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Marthe ouvrit de grands yeux, ne revenant pas de son ét ɔnnement.

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Que vont-ils faire de toi, mon Dieu! s'écria-t-elle.
Qu'importe, fit Thérèse, je le sauve.

Dans le même instant, René jugeant qu'il était vraiment trop tard pour déranger Thérèse, et, dans la chaleur de la discussion, oubliant le danger qu'il pouvait courir et dont la veille on l'avait cependant prévenu, quittait Marcel et rentrait chez lui.

Quand ce dernier se présenta devant Marthe, celle-ci le voyant seul poussa un cri.

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-Eh bien, fit Marcel, il est chez lui.

Marcel comprit tout dans un instant et se précipita dans l'escalier.

A deux minutes de distance, deux voitures semblables et aux stores fermés passaient sous les fenêtres de Marthe, brûlant le pavé, et s'éloignant dans la direction des quais. Dans la première était Thérèse divertissant fort par son babil les agents triomphants; dans la seconde se démenait René, les mains liées et la menace à la bouche.

II

UN ESPION DE LA REINE

Mais pendant ce temps, la révulution marchait. Tous les hommes qui y avaient un rôle se dessinaient en plus forte lumière et s'accusaient davantage. Robespierre avançait seul dans sa force, dans la puissance de son système et dans la rigidité de ses principes. Danton, plus enthousiaste et moins tenace, faisait frissonner la foule du bruit de sa parole et des éclairs de son patriotisme, mais ne savait se déclarer l'ennemi ni de Robespierre, ni des girondins; et cependant, entre le chef des jacobins et la Gironde, un abîme se creusait, un abîme tellement profond, que bientôt la république n'aurait plus assez de tête pour le combler.

Les girondins l'emportaient alors. Jamais on n'avait vu une réunion plus complète de talents divers et d'ap

titudes diverses. Mme Roland guidait tous ces jeunes gens, leur montrant dans l'avenir la patrie régénérée et la république triomphante.

Le cercle s'était encore agrandi. Le petit logement du philosophe Roland était trop petit pour contenir tous ces enthousiastes qu'on nommerait aujourd'hui des utopistes. A Péthion, Brissot, Buzot, Condorcet, Louvet, s'étaient joints peu à peu Dusaulx, Mercier, Carra, Grangeneuve, Chabot, Boileau, Fonfrède, Ducos, André Chénier, Lauthenas, Pache, Valazé, Lasource, Hérault de Séchelles, Salles, Rebecqui, Rabaut de Saint-Etienne, Thomas Payne, Sièyes, l'homme d'Etat de la Gironde, Isnard, l'orateur entraînant, Guadet, le rival d'Isnard, Gensonné, l'orateur sans éclat, sans lyrisme, mais hardi, profond, mordant, Vergniaud, le roi du parti, la figure la plus sympathique de la révolution, génie débordant en torrent d'éloquence et dominant toute une assemblée de sa supériorité incontestable.

Robespierre qui s'était séparé des girondins, était seul à combattre contre eux, et ne courbait la tête un moment que pour la relever plus tard.

Les girondins, dans l'enthousiasme de leurs succès, se figuraient leur ennemi abattu, il n'était qu'endormi.

Ils triomphaient sans rivalité, car, que leur importaient à eux, patriotes sincères et dévoués, hommes de sens et de bien, les déclamations dérisoires de certains hommes, tels que Marat, Legendre et autres plus obscurs et plus forcenés encore. Jusqu'au jour où leurs têtes, chaudes encore de la pensée, roulèrent ensanglantées au pied de l'échafaud, les girondins ne crurent pas à la guillotine.

Mais il y avait un homme alors qui occupait l'attention publique plus que Robespierre lui-même. Cet homme était Dumouriez, rien alors, dans une condition subalterne, soldat sans gloire, Dumouriez avait été délégué en province comme commissaire avec Gensonné.

Ce dernier avait remarqué le génie caché de Dumouriez, et en fit part à Roland. Roland fut de l'avis de Gensonné, et comme on avait besoin d'un homme d'action, on choisit Dumouriez.

D'une taille moyenne, mais bien prise, payant de sa personne et de son esprit, Dumouriez avait pour lui un talent immense, celui de la séduction. Cet homme, qui plus tard fut traître à sa patrie et à son armée, sut séduire tous les partis. Mme Roland seule ne l'aimait pas. Il fallait à cette femme des hommes convaincus, des hommes de foi et de principes.

Dumouriez était un sceptique. Il surprit d'abord la confiance des girondins, qui l'élevèrent au poste de premier ministre. Mais madame Roland soupçonnait Dumouriez et elle lui imposa pour contrôle son propre mari.

Roland fut ministre de l'intérieur.

A la tête du ministère, le premier acte de Dumouriez fut de se tourner contre ceux à qui il devait tout. Cachant sous la brutalité apparente du soldat l'âme molle d'une femme, son astuce, et la rouerie du comédien, aristocrate de sentiment et méprisant le populaire, il chercha à briller à la cour, et s'introduisit dans les conseils secrets du roi et de Marie-Antoinette.

Pendant que tout haut il plaisantait avec la cour, la simplicité rustique du philosophe Roland paraissant aux

Tuileries en chapeau rond et en souliers ferrés, sans boucles, tout bas il conseillait le roi contre son peuple, et lui fournissait des armes contre l'Assemblée.

Là, cependant, que faisait-il?

Il montait à la tribune pour prouver ses sentiments patriotiques, il se coiffait jusqu'aux oreilles du bonnet phrygien.

Robespierre, dont le patriotisme n'était point douteux, l'avait déjà refusé aux jacobins; cette fois il sourit à Dumouriez afin de lui faire comprendre qu'il n'était point sa dupe, et, gravissant la tribune, il repoussa encore le faux révolutionnaire. Ce n'est pas tout: abusant de son heure de popularité, il demande à l'Assemblée six millions pour les frais extraordinaires de son ministère.

Les six millions alloués, Dumouriez, à côté de la sobriété de Roland et des autres membres de la législative, mène une vie opulente. Il a une maîtresse, femme belle, spirituelle, mais comme lui sans enthousiasme, et qui ne voit dans la révolution qu'une occasion de fortune et de popularité. C'est Mme de Beauvert, la sœur de Rivarol. Tous deux, ils jouent le rôle qu'avaient joué Mme de Staël, la fille de Necker, et M. de Narbonne, ancien ministre. Abusant du talent, du nom et de la fortune, les ambitieux spéculent sur la bonne foi et jusqu'aux passions du peuple.

Mais Mme Roland est là. Elle attaque franchement Dumouriez, et devant ses amis lui reproche sa vénalité.

riez.

Ma vie privée ne regarde que moi, dit Dumou

Non, si votre vie privée est un scandale pour votre vie publique.

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