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elle ne l'était que davantage sur celui de René qui n'avançait plus dans la vie qu'au milieu de périls sans nombre. Par sa situation, le jeune homme avait tout à craindre. Haï des royalistes, dont il avait renié hautement les principes; vu avec soupçon par le parti modéré; repoussé par le parti extrême, comme noble et comme fédéraliste, René jouait dans la révolution un rôle dangereux, que l'on eût pu traiter d'absurde, si l'homme était responsable de sa naissance, et coupable de trop d'élévation dans les sentiments.

Thérèse avait encore déménagé pour offrir un refuge à René s'il était poursuivi. Bideauré, traqué de son côté, avait pris aussi un autre logement. Thérèse habitait alors un petit entresol situé dans le quartier désert du Marais, composé de trois pièces. Elle n'était pas seule et partageait son modeste abri avec une toute jeune fille nommée Marthe.

Cette Marthe, c'était plus qu'une amie pour Thérèse, c'était une sœur.

Et c'était bien sa sœur en effet, puisqu'elle était la sœur de ce pauvre Marcel Boucherot qui, ayant perdu sa mère au pays, l'avait fait venir à Paris et l'avait donnée pour compagne à Thérèse.

Marthe était la plus jeune des deux jeunes filles et la plus expérimentée. Aussi s'était-elle attachée à Thérèse d'une façon toute particulière.

Il y avait à peine quelques semaines que les deux enfants vivaient l'une près de l'autre qu'elles étaient liées comme si elles ne s'étaient jamais quittées.

C'était Marthe qui avait ouvert, une enfant, dix-sept ans à peine, dont la vie était comme un livre immaculé,

blanc et rose comme un ciel, et qui affectionnait aussi René comme un autre frère. Se repentant d'avoir livré passage à de si étranges visiteurs, et se méfiant d'un danger possible, elle insista afin de démontrer aux agents que M. d'Aubersac ne se présentait jamais à une heure aussi avancée dans un logement ami.

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S'il ne vient pas, nous en serons quittes pour une perte de temps, dit l'un d'eux, nous avons l'ordre de passer la nuit à cette porte.

- A votre aise, dit la petite Marthe, qui essaya de dissimuler son émotion et ses craintes.

Elle entra alors seulement dans la chambre de Thérèse et avoua à celle-ci la visite qu'elle venait de recevoir, lui dépeignant les fâcheux visiteurs qui gardaient la porte.

- Il est perdu! exclama Thérèse qui devint subitement pâle.

— Mais il est fort possible que René rentre tout de suite chez lui, objecta l'enfant.

-Non, dii Thérèse.

Songe qu'il est tard.

Le club n'est

pas terminé.

De toute manière il est perdu, te dis-je, crois-tu que ceux qui ont intérêt à se saisir de sa personne n'ont pas posté des individus à la porte de sa propre demeure, puisqu'ils en envoient bien ici?

- C'est vrai, dit Marthe qui ne trouva plus un mot à objecter.

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Mais ce n'est pas chez lui qu'il sera pris, continua Thérèse, mais ici. Ce soir, il accompagnera Marcel qui doit venir me donner des nouvelles de mon père; il me

l'a promis tantôt. Avait-il déjà le soupçon de quelque danger et pensait-il être plus en sûreté dans cette maison? Le fait est possible, mais il viendra, je le sais.

Comment faire? fit Marthe.

Il reste bien appendus à la muraille de la chambre où René couchait quelquefois, un pistolet ou quelque autre arme? dit Thérèse qui réfléchissait.

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Trois contre trois, ces hommes qui sont lâches fuiront ou rendront l'àme.

Marthe, qui était femme jusqu'au bout des ongles, et qu'une arme à feu effrayait, ne put s'empêcher de sourire.

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Enfant, fit-elle, folle, plutôt, crois-tu que trois individus se risqueraient jamais d'en venir arrêter un seul?

Au moment où j'ouvrais la porte, j'ai vu des ombres sinistres se dessiner sur les murailles. Les corbeaux sont au moins sept ou huit.

gale.

Diable, fit Thérèse, la lutte serait peut-être iné.

- Je le crois, puis, que veux-tu faire, toi, femme? Femme, il n'y a pas de femme en temps de révolution, il y a des cœurs qui battent, des voix qui acclament, et des bras qui se défendent.

Il y eut un instant de silence.

- Et impossible de le prévenir, dit Thérèse, va trouver ces hommes et essaie de les fléchir, fit-elle subitement.

Marthe avait quitté la chambre de Thérèse.

Celle-ci aussitôt s'approcha d'un miroir, et arracha le

peigne qui retenait dans ses dents d'écaille son opulente chevelure. Sa robe dégraffée tomba à ses pieds, et les nattes épaisses de ses cheveux noirs se déroulèrent sur ses épaules nues. Soudain, d'une main fébrile elle les réunit, et de l'autre se saisissant de ciseaux, l'acier courut dans les longues tresses et cria avec un bruit sourd. Ses magnifiques cheveux s'échappèrent sur sa poitrine et jonchèrent le sol.

Thérèse ne leur donna même pas un regard de regret ni un sourire de compassion. Elle se dirigea ensuite vers une armoire qu'elle ouvrit avec précipitation, et en tira plusieurs vêtements d'hommes dans lesquels elle choisit à la hâte.

Quelques minutes après, Thérèse n'était plus reconnaissable.

De haute taille comme on sait, large des épaules et forte de poitrine, le gilet à revers, le justaucorps bleu foncé à boutons de cuivre, le chapeau à claque et les bottes molles lui allaient à ravir, d'autant plus que ce costume tout de fantaisie appartenait à René dont la taille moyenne pour un homme ne dépassait pas de beaucoup celle de la jeune fille.

Marthe en ce moment intercédait avec véhémence près des agents.

Thérèse renversa un meuble pour attirer l'attention de ceux-ci, et faisant résonner ses bottes sur le parquet, elle se présenta hardiment et gaillardement devant

eux :

Ma foi, messieurs, fit-elle, c'est trop, palsembleu ! vous faire attendre, et puisque vous êtes décidés à ne pas lâcher pied, je me rends à votre discrétion.

Vous êtes M. le vicomte René d'Aubersac? demanda l'un.

- En personne. Que voulez-vous de moi?

- Vous me paraissez bien jeune?

soir.

Alors ce n'est pas moi que vous cherchez, bon

Un instant, un instant, fit notre homme, vous répondez parfaitement au signalement qu'on nous a donné, seulement vous me paraissez bien jeune.

Encore.

Mais comment se fait-il que nos collègues nous ont assuré vous avoir vu aux jacobins et que nous vous trouvions ici? dit un autre.

Vos collègues sont des imbéciles.

- C'est possible, mais la chose n'est pas claire.

- Je le reconnais, fit le troisième des agents à l'oreille de celui qui paraissait le supérieur.

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Eh bien alors, vous êtes un âne.

Non pas. Tous ces nobles-là se ressemblent, et dernièrement, à la Comédie française, j'ai parfaitement vu un marquis tout jeune, et je crois pardieu bien que c'est ce petit vicomte-là.

Vous êtes un sot, fit l'agent plus expérimenté, qui réfléchit cependant que son subalterne pouvait bien ne pas avoir tort.

Et s'adressant à Thérèse, jouant jusqu'au bout son rôle et soutenant merveilleusement son personnage. - Venez, monsieur.

-Volontiers, fit celui-ci.

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