roi est outré! c'est vouloir sa tête que d'exiger de lui qu'il se prive de l'appui des jésuites de son royaume. A défaut de sceptre, la robe noire le protége contre la révolution. Il refuse, supplie Dumouriez son ami et celui de Robespierre de ne pas l'abandonner, et de lui proposer trois ministres en remplacement de Clavière, Servan et Roland.

Dumouriez saisit l'occasion.

Vergennes, Mourgues et Naillac sont nommés.

Roland destitué se présente à l'Assemblée, lit une lettre dictée, dit-on, par Mme Roland, et qui fut le boulet rouge qui renversa la royauté, puis, couvert d'applaudissements, au milieu des bravos et du tumulte de la séance, il attaqua Dumouriez.

Celui-ci vient se défendre et se retire couvert par les huées.

Trois jours, il se cache dans Paris, et venant faire ses adieux au roi et à la reine auxquels il promet peut-être la trahison, il s'éloigne de Paris, et rejoint les camps qu'il n'aurait jamais dû quitter.

Les girondins triomphaient encore. La voix triomphante de Guadet et de Isnard se faisait entendre. La guerre se déclarait sur nos frontières. Vergniaud, l'âme de la Gironde, couronnait l'œuvre de son parti par un de ces discours où il semble que le génie de l'homme s'allume au feu de l'inspiration divine.

Le ministre Roland redevint simple représentant du peuple. Mme Roland, en rentrant dans son étroit petit logement de la rue Saint-Jacques, se trouva plus libre que dans les grands appartements qu'elle abandonnait.

Elle avait alors une grande douleur à consoler.

Le lendemain même de son arrestation, René d'Aubersac était revenu à son domicile. Conduit à Versailles, il avait été introduit dans une chambre secrète, où un homme qu'il n'avait jamais vu voulut lui faire subir une espèce d'interrogatoire.

René, dont la fierté ne se démentait jamais, avait demandé ses titres à l'homme qui l'interrogeait, et n'avait satisfait à aucune de ses questions.

Celui-ci, assez embarrassé, s'était retiré.

Deux heures après un jeune homme, en tenue d'officier, et se disant le comte de Francheville, vint délivrer René, s'excusant auprès de lui pour l'insulte qui lui avait été faite, et parlant d'une méprise :

- L'objet d'une méprise, moi? fit René.

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L'ordre avait été donné, en effet, d'arrêter un certain René; mais il s'agissait d'un René de Norcac, et non de votre personne.

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Le fait est assez étrange, mais j'accepte l'excuse, se dit René, heureux d'en être quitte à si bon marché.

Les deux jeunes gens sortirent ensemble, et la conversation tomba inévitablement sur la politique.

Le comte de Francheville avoua qu'il avait en horreur la démagogie.

Et moi la tyrannie, dit René.

Nous sommes faits pour nous comprendre, fit le

comte.

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Apparemment.

Vous aimez les girondins, je crois.

Ils sont mes meilleurs amis.

Moi, je les hais, ce sont eux qui font tout le mal.

- Cher monsieur, je vous quitte, dit René, vos agents m'ont fait passer une nuit horrible, et j'ai grande hâte de prendre la route de Paris.

Prenez garde, monsieur d'Aubersac, vous manle club ce soir, et Mme Roland vous donnera sur les ongles.

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En quoi le nom de cette femme?...

Eh! mon Dieu! parce que ce nom me choque à

côté du vôtre, et que le journal la Sentinelle, que rédige votre autre ami Louvet, les accole souvent.

René se sentit la rougeur au front.

Mais la pensée eut le temps de se faire jour en lui, et il se contint.

Les agents de la royauté, se dit-il, m'ont fait arrêter dans l'intention de me faire disparaître. La réflexion leur est venue, et mon insolence les a désarmés. Ils se sont dit disparu, le drôle sera réclamé par vingt-cinq individus qui ont accès dans la presse, à la tribune et dans le peuple. Nous nous mettons là une mauvaise affaire sur les bras. Avisons-lui plutôt un spadassin, un bretailleur émérite, et le tour sera joué. De gentilhomme à gentilhomme, un duel est encore une chose possible.

Monsieur, dit poliment René, cessant son aparté, nous ne sommes plus sous Louis XV, et la vie d'un homme de cœur est chose trop utile aujourd'hui pour la jouer avec votre seigneurie; sur ce j'ai l'honneur d'être votre serviteur.

- Permettez, monsieur, vous croyez-vous insulté ? Nullement.

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- C'est différent, fit le comte de Francheville frisant sa moustache, je croyais cependant vous en avoir donné des motifs.

-Pas suffisamment, fit-il.

-Autrefois les gentilshommes.

Autrefois les gentilshommes, reprit René, étaient des oisifs. Leur vie était inutile à la chose publique. Ils avaient le droit de la risquer contre celle du premier venu, de la jouer sur un coup de dé. Aujourd'hui c'est

différent. Tant pis pour ceux de ces gentilshommes qui ont des épées au côté, et les idées de l'autre siècle.

Cette épée, monsieur d'Aubersac, servira à châtier les misérables qui abandonnent leur roi en péril.

En fait de roi, je ne connais que la nation, entendez-vous, monsieur de Francheville; du jour où la nation ne veut plus de roi, vous n'avez que faire de vous imposer à elle.

-En fait de gentilshommes, moi, je ne reconnais que ceux qui veillent à leur poste, les autres sont des lâches.

Le vôtre est à l'armée, que faites-vous ici?
Est-ce une leçon?

N'êtes-vous pas officier?

-Je l'étais quand il y avait de l'honneur à servir.

Alors vous trompez la nation en portant un uniforme qui ne vous appartient pas. Maintenant, puisque vous m'avez attiré ici dans un infâme guet-apens, et qu'il vous faut du sang, je me mets à votre discrétion, monsieur de Francheville.

-Et c'est fort heureux, fit le comte qui pâlissait en entendant René, car j'allais vous assassiner.

-On assassine donc entre gentilshommes?
Venez, monsieur.

Mais je n'ai point d'épée, monsieur.

- Reculez-vous déjà?

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Soit, tout est bon pour moi contre vous.

Les deux jeunes gens étaient dans le haut de la rue des Récollets; ils la descendirent, prirent la rue du vieux Versailles, la rue de la Bibliothèque, la rue de l'Orange

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