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LES FEMMES SOUS LA TERREUR

Première Partie

LES AMOURS DES GIRONDINS

I

LOUVET ET LE CHASTE AMOUR DE SA VIE

Le 30 septembre de l'année 1791, l'Assemblée constituante terminait ses séances. Les représentants du peuple retournaient dans leurs foyers, semant partout sur leur passage le germe Ide la liberté et recueillant les sympathies et les acclamations des provinces.

Le roi avait accepté la constitution.

Le peuple était en liesse. La bourgeoisie sympathisait avec l'armée. On croyait à la paix au dehors, au bonheur à l'intérieur. Par cet acte, le roi se réconciliait avec le pays. Qu'avait-on à redouter maintenant? La reine fêtée à l'Opéra retrouva un de ses anciens jours de triomphe.

Elle était femme, elle était belle, on voulut l'acclamer comme au temps de sa prospérité, et lui montrer que la

fureur du peuple ne s'allume pas sans motif et qu'il sait oublier comme se souvenir.

On voulut lui montrer surtout que, reine d'un peuple libre, elle n'en serait pas moins respectée et adorée.

Mais le soleil fut de courte durée. Pendant qu'on se réjouissait et que la France entière, battant des mains, croyait à une ère de paix et d'amour, les émigrés se démenaient à Coblentz et levaient des armées.

Triste orgueil de ces hommes et bien ridicule spectacle qu'ils donnèrent au monde! Chacun, sous le prétexte d'un nom fameux dans l'histoire et de plus ou moins de quartier de noblesse, se nomma officier. Celui qu'on oubliait s'élevait de lui-même et de sa propre autorité à un grade supérieur. Quand on songea à organiser cette vaillante armée prête à fondre sur la patrie commune, on ne vit que des chefs et pas un soldat.

Attendons l'étranger, se dirent-ils, nous nous mettrons à leur tête.

Mais comme la nation se vengeait bien de cette noblesse orgueilleuse et dérisoire; la nation formait son assemblée législative. Les Mirabeau, les Lamech, les. Barnave étaient dépassés. L'éloquence de Vergniaud allait retentir à la tribune. La voix hardie du tribun populaire s'essayait à tonner sous les voûtes du forum. Le courage de Louvet était à la veille de se déployer dans tout l'enthousiasme d'un patriotisme ardent.

Robespierre aiguisait sa phrase et la rendait éloquente à force de travail et de persévérance.

Guadet, Gensonné, Languinais, Hérault de Séchelles, Valazé, que de noms inconnus hier, obscurs aujourd'hui,

et qui le lendemain allaient jaillir resplendissants pour retomber dans la nuit de l'immortel souvenir.

Mme Roland, après la dernière séance de la constituante, était repartie à la Platière.

Près de son mari et de Gabrielle, Mme Roland retrouva quelques beaux jours de calme et de douee sérénité.

Sa gloire ne s'étendait pas plus loin que le petit cercle de ses amis; la popularité ne l'avait pas encore étourdie de ses acclamations et de ses retours d'infortune.

Elle se disait heureuse et éprouvait une joie immense au cœur toutes les fois qu'un nouvel événement avançant la cause du peuple parvenait jusqu'à elle, où qu'une brise folle lui apportait le parfum des fleurs et l'haleine odorante de la terre après quelques heures d'orage.

Elle entretenait du reste avec Robespierre et Buzot une correspondance suivie. C'étaient des lettres de dialectique et de philosophie avec le premier; des lettres de politique enthousiaste et de sentiment élevé avec le second.

Buzot était une de ces natures qu'on ne peut appro cher sans les aimer. Mme Roland avait subi l'influence commune.

Roland était un homme froid, dont le tempérament s'était usé dans les travaux arides, dont l'esprit sans enthousiasme s'altérait dans des veilles stériles. Ce n'était point l'homme qu'il eût fallu à cette jeune femme qui, caressant tous les rêves, se mariait sans amour. Mais ce mari, elle l'estimait à l'égal d'un sage de la Grèce, d'un philosophe de l'antiquité; elle le respectait jusqu'à

incliner sa supériorité incontestable devant ses talents obscurs.

Elle se fut tuée avant de tacher la réputation de vertu du stoïque républicain.

Et cependant, au fond du cœur de Mme Roland, l'image de Buzot sommeillait. L'amour de la patrie étouffait cette étincelle jaillissant d'un brasier fatal. Mme Roland, dans l'ardeur de la lutte, imposait silence à son cœur comme à ses passions.

Buzot l'aimait sans le lui dire et sans qu'elle l'ignorât.

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Unissons-nous pour

le bien de la patrie et le triomphe de nos idées lui disait-elle.

L'Assemblée législative étant constituée, elle revint à Paris et reprit son petit logement de la rue SaintJacques.

Son mari était représentant du peuple. Son étroite demeure devint un foyer ardent où les fortes idées, les jeunes talents, les imaginations folles et les solides vertus vinrent soudain briller d'un éclat nouveau.

Mais loin de là, au club des jacobins, l'homme dédaigné grandissait.

Robespierre dépassait déjà ses rivaux en popularité. On s'apercevait enfin que ce petit homme-là, tout ambitieux qu'on le supposait, avait assez de force et de caractère pour s'emparer de l'opinion publique et devenir l'idole populaire.

Mme Roland avait eu raison et l'avait mieux jugé que ses amis.

Malheureusement, Robespierre n'était déjà plus le

sien.

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