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convaincu que ce n'était pas un fantôme qu'il avait devant lui, mais bien de Beiram en chair et en ós, il fut pris d'une hilarité extravagante qui touchait de bien près à la folie.

Il se leva de table, et s'approcha de lui, afin de l'effleurer, et de s'assurer par lui-même s'il n'avait pas quelque côté douloureux sur le corps.

— Veux-tu me dépouiller? cria de Beiram, trouvant étrange l'inspection que de Maupertuis faisait de sa per

sonne.

-Non, je cherche si tu n'as pas sur toi un talisman. - Un talisman... pourquoi faire?

Des balles? Que me chantes-tu là?

-- Ah! ah! puisqu'il est question de défendre les Tuileries.

Laissez donc, dit de Beiram, ce n'est pas encore pour demain. J'arrive de Paris, tout est tranquille. A vrai dire, je ne me suis occupé que de l'adorable femme que je me suis promis de vous présenter.

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Il veut me donner le change, pensa de Maupertuis, coquin de marquis, va! Mais où diable est-il donc blessé?.. il ne parait pas beaucoup souffrir, il boit, il mange, il rit, il cause et il se démène comme un possédé. Quel homme!

Thérèse, elle, remonta de bonne heure dans sa chambre.

Vous êtes blessé, fit-elle à voix basse au comte de Montravel d'une voix déchirante.

Une égratignure.

Vous mentez.

- Je vous jure.

J'ai été bien imprudente de consentir.... Le comte l'arrêta.

Remettez-vous, et nous recommencerons.

Oh!

Autrement. Ce sera moins dangereux, et ce sera plus sûr.

-

Nous verrons, dit Thérèse, mais je ne souffrirai plus que vous vous exposassiez de nouveau pour moi. Elle s'éloigna, et le comte de Montravel s'effaça dans l'ombre et lui baisa la main.

Il se retourna. Le chevalier de Maupertuis ne détachait point ses yeux du marquis de Beiram.

Que diable lui veut-il? se dit le comte.

Deux heures après, une partie des convives avaient quitté la table, le chevalier de Maupertuis s'approcha de Beiram, et l'entraîna dans une embrasure de croisée, derrière deux grands rideaux.

-Nous sommes seuls, lui dit-il d'un air important. Eh bien?

Eh bien! quoi? fit l'autre au hasard.

Cette nuit?

Eh bien! quoi, cette nuit? fit-il étonné.

Hein!

- Hein! ah ça, veux-tu prendre la peine de t'expliquer?

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Si j'y reviendrai, mais certainement que j'y revien

drai, mais où d'abord?

Comment, tu n'es pas guéri?

-Moi, guéri! mais je suis donc malade?
-Farceur,

-

Chevalier, cria de Beiram, tu commences à me fatiguer fort, et je te préviens que je suis las de toutes tes sornettes avec lesquelles tu m'étourdis depuis une heure. C'est bien, se dit de Maupertuis, il ne veut pas que je lui rappelle l'affaire.

Une bonne fois, que veux-tu?

Rien, du moment que......

Est-ce de notre jeu de l'autre nuit qu'il s'agit?

Non pas, non pas, tu ne le crois pas, cher ami. C'était de... mais je suis vraiment bien bon, tu le sais mieux que moi et je prends la peine de te mettre le doigt dessus.

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- Va au diable! cria de Beiram qui prit son chapeau.

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-Vraiment je suis fàché, car j'aurais pu te tuer, et c'eût été dommage, tu m'en verrais inconsolable, mais dans de tels moments on n'est pas maître de soi.

De Beiram, sur le point de s'éloigner, son chapeau sous le bras, regardait le chevalier de Maupertuis, admirait son sang-froid et l'écoutait en frappant du pied.

- Pourquoi t'exposer à un si grand malheur, continua de Maupertuis. Je l'aurais regretté certainement, mais le coup fait, mes regrets ne t'auraient pas ressuscité.

Chevalier de Maupertuis, cria de Beiram, tu deviens fou!

Quel entêtement, prononça le chevalier.
Mais pourquoi, mordieu!

Puisque je sais tout, avoue donc?

De Beiram planta son chapeau sur sa tête, et s'approchant de de Maupertuis avec un semblant d'intérêt.

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Chevalier, dit-il, je me repens de t'avoir brusqué tout à l'heure.

-Ah! enfin, je savais bien, moi.

- Tu n'es point fou.

- Pardieu!

Mais tu es malade, très-malade, tiens, regarde-toi, de grâce, dans ce miroir; tu es tout pâle.

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Je le crois bien, après les émotions que tu m'as données.

Que je t'ai données, oui, tu es bien malade. Soignetoi, mon bon.

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Oui, soigne-toi.

Je suis donc aussi malade, moi! je ne suis point pâle cependant.

-Non, tu es coloré, mais, crois-moi, tu as encore besoin d'une seconde saignée. Quelle histoire hein! où as-tu été touché?

Encore une fois, va au diable! cria de Beiram furieux, qui s'éloigna en jurant ses grands dieux que le chevalier de Maupertuis était fou, archi-fou.

Un instant après, il se disait : s'il est vraiment fou, ce pauvre chevalier, c'est un grand malheur, mais je n'en tirerai que mieux mon épingle du jeu.

Le lendemain, de Maupertuis s'étant promis de ne plus reparler de l'affaire à de Beiram, puisque celui-ci paraissait décider à faire la sourde oreille, de Beiram fut obligé de s'avouer que de Maupertuis n'avait donné

qu'une fois dans sa vie des signes de folie, et que cela ne suffisait pas pour être enfermé aux Petites-Maisons.

Il remarqua, en outre, que Thérèse était plus surveillée qu'auparavant, et que c'est à peine s'il lui était permis de faire un pas dans les corridors sans être suivie. Ce ne fut pas tout, il se convainquit que la jeune fille ne le voyait pas avec plus de confiance qu'autrefois, et que le chevalier de Maupertuis, éclairé sans doute sur ses projets, se méfiait de lui plus que jamais et plus que de tout autre.

En conséquence, il crut que le moment était venu d'agir et c'est alors qu'il prévint Marthe qu'il entretenait de folles espérances depuis quelques jours.

Le soir même, Marthe était à Versailles, et il lui parlait comme on l'a vu au début de ce chapitre.

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Il faut la sauver, lui avait-il dit, vous voyant avec moi, elle aura confiance.

fille.

Ordonnez, je suis prête, avait répondu la jeune

L'idée, comme on le voit, était ingénieuse.

Quel fut donc l'étonnement général, et du chevalier de Maupertuis surtout, quand de Beiram parut au souper, accompagné de la jeune et belle femme dont il avait parlé le lendemain de la fameuse nuit, où il avait pensé être tué.

On attendit avec impatience qu'elle leva son masque, et le visage découvert, ce ne fût qu'une acclamation unanime. Il n'y avait qu'une femme au monde qui pût l'emporter, et cette femme était Thérèse. Tous les yeux se fixèrent sur cette dernière. Pàle, défaite, méconnaissable, renversée sur son tabouret, elle tombait évanouie

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