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à ses gens qui gardaient le corridor, laissez passer M. le marquis de Beiram.

Celui-ci, déjà éloigné, revint sur ses pas.

J'aurai, sans doute, l'honneur de vous rencontrer aux Tuileries, dit-il.

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Oui, fit le comte de Montravel, sûrement, mais pas dans les rangs des hommes qui me font horreur et n'ont rien su faire pour eux-mêmes, mais dans les rangs du peuple qui combat pour la liberté.

VIII

SOUPER CHEZ CAMILLE DESMOULINS ET LE TOCSIN DU 10 AOUT

Nous touchons au moment le plus solennel, à l'épisode le plus dramatique de la révolution. Il ne s'agit plus ici de discours, ni de phrases de sentiment, les digues sont rompues, les flots débordent, la mer est en tourmente, la révolution est vaincue ou la royauté est déchue.

La journée du 10 août approchait.

Quant à ceux qui ont accumulé les insultes contre les auteurs de cette mémorable journée, qu'ils lisent, et souffrent qu'on leur reproduise la vérité. S'ils n'avaient pas agi, Paris était mitraillé, et la France envahie par l'étranger. Voici l'écrit qui courait alors, et dont nous ne citons que quelques passages. Il était signé du prince de Brunswick, au nom du roi de Prusse et de l'empereur d'Autriche.

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» à ces grands intérêts se joint encore un but également >> important, et qui tient à cœur aux deux souverains, >> c'est de faire cesser l'anarchie dans l'intérieur de la » France, d'arrêter les attaques portées au trône et à » l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la » sûreté et la liberté dont il est privé, et de le mettre en » état d'exercer « l'autorité légitime qui lui est due. »

C'est à peu près comme si l'on vous eût dit : vous avez un lion très-vorace dans une bonne cage. Ce lion a encore été aigri par vous, aujourd'hui il vous en veut incontestablement, mais ouvrez lui la cage, et exposez-vous à sa voracité et à sa furie.

Plus loin on lisait encore :

« Les généraux, officiers, bas officiers et soldats des troupes de ligne française sont sommés de revenir à leur ancienne fidélité, et de se soumettre sur-le-champ au roi, leur légitime souverain.

» Les habitants des villes, bourgs et villages, qui oseraient se défendre contre les troupes de leurs Majestés impériale et royale, et tirer sur elles, soit en rase campagne, soit par les fenêtres, portes et ouvertures de leurs maisons, seront punis sur-le-champ suivant la rigueur du droit de la guerre, et leurs maisons démolies ou brûlées.

» La ville de Paris et tous ses habitants, sans distinction, seront tenus de se soumettre sur-le-champ et sans délai au roi, etc., etc.

>>... Leurs Majestés impériale et royale rendant personnellement responsables de tous les événements, sur leurs têtes, pour être jugés militairement sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du dépar

tement, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, les juges de paix et tout autre qu'il appartiendra, etc.

>>... Déclarent que si non... il sera tiré une vengeance exemplaire et à jamais mémorable de la ville de Paris, qu'elle sera livrée à une exécution militaire et à une subvention totale, et les révoltés coupables d'attentats aux supplices qu'ils auront mérités. »

Etc., etc....

Cet écrit, reproduit dans tous les journaux royalistes, était loin d'éteindre, on le suppose, les haines, et de ramener les jacobins à la modération.

Avouons que ce n'était point fait pour cela, et que la royauté avait des amis bien maladroits.

Il n'en était pas moins vrai que la situation était des plus critiques. La France, moins forte évidemment que toute l'Europe qui s'armait contre elle, était entourée d'espions et de traitres. Elle en avait jusque dans son sein, et jusque dans ses Assemblées. Ses généraux pouvaient la trahir, car plusieurs, comme Dumouriez, Lafayette, Luckner, ne devaient inspirer aucune confiance. N'assurait-on pas déjà que Dumouriez passait à l'ennemi et que Lafayette marchait sur Paris?

On tenait cet avis de Luckner lui-même, vieillard mobile, d'un esprit faible, niant ce qu'il avait dit la veille et ne sachant ce qu'il ferait le lendemain.

Quant à la royauté, elle manifestait hautement son idée de ressaissir le pouvoir.

Des préparatifs d'attaque et de défense.se faisaient secrètement au château, affirme un historien digne de foi. Les appartements intérieurs du roi étaient remplis

de nobles et d'émigrés rentrés. L'état-major de la garde nationale conspirait avec la cour. Le Carroussel et le jardin des Tuileries étaient un camp, le château une forteresse prête à vomir la mitraille et l'incendie sur Paris.

Le peuple ne se hasardait pas aussi dans ces parages qu'il traitait de terre maudite. Tout bon citoyen s'en interdissait l'entrée. Entre le jardin des Tuileries et la terrasse des Feuillants, on lisait sur un ruban tricolore tendu pour toute barrière :

<< Tyran, notre colère tient à un ruban, ta couronne tient à un fil. »

Il était évident que l'insurrection allait éclater. Il était même de nécessité qu'elle éclatât. Le retard d'un seul jour pouvait amener à jamais la perte de la nation. L'Assemblée discourait inutilement. Il appartenait au peuple et aux hommes d'action qui le dirigeaient de prendre l'initiative. Ces deux camps s'armaient en silence; et l'ennemi menaçait nos frontières.

Dans les premiers jours du moi d'août, pendant qu'à l'Assemblée, Péthion, maire de Paris, demandait la déchéance de Louis XVI, et prouvait dans son accusation la conduite à double face de la cour et que l'Assemblée hésitante remettait le vote en question au 9 du mois, quelques girondins et plusieurs principaux chefs populaires se réunissaient dans un cabinet d'un petit restaurateur de la rue Saint-Antoine Au Soleil-d'Or.

Le 4 août, la même réunion avait lieu sur le boulevard de la Bastille : Au Cadran-Bleu. Là, la parole mordante et railleuse de Camille Desmoulins se fit entendre et eut les rugissements de Danton.

Le 9, ils se trouvaient rue Saint-Honoré, en face de

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