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Ni Vergniaud, ni Guadet, ni Gensonné, ni Brissot était l'homme de la situation.

Ce n'était non plus ni Saint-Just, ni Robespierre.
L'homme de la situation, c'était Danton.

Danton secondé par Marat.

Tous deux firent œuvre de sang.

Le nouveau ministre de la justice répondit au défi de l'Europe coalisée et aux menaces des émigrés par des flots de sang. Il paralysa leur ardeur, il les glaça de terreur, il sauva la France, mais il la compromit; il assura le progrès de la révolution, mais il la ternit, il donna l'audace aux uns, le courage aux autres, il alluma l'enthousiasme dans le cœur des patriotes, il souffla la force dans les muscles du peuple. Grâce à lui, on se baltit et on chassa l'ennemi, grâce à lui, la nation resta maîtresse d'elle-même et écrasa dans ses flancs les préjugés odieux et barbares d'une aristocratie vieillie et démolie, mais ses mains se teignirent de sang, et le nom de Danton, malgré les rayons d'une certaine gloire qui l'éclaire, apparaît dans la postérité à demi plongé dans les ténèbres que dissipe la lueur sinistre des massacres de septembre.

Mais ne devançons par les événements.

A côté de l'Assemblée s'élève un autre pouvoir, pouvoir terrible et qui dépassera bientôt toute limite, celui de la Commune.

La Communè c'est le peuple, mais le peuple violent, exalté, cruel quelquefois... Celui-là a souffert, rarement il fera grâce.

Il demande une cour martiale pour juger ses ennemis.

On hésite, il insiste, on lui cède.

L'heure des représailles, des vengeances est sonnée, malheur à qui tombera sous sa main.

Le patriotisme a ses excès, la haine et la peur sont mauvaises conseillères. Le peuple aura aussi sa Barthélemy, et comme celle de la monarchie, qu'elle soit condamnée par tous les nobles esprits et les vrais amis de la liberté !

C'était dans la nuit du 1er au 2 septembre.

La journée du lendemain était un dimanche, et devait apparaître vengeresse et sanglante.

La nuit qui la précédait avait quelque chose de froid et de sinistre.

Le ciel était gris, terne, les nuages, presque à ras la terre, s'amoncelaient en flocons épais au-dessus de l'immense ville. Paris n'osait respirer et attendait haletant, ne sachant s'il allait vivre le lendemain.

La cité entière se croyait condamnée.

Voilà les paroles terribles qui la veille étaient tombées des lèvres de Danton.

« Le pouvoir exécutif, dit-il, me charge d'entretenir l'Assemblée nationale des mesures qu'il a prises pour le salut de l'empire. Je motiverai ces mesures en ministre du peuple, en ministre révolutionnaire. L'ennemi menace le royaume mais l'ennemi n'a pas pris Longwy, on exagère nos revers. Cependant, nos dangers sont grands. Il faut que l'Assemblée se montre digne de la nation. C'est par une convulsion que nous avons renversé le despotisme, ce n'est que par une grande convulsion nationale que nous ferons rétrograder les despotes. Jusqu'ici nous n'avons fait que la guerre simulée

