Page images
PDF
EPUB

soin. Mais le chevalier de Maupertuis, préoccupé de la pensée que Beiram avait combiné le plan de lui enlever Thérèse et entendant un léger froissement, ouvrait doucement sa fenêtre, et se renversant en arrière, avait jeté les yeux vers celle de la chambre de la jeune fille.

Alors aux lueurs de la lune il avait parfaitement distingué un individu enveloppé d'un manteau noir mais dont il ne pouvait reconnaître le visage.

Cet individu grimpait le long du mur, se dirigeant vers la fenêtre en question.

- C'est ce gueux de Beiram, se dit de Maupertuis sans plus chercher.

Un pistolet tout chargé était à sa portée, il le prit, l'amorça et ajusta.

Nous allons bien voir, grommela-t-il.

C'était le moment où Thérèse mettait le pied sur le fatal échelon. Soudain, elle poussa un cri et s'effaça dans l'embrasure de la fenêtre. Un coup de feu avait déchiré l'air, troublant le silence de la nuit et sifflant à son oreille.

Un cri plus terrible lui échappa, et elle retomba évanouie dans l'intérieur de la chambre. Le comte de Montravel n'était plus derrière elle, et il n'avait pas répondu à son premier cri.

Touché évidemment par cette balle à laquelle elle n'avait que miraculeusement échappé, le malheureux avait dû lâcher l'échelle, et se laisser rouler de quatre étages. Si le coup de feu ne l'avait pas tué, il s'était alors achevé dans son horrible chute, ou il agonisait sur le pavé.

Thérèse avait eu le temps d'envisager toute l'horreur

de cette situation, et folle, insensée, appelant la mort pour elle, elle avait perdu connaissance.

Cependant le comte de Montravel n'était point mort. Qu'on se souvienne dans quelle position le coup de feu l'avait surpris. Soutenant d'un bras Thérèse qui se penchait vers lui, de l'autre il se cramponnait à l'échelle. Ce bras seul donnait assistance à son corps, en supportant tout le poids et le retenant suspendu au-dessus de l'abîme. Alors la balle avait frappé. Elle avait effleuré le front penché de Thérèse et avait passé droit jusqu'à la muraille. De là elle avait rebondi, heurtant la fenêtre, puis, trop violente encore pour retomber, elle avait ricoché, s'amortissant une troisième fois contre un corps solide.

Mais cette fois le corps solide était sensible. C'était le bras d'une utilité si incontestable à l'équilibre du comte de Montravel. Un bras, si vigoureux qu'on puisse le supposer, ne reçoit pas un tel choc sans en être ébranlé. Bientôt il se lassa, s'engourdit; la main se raidit, les doigts se détendirent, le comte disparut. Il était mort un million de fois sans un bonheur inouï. Soit qu'il ait eu pensée d'une chance de salut, soit que dans sa chute il songea à implorer le ciel, soit le pur hasard qui préside aux destinées humaines, le comte, se sentant perdu, eut la présence d'esprit de lever le bras valide qui lui restait, et ce bras eut la chance de rencontrer les fils de soie de l'échelle après lesquels il s'accrocha.

L'échelle, éprouvée par une violente secousse, se rompit en partie, craqua, mais ne céda pas. Le comte, qui avait un peu perdu la tête dans le trajet qu'il venait de parcourir, revint peu à peu à lui et se convainquit,

après mûre réflexion que s'il l'avait échappé belle, il n'était point encore positivement en sûreté. En effet, le bras se fatiguait, et d'un autre côté, il y avait à craindre que le moindre effort tenté pour sortir de cette situation n'entraînât l'échelle qu'il entendait tout doucement craquer.

Comme on le voit, le comte de Montravel n'était point mort, mais son état n'en était guère plus rassurant, vu l'imminence du péril.

C'est alors que le comte, jugeant sans doute que plus la situation se prolongeait plus elle s'aggravait, résolut de risquer le tout pour le tout. Recommandant son âme à Dieu et mettant à profit ses connaissances gymnastiques, il se haussa légèrement, et se raidissant, lâcha l'échelle et la ressaisit trois échelons plus bas. L'échelle craqua abominablement, s'allongea de quelques centimètres et le balança effroyablement.

