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Thérèse vit qu'il paraissait si peiné du doute qu'elle avait formulé, qu'elle s'en repentit aussitôt, et lui demanda pardon.

- Ordonnez, fit-elle, je me livre à vous.

Eh bien! cette nuit, à trois heures précises, vous attacherez solidement cette échelle de soie que voilà aux barreaux de la fenêtre que vous ouvrirez et vous la laisserez pendre au dehors. Cinq minutes après, vous m'entendrez monter, et vous ne ferez aucun mouvement. Arrivé à la hauteur de votre fenêtre, je vous enlèverai dans mes bras, et deux minutes après vous serez à terre et libre, trois heures après vous serez dans les bras du vicomte d'Aubersac.

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Peur, moi? fit Thérèse avec dignité, je suis la fille de Bideauré.

Le comte de Montravel sourit.

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Au souper, Thérèse ne se montra pas trop soucieuse, et parut prendre quelque plaisir.

Le chevalier de Maupertuis fêtait ses amis à propos, disait-il, d'un héritage qui lui était survenu la nuit dernière pendant qu'il sommeillait profondément.

Les meilleurs vins coulaient à flots.

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Je suis riche, plus riche que le roi, s'écriait de Maupertuis, versant et buvant, demain j'achète les Tuileries et le palais de Versailles.

Mais qu'a donc de Beiram? disaient tous les convives, lui, toujours si gai, lui, le bout-en-train de toutes

nos réunions, il ne dit pas un mot, il ne boit pas, il ne parle pas de jouer ni de courir les ruelles.

C'est un fait étrange.

Le comte de Montravel paraissait joyeux et de franche humeur, mais, vidant fort les flacons autour de lui, il se montrait parcimonieux à son égard, n'effleurant chaque fois son verre que du bout des lèvres.

Mais qu'à donc le marquis? répétaient les convives. La nuit vint.

Je me retire, dit Thérèse, j'ai besoin de repos.

- Au revoir, ma toute belle, cria de Maupertuis, souhaite une bonne nuit à ce pauvre de Beiram, il a la maladie du million, il rêve qu'il est ruiné.

Thérèse salua froidement la noble compagnie et s'échappa.

Il était alors une heure du matin, et les têtes commençaient à s'échauffer.

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Je rentre chez moi, dit de Beiram.

- Chez vous jusqu'à la fin de la saison, dit de Maupertuis à l'oreille de ce dernier, je vous l'ai dit, je ne peux pas plus.

Je sais, je sais, fit celui-ci dont les poings se crispèrent

Le comte de Montravel profita de la désertion du marquis de Beiram et du baron de Sennecé pour se lever et s'éloigner.

Eh bien! nous messieurs, nous coucherons ici, dit de Maupertuis à ceux des gentilshommes qui restaient.

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Diable, se dit de Montravel qui entendit.

- Non, non, firent-ils tous, nous partons.

Soit, messieurs, dit de Maupertuis, la suite à

demain alors, je vous dis que mes moyens me permettent d'acheter Versailles. On parle de bouleverser la société et de supprimer la royauté, mais je vous dis que nous rirons bien. Ma cave est pleine, je la veux à sec.

Les jeunes gens s'éloignèrent, et le chevalier de Maupertuis se sentant seul, et pensant à de Beiram, retrouva peu à peu sa raison.

Cet homme-là, se dit-il, doit m'en vouloir à mort, prenons nos précautions. Mais, ah! ça, cette Thérèse lui a donc bien tourné la tête, que contre elle il a pu jouer son patrimoine en partie. Il est fou!... or, un fou fait des folies, veillons sur lui. Il est évident qu'il va tout mettre en œuvre pour me l'enlever. Il doit maintenant, dans cette affaire, considérer son honneur en jeu. Mais, en effet, je lui ai trouvé l'air étrange ce soir.

