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même, seroient prouvées, elles n'établiroient encore rien contre moi; ainsi je ne me regarde point comme accusé.

L'apologie des deux coupables plus insolente que captieuse fut une véritable diatribe contre le Châtelet, contre les témoins, et plus particulièrement contre les gardesdu-corps. Tant d'audace frappa de consternation les royalistes; ils ne firent dans cette occasion qu'une foible défense; l'abbé Maury lui-même ménagea Mirabeau au point de demander qu'il n'y eût point contre lui lieu à accusation. Le marquis de Bonnay fut le seul qui s'éleva sans ménagement contre le rapport de Chabroud; il le fit en peu de

mots :

"La calomnie, dit ce gentilhomme, qui s'attache à la vertu, n'obtient jamais que des succès bornés et des triomphes passagers. En vain des scélérats qui avoient tant d'intérêt de tromper le peuple, et de l'égarer, qui avoient sur-tout tant d'intérêt de se frayer un chemin facile jusques dans l'asyle de nos rois, ont-ils entrepris de diffamer les gardes-du-corps; la voix publique les a bientót vengés.

"Dans cette orgie prétendue qui est devenue le prétexte malheureux de tant de malheurs et de tant de crimes, tout homme sage n'a vu qu'un repas fraternel consacré par l'usage entre les corps militaires, et dont l'intention étoit innocente et pure.

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"Pour la première fois dans cette tribune, et dans un rapport qui, je l'avoue, m'a paru le modèle des plaidoyers pour les grands criminels, dans ce rapport, dis-je, on a osé prouver que dans les journées des 5 et 6 octobre, les gardes-du-corps avoient été les aggresseurs. On a eu l'étrange audace de s'écrier, le dirai-je, que l'on devoit s'applaudir que deux têtes seulement avoient été coupées.

"On a voulu rejetter sur la violence des gardes-du-corps, de ces guerriers que j'appellerai stoïques, et qui se sont laissés massacrer; on a osé rejetter sur leur compte les atrocités qui dans la journée du 6 octobre, ont souillé le palais de nos rois, et entaché à jamais notre histoire.

"Eh bien! Messieurs, vous avez été témoins des faits, vous avez lu les pièces de la procédure, les seules pièces légales, les seules véridiques.

66 L'Europe, la France entière savent que les gardes-du-corps qui ont toujours combattu pour la patrie, et qui l'ont quelquefois sauvée; que les gardes-du-corps qui lui ont toujours été fidèles, la France et l'Europe entière disent qu'ils n'ont jamais été plus grands que lorsque dans un excès d'amour et d'obéissance pour leur roi, ils ont laissé enchaîner leur courage à la chose publique. Action sublime, et qui n'eut jamais d'égale

ni de modèle.

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Je dis qu'ils n'ont jamais été si dignes

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d'hommage et d'éloge que le jour où frémissant de rage et de désespoir, ils se sont laissés immoler sur les marches du trône où le roi leur avoit interdit de se défendre.

"Telle est la conduite qu'ils ont tenue, Messieurs; ils sont tombés victimes innocentes sous le fer des assassins, et l'on ose encore outrager leurs cendres! Mais, Messieurs, les gardes du-corps en s'immolant, ont sauvé la reine; ils ont sauvé le roi peut être, et ils

sont morts contens.

"Pour moi, Messieurs, membre de ce corps respectable à qui je me fais toujours gloire d'appartenir, et qui ne m'a jamais été si cher que depuis qu'il est malheureux, membre de ce corps toujours fidèle à la nation, à la loi et au roi, je craindrois d'être désavoué par lui, si je m'abaissois à le justifier, à repousser des calomnies trop grossières,' et qui partent de trop bas pour l'atteindre.

Mais, Messieurs, en réponse aux allégations de M. le rapporteur, j'opposerai seulement quatre cens ans de courage, de victoires et de vertus.

"La Victoire a déjà répondu pour moi, et elle répondra encore que malgré leurs détracteurs, les gardes-du-corps du roi, mes braves frères d'armes, seront toujours ce qu'ils ont été, semblables à Bayard, sans peur et sans reproches."

Cet élan du marquis de Bonnay ranima le courage des royalistes; ils demandèrent

que la discussion fût ajournée; mais le côté gauche refusa opiniâtrément ce délai, pour ne pas leur donner le tems de se préparer au combat. Il fallut donc le commencer sur lechamp. Tous les membres du côté gauche, tous les orléanistes dont on avoit rempli les tribunes, prirent la défense de d'Orléans non pas avec zèle, non pas avec enthousiasme, mais avec rage, mais avec fureur. Ses plus ardens apologistes parmi les députés, furent Barnave, Pétion, Robespierre, Roederer, Alexandre Lameth, Prieur, Lapoule, le baron de Menou, Goupil. Dès qu'un royaliste se présentoit à la tribune pour combat. tre le rapport, tout le côté gauche le huoit, le menaçoit, et les tribunes paroissoient prêtes à fondre sur lui. Celles-ci proclamoient l'innocence de d'Orléans avec un fel acharnement que le chevalier de Folleville ne put s'empêcher de s'écrier: Puisque les tribunes veulent voter dans cette affaire, elles n'ont qu'à descendre à nos places.

La prévention en un mot et le bruit furent portés au point qu'il n'y eut pas un seul royaliste qui pût prononcer un discours suivi. Des vociférations, des hurlemens épouvantables lui fermoient la bouche à chaque phrase qu'il prononçoit.

Le plus grand silence régna lorsque Mirabeau parut à la tribune, et annonça qu'il alloit prononcer son apologie. Il lut en effet un fort long discours: on ne pouvoit sur une matière aussi grave raisonner plus imperti

• nemment.

Pour donner une idée de l'esprit dans lequel ce discours fut composé, j'en citerai deux ou trois lambeaux.

Sur l'accusation d'avoir été vu dans les rangs du régiment de Flandres, un sabre nud sous le bras, le comte de Mirabeau s'écria: "Eh bien ! l'action de porter un sabre nud, n'est ni un crime de lèze-majesté, ni un crime de lèze-nation: ainsi tout pesé, tout examiné, les dépositions qui attestent ce fait n'ont rien de vraiment fâcheux."

La déposition du comte de Virieu étoit une de celles qui chargeoient le plus Mirabeau. Voici de quelle manière il repoussa cette déposition: "Il est étrange ce M. de Virieu ! Mais fut-il jamais un zélateur si fervent de la révolution actuelle ? s'est-il en aucun tems montré l'ami si sincère de la constitution, qu'un homme dont on a tout dit excepté qu'il soit une bête, l'ait pris ainsi pour son confident ?"

On me reproche, dit ailleurs Mirabeau, d'avoir tenu à M. Mounier ce propos: Et qui vous dit que nous ne voulons pas un roi? Mais qu'importe que ce soit Louis XVI ou Louis XVII? Qu'avons-nous besoin de ce bamdin pour nous gouverner? Eh bien! Messieurs, ́ce propos que je déclare ne pas me rappeller, est tel que tout citoyen pourroit s'en honorer, et non-seulement il est justifiable à l'époque où on le place, mais il est bon en soi, mais il est louable.... Trouveriez-vous étrange que

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