[ocr errors]

C'est trop, pensa-t-il tout étourdi, un échelon suffit. Il recommença tout allait bien, la main s'habituait à se rattraper à l'échelon inférieur, et le corps supportait assez bien les secousses successives, mais la diable d'échelle, à force de se démener, ne tenait plus à la fenêtre du quatrième que par quelques fils racornis.

Le comte se voua à tous les saints du paradis et activa ses mouvements de rotation. Une première fois, il eut encore le bonheur de se retenir à l'échelon libérateur, puis une deuxième... mais la troisième, il ne sentit plus rien... que le vide. Un bruit sourd l'avertit que l'échelle était loin; et il n'eut point le temps de penser qu'il allait la rejoindre qu'il y était déjà. Il y était, et ne se montra point fâché d'y être. Les reins légèrement rompus, il se

trouva que l'échelle ne l'avait abandonné qu'à cinq pieds au-dessus du sol. Et il s'en félicita quand un nouveau coup de feu retentit, et qu'il entendit le sifflement d'une balle qui fendait l'air au-dessus de sa tête. Ne jugeant pas prudent d'attendre un nouvel essai du chasseur maladroit, le comte de Montravel, retrouvant l'usage de ses jambes, en profita pour s'esquiver et prendre le chemin de son hôtel, remettant à un moment plus propice le soin de la vengeance et de la réflexion.

Le chevalier de Maupertuis ne s'était toujours pas éloigné de la salle du festin, et avait continué à faire honneur aux flacons qui garnissaient la table. Maugréant contre le marquis de Beiram qu'il croyait atteint mortellement par son dernier coup de pistolet il remplissait et vidait son verre avec une adresse bien au-dessus de celle qu'il avait déployée dans sa sortie bruyante. - Pauvre de Beiram! exclamait-il, le sot, l'imbécile, l'intrus, le malappris, malheureux marquis! il est trépassé!

Soudain une pensée lui traversa l'esprit.

Il brisa son verre et crispa les poings de colère.

Qu'ai-je fait! s'écria-t-il, mais si je l'ai tué, je suis perdu! Perdu sans ressource. Je ne possède aucun titre de mes propriétés. Le voleur, l'escroc, l'assassin, il meurt propriétaire de mon hôtel de Brissac, de ma propriété de Visconti, de Maillebois, de la Roche-d'Aigues, de mes cinq cents ducats, de ma villa et de ma propriété de Fontenay.

Celle-là surtout tenait au cœur du chevalier.

Il était ivre il pleura.

:

-Et je l'ai tué, le misérable, le voleur, l'assassin.

1

Le chevalier n'y tint plus. Le remords le torturait. Il sortit, tourna la maison et arriva sous les fenêtres de Thérèse.

Il regarda et ne distingua rien que quelques gouttes de sang sur le pavé. Quant à l'échelle, elle avait disparu; et quant au cadavre du marquis, il n'y en avait nulle trace.

[ocr errors]

Je suis perdu, se répéta de Maupertuis.

Le corps a été enlevé par ses domestiques. Mais il est mort, bien mort. Voilà du sang à cette place, et ce ne peut être que le sang de mon ami de Beiram, de mon malheureux ami. Le voleur, l'escroc, il est mort sans payer ses dettes, il est mort propriétaire de Fontenay.

De Maupertuis rentra chez lui dans la désolation, ne pensant pas plus à Thérèse que si elle n'avait jamais existé pour lui, et tout entier aux regrets que lui laissait le soi-disant trépas du marquis de Beiram.

Celui-ci, cette nuit là, avait dormi, bien profondément, se consolant de son peu de réussite au jeu; et se réveillait alors, cherchant un nouveau moyen de tromper la vigilance de Maupertuis et de vaincre la répugnance de Thérèse à son égard. C'est alors qu'il songea pour la première fois à la soeur de Marcel, à Marthe, qu'il savait l'intime amie de Thérèse, et qu'il n'aurait pas de peine à attirer dans un piége, et à attacher à ses intérêts.

Quant à Thérèse, il était grand jour quand elle se réveilla de son long évanouissement. D'abord elle ne se souvint de rien, et courut à sa fenêtre restée entr❜ouverte. Quelques bouts de soie flottant au vent lui rappelèrent le drame de la nuit, et la convainquirent de son

« PreviousContinue »