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tiques, les vôtres vous abandonnent, confiez-vous à la justice des représentants de la nation.

Le roi indécis ne répondait toujours pas.

Monsieur, s'écria la reine, que parlez-vous de situation critique et de défection, nous avons des forces, et nous nous défendrons.

Sire, reprit Roederer, sans répondre à la reine, je ne puis ni ne dois vous céder. Permettez-nous de vous faire violence?

La reine vit alors que tout était perdu, et se laissa tomber sur son tabouret.

Roederer profita de cet instant d'abattemeut et entraîna le roi.

- Allons, messieurs, fit la reine plus courroucée que résignée, puisqu'il le faut, nous vous suivons. Mais avant, répondez-vous de la vie du roi?

Je ne réponds de rien, si vous tardez, dit le procureur-général; venez.

Quelques minutes après toute la famille royale se dirigeait vers l'Assemblée législative. Elle se tenait alors dans la salle du Manége, donnant sur les Tuileries, et s'était réunie dans la nuit. On l'avertit de l'arrivée du roi et elle se tint prête à le recevoir.

Il était un peu plus de huit heures. Le tocsin continuait à sonner et le tambour à battre. Le bruit des armes et les cris de la garde nationale mécontente de voir le roi s'éloigner après avoir prêché le courage à ses troupes se mêlaient aux clameurs de la foule qui remplissait les quais. Le roi, entouré de sa famille et accompagné de quelques courtisans et du procureur-général-syndic, traversait lentement le jardin des Tuileries.

C'était une journée magnifique. Le soleil dardait ses chauds rayons sur les longues allées sablées. Une brise légère faisait frissonner les feuilles dont quelques-unes roulaient jusqu'aux pieds des fugitifs. Les oiseaux se jouaient sur les branches et caquetaient en se poursuivant.

Les fleurs s'épanouissaient au baiser lascif du soleil, et entrouvraient leur corolle à la rosée rafraîchissante. La royauté descendait de son trône et courait chercher un abri loin du château royal.

Un moment Louis XVI ne sut s'il devait avancer ou reculer; dans le doute et la crainte, il s'arrêta et essuya la sueur qui lui coulait du front.

Derrière, devant, à droite, à gauche, partout de nouveaux ennemis se dressaient pâles et menaçants.

Il eut voulu un instant se réjouir avec la nature, et les outrages d'une foule séditieuse arrivaient jusqu'à ses oreilles et l'étourdissaient.

Le roi entra tête découverte dans l'Assemblée.

Messieurs, dit-il, je suis venu ici pour éviter un grand crime.

On l'en félicita, et on lui promit protection, mais la constitution ne permettant pas de délibérer devant le roi, on fut obligé, pour tout concilier, de lui désigner la loge du logographe, comme seule place qu'il lui fût permis d'occuper.

Louis XVI se soumit, et s'assit sur le banc de devant à côté de la reine, qui se blottit dans l'angle pour dissimuler son visage que la colère pâlissait. Les enfants de France, quelques gentilshommes, Mme de Tourzel et les logographes se tinrent entassés au fond de la loge.

On y étouffait, et la foule que l'on entendait gronder au dehors pouvait, d'un moment à l'autre, enfoncer les portes, pénétrer dans l'Assemblée, et tuer le roi qui se trouvait isolé.

Aussitôt Vergniaud, qui présidait, donna l'ordre que les barreaux de fer de la loge fussent arrachés, afin que si le roi était menacé, il pût, ainsi que sa famille, se réfugier au milieu de l'Assemblée.

L'ordre donné, les représentants les plus rapprochés de la loge unirent leurs efforts pour l'exécuter. Le roi lui-même, habitué à de rudes travaux et se réveillant dans son élément prèta main-forte. En un instant les barreaux furent renversés et la loge ouverte.

La séance continua.

Pendant seize heures le roi resta dans cet antre obscur. Devant lui passaient et repassaient les ennemis. de la couronne, ceux qu'il pouvait, à juste titre, considérer comme les auteurs de tous ses malheurs. Il les entendait causer, discuter et blâmer ses actes et sa politique. A ses oreilles, on parlait de la reine en termes irrévérencieux, et on flétrissait sa conduite. Un peu plus loin, c'était la fusillade et le canon qui grondaient. La lutte était décidément engagée entre le peuple et le château; les destinées de la royauté et de la révolution s'accomplissaient.

X

COMME QUOI, EN SE VENGEANT, THÉROIGNE SUT VENGER LA CAUSE DE TOUTES LES FEMMES

Avant l'attaque générale du château, un drame isolé avait eu lieu dans les environs de la place du Carrousel. La veille au soir, et dans la nuit, la cour envoyait de nombreuses patrouilles dans les rues voisines des Tuileries et jusque dans les Champs-Elysées.

Une de ces patrouilles avait été prise par le peuple, désarmée et conduite sous bonne escorte dans un poste de gardes nationaux.

Quelques gentilshommes trahis par leur carte d'entrée au château avaient été de même faits prisonniers. De ce nombre se trouvaient l'abbé Bourgon, Vigier, M. de Solminiac, ancien garde du roi, Suleau, écrivain royaliste, jeune homme plein de verve, de talent, d'enthousiasme, brave jusqu'à la témérité, et que les larmes de la

reine avaient touché, et enfin le marquis de Beiram arrêté vers minuit, sur la route de Versailles, entre le Point-du-Jour et Billancourt.

Vers les huit heures, au moment où le roi fuyait les Tuileries, et où le peuple commençait à se grouper sur les points principaux où l'insurrection pouvait éclater, une foule compacte s'amassait autour du poste qui renfermait les prisonniers, et les réclamait à grands cris.

Il n'y avait là à la vérité que de pauvres hères déguenillés, gens affamés, aigris par la misère et la honte, quelques mendiants et rôdeurs de nuit, ayant des vengeances à satisfaire, le peuple, le vrai peuple marchait en colonne serrée sous les ordres de Westermann, emplissait la place du Carrousel ou descendait les faubourgs. Il écoutait la parole de Danton aux Cordeliers et, déployant le drapeau de la liberté, se rangeait en bataille, faisant d'avance le sacrifice de sa vie pour l'avenir de sa patrie.

Il ne s'attardait pas autour d'un poste où gisaient quelques malheureux que le hasard avait rendus prisonniers.

Mais les cris redoublaient, le poste menaçait d'être renversé, les gardes nationaux qui le gardaient virent que toute résistance était impossible, et firent sortir les prisonniers, les exposant bien malgré eux aux regards de la multitude.

La haine de celle-ci redoubla quand elle reconnut des gentilshommes, c'est-à-dire des courtiers de la royauté et des ennemis jurés.

Puis on s'attendait à vingt-deux victimes, et il n'en paraissait que onze.

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