Le chevalier de Maupertuis chancelait et balbutiait, mais la pensée d'un danger quelconque le tenait en éveil et combattant son ivresse:

Pourquoi n'a-t-il pas voulu boire quand la gaité était générale? se dit le chevalier déjà beaucoup plus assuré sur ses jambes. Mais j'y songe, c'est lui le premier qui a donné le signal du départ, lui qui, à l'ordinaire, est toujours le dernier. Il avait donc quelque chose qui l'attirait au dehors. Je lui ai trouvé l'air sombre, l'œil menaçant, la démarche fatale.

Le chevalier de Maupertuis, tout en parlant, s'approchait de sa fenêtre, siuée au premier étage et légèrement effacée de celle de Thérèse, qu'il ne pouvait apercevoir qu'en se penchant à mi-corps et se renversant la tête de beaucoup en arrière. A peine l'ivresse se remarquait-elle alors en lui.

Il était alors trois heures du matin. Les trois coups sonnaient à Saint-Louis, à Notre-Dame et au château. C'était une nuit magnifique, avec un ciel azuré superbement étoilé, sans nuages aux deux horizons, et argenté à l'occident des reflets blanchâtres de la lune. Les longues allées du boulevard de la Reine semblaient illuminées, tant elles étaient transparentes à travers les éclaircies des gros marronniers. Le chevalier de Maupertuis tira ses rideaux, et regarda l'avenue du boulevard du côté qui aboutit au parc.

- De Beiram! de Beiram! grommelait-il, tu me le paieras...

Il prit un verre, et se versa le contenu d'un flacon qui

était resté sur la table.

En ce moment, Thérèse, qui n'avait pas fermé l'œil de la nuit, entr'ouvrait sa fenêtre, et, attachant les bouts de l'échelle de soie, la rejetait au dehors et l'ajustait le long de la muraille.

A peine l'autre extrémité de l'échelle touchait la terre, que Thérèse s'aperçut qu'elle était fortement tendue, et que, par intervalles, elle subissait de violentes

secousses.

-Mon Dieu! s'exclama-t-elle, c'est lui!

Ellle ouvrit tout à fait sa fenêtre, se pencha à l'extérieur, et recula avec effroi au milieu de sa chambre. Le comte de Montravel n'avait pas manqué au rendez-vous. Il était là au bas de l'échelle, se cramponnant aux premiers échelons. Thérèse revint à la fenêtre, elle sentait que sa présence était nécessaire à l'homme qui se dévouait pour elle. Le comte grimpait avec dextérité, et se trouvait déjà au deuxième étage.

- Courage, laissa-t-elle sourdement échapper. -Me voilà, lui répondit-on.

Et fermant les yeux, elle entendit la soie qui criait sous la pression des doigts et sous le poids du corps.

Mais la lune éclairant le paysage, projetait ses lueurs fauves sur la maison et sur le comte qui apparaissait comme un point noir et saillant sur les murailles.

Allons, se dit Thérèse, se remettant, ne tremblons pas, n'ayons pas moins de courage que ce jeune homme qui se sacrifie pour moi. Je suis prête.

Elle regarda une dernière fois autour d'elle, et, bien convaincue qu'elle n'oubliait rien, elle se présenta à la fenêtre, mit un pied sur les barreaux de fer qui retenaient l'échelle, et tendit les bras au comte de Montravel.

- Laissez-moi respirer, fit-il.

Il avait entendu une fenêtre s'ouvrir dans la maison. Il ignorait quelle était cette fenêtre, mais, dans le doute, il hésitait à entraîner la jeune fille dans sa perte.

Voulez-vous vous reposer un instant? lui dit-elle. Ce parti eût été évidemment le plus sage, mais il répugnait à la nature emportée et résolue de Montravel. Il craignait en outre d'effrayer Thérèse, et de la voir reculer au moment décisif.

-Non, fit-il, je me sens bien, partons.

Thérèse, aussi impatiente que le comte, mit un pied sur le premier échelon. Elle devait descendre lentement, pendant que le comte, lui tendant l'échelle et prévenant les dangers, l'aurait garantie contre les secousses, et l'aurait maintenue de sa poitrine et de ses épaules au be

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