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pierre n'est pas coupable, et quant à Marat, il n'est pas digne d'une accusation.

Roland, la tête dans ses mains, paraissait désespéré.

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Attendre, dit Vergniaud. La Commune est forte et domine, l'ouragan populaire est déchaîné. Il faudrait une majorité plus imposante que la nôtre pour arrêter le torrent. Qui sait si Danton lui-même n'est pas poussé par quelque puissance occulte.

Tout le reste de la nuit on discuta.

La veille de cette réunion chez Roland, la voix de Vergniaud s'était fait entendre poignante et hardie. On venait d'apprendre la reddition de Verdun et l'acte héroïque de Beaurepaire.

Citoyens, s'était écrié Vergniaud, aujourd'hui même, à l'instant, que tous les amis de la liberté se rangent sous les drapeaux; allons nous réunir au Champ-de-Mars, qu'une armée de soixante mille hommes se forme sans retard, et marchons à l'ennemi, ou pour succomber sous ses coups, ou pour l'exterminer sous les nôtres.

Alors on avait assisté à un enthousiasme sans précédent dans l'histoire. Les rues de Paris avaient été sillonnées par des bandes d'enfants des faubourgs s'enrôlant dans l'armée. Les mères sacrifiaient leurs fils à la patrie. Les sœurs disaient aux frères, tu es bien heureux. Tous les volontaires, la cocarde au chapeau, sans souliers aux pieds, partaient avec joie, entonnant l'hymne de la Marseillaise. Tous ces hommes disséminés et en haillons de

vaient sauver la France et nous revenir glorieux et mutilės.

Malheureusement, tous les citoyens ne partaient pas pour la frontière, et ceux qui restaient étaient sous le coup des événements terribles qu'on attendait.

Il n'y avait point besoin d'être royaliste pour souffrir. Mme Roland souffrait comme Marie-Antoinette, René d'Aubersac comme le chevalier de Maupertuis, Bideauré comme le marquis Viviane de Marchangi, le peuple comme le noble, le philosophe comme le prêtre, le républicain comme le monarchiste.

On allait tuer, massacrer... Et tous ceux qui avaient un cœur se cachaient les yeux pour ne pas voir.

On obéissait à la fatalité, disait-on; il fallait répondre aux menaces de l'étrang nger par un coup terrible.

Lui montrer son audace et sa force.

C'était terrible... épouvantable... il allait se commettre des milliers de crimes que personne ne commanderait, mais que tout le monde laisserait faire, tant la peur était grande et que la nécessité du temps était en quelque sorte inexorable.

Bideauré demeurait alors rue de la Huchette, et vivait d'un petit emploi que Danton lui avait fait obtenir, il revenait chaque soir souper avec sa fille, avec sa Thérèse bien-aimée.

Ce soir-là, ils étaient quatre à table, Bideauré, qui ne craignait plus les agents de la police de Louis XVI. Thérèse, remise des émotions successives qu'elle avait éprouvées chez le chevalier de Maupertuis et dans la journée du 10 août, Suzanne, toujours inconsolable de n'avoir pas retrouvé la piste de Marguerite, et Marcel

Boucherot, plus triste encore, pleurant la perte de Marguerite et le deuil de Marthe, Marcel, le jeune volontaire qui dans quelques jours devait partir pour l'armée.

Cependant, un cinquième couvert était mis et restait. inoccupé.

Vingt fois les regards de Thérèse se tournèrent de ce côté.

Je crois décidément qu'il ne viendra pas, dit Su

zanne.

— Oh! si, il viendra, dit Thérèse, ce n'est pas aujourd'hui qu'il manquerait à sa parole, aujourd'hui qu'il sait que je suis inquiète.

- Pourquoi serais-tu inquiète? demanda Suzanne.

-

Pourquoi... et si on suspecte son patriotisme, si on le jette dans les prisons, si on l'égorge avec les autres. Elle frissonnait en disant cela.