de Lafayette; il faut faire une guerre plus terrible. Il est temps de pousser le peuple à se précipiter en masse sur ses ennemis! On a jusqu'à ce moment fermé les portes de la capitale et l'on a bien fait : il était important de se saisir des traîtres, mais y en eût-il trente mille à arrêter, il faut qu'ils soient arrêtés demain, et que demain, à Paris, on communique avec la France entière! Nous demandons que vous nous autorisiez à faire des visites domiciliaires. Que dirait la France si Paris, dans la stupeur, attendait, immobile, l'arrivée des ennemis? Le peuple français a voulu être libre, il le sera. » Le ministre se tait. L'Assemblée s'étonne, le décret passe. Danton sort et court au Conseil de la Commune préparé à l'obéissance par ses confidences. Il demande au Conseil de décréter séance tenante les mesures nécessaires au coup d'état national dont le pouvoir exécutif assume la responsabilité : « Au rappel des tambours qui battra dans la journée du lendemain, tous les citoyens seront tenus de rentrer dans leurs maisons. La circulation des voitures sera suspendue à deux heures. Les sections, les tribunaux, les clubs, seront invités à n'avoir point de séances, de peur de distraire l'attention publique des nécessités du moment. Le soir, les maisons seront illuminées. Des commissaires choisis par les sections et accompagnés de la force publique pénétreront au nom de la loi dans tous les domiciles des citoyens. Chaque citoyen déclarera et remettra ses armes. S'il est suspect, ́ on fera des recherches, s'il a menti, il sera arrêté. Tout particulier qui sera trouvé dans un autre domicile que le sien sera déclaré suspect et incarcéré. Les maisons vides ou qu'on n'ouvrira pas seront scellées. Le commandant

général Santerre requerra les sections armées. Il formera un second cordon de gardes autour de l'enceinte de Paris pour arrêter tout ce qui tenterait de fuir. Les jardins, les bois, les promenades des environs seront fouillés. Des bateaux armés intercepteront aux deux extrémités de Paris le cours de la rivière, afin de fermer toutes les voies de la fuite aux ennemis de la nation. »

Qui peut répondre qu'il ne sera pas considéré comme suspect?

Danton avait dit encore: Il faut faire peur aux royalistes.

Tout le monde tremblait. Les royalistes, il y en avait partout. Ceux qui ne l'étaient pas avaient des parents, des amis qui l'étaient. Qu'allait-il donc arriver?... On racontait tout bas des choses sinistres. On disait que des agents du comité de surveillance s'étaient présentés le 28 août à six heures du matin, chez le fossoyeur de la paroisse de Saint-Jacques du Haut-Pas, et lui avaient ordonné de les suivre sur l'emplacement des carrières qui s'étendent en dehors de la barrière Saint-Jacques, et que là, ces hommes avaient cherché l'ouverture du puits qui descendait dans les carrières, et l'ayant trouvée, lui avaient ordonné de faire creuser le vaste terrain, de façon qu'il pût servir de champ de sépulture.

Il y avait depuis la journée du 10 août une quantité de malheureux incarcérés dans les prisons de Paris. Ceux-ci frissonnaient à la nouvelle de ces apprêts. Quant aux royalistes qui se cachaient, ils cherchaient des retraites encore plus profondes que celles qu'ils avaient choisies jusque-là.

On veillait dans les appartements du ministre Roland. Il y avait plusieurs nuits que l'austère philosophe n'avait pris de repos.

Mme Roland, vêtue de noir, un voile jeté sur les lourds bandeaux de sa luxuriante chevelure, se promenait agitée dans le grand salon où avaient été conviés les principaux girondins.

Le premier qui arriva fut Buzot.

Il accourait se consoler des malheurs de la patrie aux genoux de la femme qu'il aimait avec l'enthousiasme respectueux et mélancolique des âmes grandes. Ce fut encore Mme Roland qui, ce soir là, essuya de sa main les larmes qui coulaient sur les joues de l'homme faible.

Du courage, Buzot, lui dit-elle, nos amis vont venir, et peut-être Dieu permettra-t-il que sa sagesse nous inspire.

Ils arrivèrent en effet. Ils étaient tous pàles et bouleversés.

Vergniaud rappela la parole de Danton :

Si le tocsin vient à sonner, ne craignez rien, ce n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace.

- Nous sommes perdus, dit Guadet, demain la révolution sera compromise.

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Les massacres de septembre seront une tache pour tous les hommes de la révolution, dit Gensonné.

Danton seul est coupable, dit Barbaroux.

Danton et quelques hommes, reprit Louvet.

-Non, dit Vergniaud, il n'y a que Danton, Robes

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