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Tu le vois bien, dit tranquillement Camille, je charge mon fusil.

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La jeune femme était prise d'une terreur indicible qu'elle ne pouvait vaincre, et elle se réfugiait jusque dans l'alcôve. Camille courut à elle, la raisonna doucement et essuya ses larmes.

-Vois Gabrielle, lui dit-il.

- Croyez-vous que je ne souffre pas, dit celle-ci. Consolez-la, pria Camille Desmoulins.

- J'essaierai, répondit Gabrielle.

Mais, mon ami, j'ai d'horribles pressentiments, souffla Lucile à l'oreille de son mari.

- Ils sont faux, dit celui-ci; mais, seraient-ils vrais, tu sais que je ne m'appartiens plus. On nous attend aux sections.

- Alea jacta est, dit Fréron. L'heure sonne, Camille. -Je reviendrai cette nuit, cria Camille. Lucile, au revoir.

Parti! fit la jeune femme. Mon Dieu! qu'allonsnous devenir!

Elle raconte elle-même :

« J'écoutai tout et ne dis pas une parole. Bientôt je vis chacun s'armer. Camille, mon cher Camille, arriva avec un fusil. O Dieu! je m'enfonçai dans l'alcôve, et je me cachai avec mes deux mains, me mis à pleurer; cependant, ne voulant point montrer tant de faiblesse et dire tout haut à Camille que je ne voulais pas qu'il se mêlât dans tout cela, je guettai le moment où je pouvais lui parler sans être entendue, et lui dis toutes mes craintes. Il me rassura en me disant qu'il ne quitterait

pas Danton. J'ai su depuis qu'il s'était exposé. Fréron avait l'air d'être déterminé à mourir. « Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu'à mourir. » Chaque patrouille qui venait, je croyais les voir pour la dernière fois. J'allais me fourrer dans le salon qui était sans lumière, pour ne pas voir tous ces apprêts. Personne dans la rue. Tout le monde était rentré. Nos patriotes partirent. Je fus m'asseoir près d'un lit, accablée, anéantie, m'assoupissant parfois et lorsque je voulais parler je déraisonnais, Danton vint se coucher. Il n'avait pas l'air fort empressé; il ne sortii presque point. Minuit approchait. On vint le chercher plusieurs fois; enfin il partit pour la Commune. Le toscin des Cordeliers sonna, il sonna longtemps. Seule, baignée de larmes, à genoux sur la fenêtre, cachée dans mon mouchoir, j'écoutais le son de cette fatale cloche. En vain venait-on me consoler. Le jour qui avait précédé cette fatale nuit me semblait être le dernier. Danton revint. >>

Il était onze heures et un quart.

En effet, on frappa doucement: c'était Danton, sa jeune femme courut à lui et lui prit la tête dans ses deux mains et l'embrassa. Danton s'assit un moment et raconta tout ce qui se passait. Le peuple déjà s'amassait dans les sections, et se disposait pour le lendemain. Les troupes, de leur côté, entouraient le château. La journée sera chaude, conclut Danton.

d'ici.

Avez-vous vu Camille? demanda Lucile, il sort

-Je l'ai rencontré, il court aux Cordeliers; on le réclamait déjà et on s'étonnait de son absence.

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Et Barbaroux? hasarda Gabrielle.

Lui, dit Danton, il est à la tête de ses braves Marseillais, il est bien gardé et bien exposé à la fois. Mais qui douterait du succès quand Barbaroux est présent?

A minuit, Danton repartit.

A une heure du matin, Camille Desmoulins rentrait et s'endormait sur l'épaule de Lucile.

Mme Danton, inquiète, croyait toujours qu'elle allait apprendre la mort de son mari.

Je ne puis plus rester ici, dit Mme Danton. Lucile lui proposa de venir chez elle; elle y consentit. Camille se jeta ensuite sur son lit. Mme Danton essaya d'en faire autant. Mais, avec le jour, tous furent debout.

<< Camille repartit, écrit Lucile, en me faisant espérer qu'il ne s'exposerait pas. Nous fîmes à déjeuner. Dix heures, onze heures passent sans que nous sachions quelque chose. Nous prîmes quelques journaux de la veille, assises sur le canapé du salon, nous nous mîmes à les lire. Elle me lisait un article, il me semblait, pendant ce temps, que l'on tirait le canon. J'en entendis bientôt plusieurs coups sans rien dire; ils devinrent plus fréquents. Je lui dis. « On tire le canon! » Elle écoute, l'entend, pâlit, se laisse aller et s'évanouit. Je la déshabillai. Moi-même j'étais prête à tomber là, mais la nécessité où je me trouvai de la secourir me donna des forces. Elle revint à elle. Nous entendîmes crier et pleurer dans la rue, nous crûmes que Paris allait être tout en sang. Nous nous encourageâmes et nous partimes pour aller chez Danton. On criait aux armes, et chacun y courait. Nous trouvâmes la porte de la Cour du Commerce fermée. Nous frappâmes, criâmes, personne ne

venait nous ouvrir. Nous voulûmes entrer par chez le boulanger. Il nous ferma la porte au nez. Enfin, on nous ouvrit. Nous fûmes assez longtemps sans rien savoir. Cependant, on vint nous dire que nous étions vainqueurs. Mais les récits qu'on faisait étaient cruels. »

En effet, alors comme la veille, le rappel battait, une agitation extrême montait de la rue. Les quartiers couraient aux armes. Le tocsin des Cordeliers tintait, et tous les autres bourdons des clochers de la ville se mirent bientôt à l'unisson. Ce fut un bruit horrible, étourdissant et de sinistre présage.

Gabrielle, le front collé contre les vitres, regardait dans la rue. Lucile, étendue sur son lit, tremblait, priait et interrogeait Gabrielle. Madame Danton avait peine à se remettre de son évanouissement. Camille Desmoulins revient encore pour disparaître presque aussitôt.

On se bat, dit-il, j'ai vu tomber la première victime. C'est Suleau, un écrivain comme moi, mais un écrivain royaliste.

Lucile tomba à genoux et pria pour les bourreaux et pour la victime, pour les vainqueurs et pour les vaincus, pour le peuple et pour le roi.

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Républicaines, prions pour le peuple, pour nos maris, nos frères et pour la reine, dit Gabrielle dans un moment d'exaltation.

Le tocsin continuait et le canon seul tonnant par intervalles en troublait la monotonie.

On croyait Paris à feu et à sang.

C'était la dernière heure de la royauté qui sonnait.

IX

PAUVRE ROI!... TRISTE REINE!...

Remontons de quelques heures les évènements, et, avant d'assister au drame palpitant de la rue, assistons au drame intime et non moins poignant de la royauté. Minuit sonnait...

Un escadron de gendarmerie départementale gagnait la place du Carrousel et en occupait les abords.

Trois pièces d'artillerie et douze pièces de canon s'établissaient sur les côtés de la grande porte du Louvre.

Six cents cavaliers se rangaient en bataille.

Mandat, commandant général de la garde nationale, paraissait à la tête de seize bataillons.

C'étaient deux à trois mille gardes nationaux que le tambour avait appelés autour du château.

La gendarmerie à pied envahissait la cour du Louvre.

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