- Lui, René d'Aubersac, le soldat de la Bastille, le héros du 10 août, l'ami de Danton et des girondins!

Oui, oui, dit Thérèse, mais c'est aussi le vicomte d'Aubersac, c'est le noble. A défaut des préjugés de la noblesse, il a gardé les allures d'un aristocrate. Qui sait ce qu'il va arriver, si on ne peut le confondre avec un des membres de sa famille, avec un de nos ennemis.

- Tu t'alarmes à tort, Thérèse, dit Bideauré, d'Aubersac, est connu, et vingt amis le réclameraient avant qu'il lui arrive malheur; avant qu'on l'ait frappé, les hommes du peuple l'auraient reconnu.

Je le crois, mais c'est égal, c'est plus fort que moi, je ne suis pas tranquille.... Puis, pourquoi n'arrive-t-il pas?

La porte s'ouvrit et René d'Aubersac parut.

- Je me suis fait un peu attendre, dit-il, pardonnezmoi; des visites qui n'en finissaient plus.... mais savezvous bien que je n'ai rien pris de la journée et que j'ai une faim d'enragé.

Il serra la main à Bideauré et à Marcel, salua Suzanne, embrassa Thérèse, et prit place à table.

On le servit, et il mangea, en effet, comme un homme qui a grand appétit.

Quelle imprudence, dit Thérèse, attendre si longtemps sans rien prendre. Regarde, père il est tout pâle. Vous verrez qu'il se rendra malade.

Ah! ma pauvre Thérèse s'exclama René comme répondant à une pensée intime qui l'agitait, il s'agit bien de maladie, nous allons voir des choses horribles.

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sait?

C'est bien décidé? dit Suzanne.

Hélas! oui.

On n'a pas ouvert les prisons comme on le di

Comme les girondins l'auraient voulu, mais ils ne sont plus les maîtres, l'Assemblée elle-mème n'est rien, c'est la Commune qui gouverne.

Et que va-t-elle faire, la Commune, de tous ces prisonniers, ceux pris dans la journée du 10 août et depuis?

On ne sait encore. Toujours est-il qu'on les entasse; on dit dans les faubourgs qu'on les égorgera. O mon Dieu ! fit Thérèse, qui se couvrit le visage de ses mains.

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Et se tournant vers son fiancé :

Quand nous avons demandé la révolution, mon pauvre René, dit-elle, quand tu as luité contre tous les tiens pour t'en faire un des champions les plus déclarés, savions-nous que nous verrions un jour au nom de cette même révolution répandre tant de sang?

Bideauré prit un air sévère.

Ma fille, dit-il, jusqu'à présent le sang n'a pas été répandu, tu as donc tort dans ce que tu dis; maintenant il le sera, sans doute, et plùt au ciel qu'il ne le soit pas avec abondance; mais songe ce que la révolution a d'ennemis, songe ce qu'elle a combattu, songe contre qui il lui faut lutter. En ce moment, la France est entourée par des ennemis du dehors, minée par ceux de l'intérieur. On va nous broyer comme dans un éteau si nous n'y prenons garde. Chaque maison d'aristocrate est un foyer de conspiration. Par-dessus notre tète, nos ennemis se donnent la main pour nous écraser. La révolution vaincue, que crois-tu donc qu'on fera de nous tous, et que deviendront les fils et les petits-fils des hommes qui ont fait la révolution? C'est une dure nécessité du temps, je suis contre la répression violente, contre le sang versé, mais je n'accuse pas les hommes qui savent nous défendre dans un moment aussi périlleux que celui dans lequel la France se trouve. Ces hommes-là risquent leur tête et leur popularité, ils font le sacrifice de leur fortune, de leur existence, de leur nom, et livrent ce dernier à l'exécration de la postérité; ce sont des hommes courageux, et quoi qu'ils fassent, nous devons respecter leurs décisions, et ne pas nous insurger

contre eux.

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