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décrétés à se pourvoir devant elle. Quelle idée se former de la morale et du bon sens d'une assemblée qui posoit en principe que le pouvoir judiciaire étoit absolument indépendant du pouvoir- législatif, et qui arrachoit des assassins au tribunal qu'elle-mêmè avoit commis pour les poursuivre ? L'histoire des despotes d'Asie n'offre pas l'exemple d'une semblable monstruosité.

Tout dans cette affaire est si révoltant, que la plume en en racontant les détails, tombe presque des mains. Mirabeau l'un des deux assassins fut juge dans sa propre cause. Il ne demanda pas, comme on pense bien, à être traduit au Châtelet. Il vota pour que l'assemblée nationale décrétât que son comité des recherches lui feroit le rapport des charges qui concernoient les représentans de la nation; c'est-à-dire, que le malheureux eut l'impudence de demander que d'Orléans et lui fussent jugés par leurs propres complices.

Les royalistes à qui le ciel offroit une si 'belle occasion de démasquer les plus détestables de leurs ennemis, soit par une indulgence mal placée, soit par crainte des menaces qu'on faisoit retentir à leurs oreilles, montrèrent beaucoup de pusillanimité. L'abbé Maury cependant après un discours où il ne dit pas un seul mot des coupables, finit ainsi Ma conclusion, Messieurs, est que l'assemblée nationale approuve la déli catesse de messieurs du Châtelet qui avant Tome III.. F

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de prononcer des décrets, sont venus lui faire hommage de la procédure; que l'assemblée nationale leur rende ce dépôt qu'ils viennent de mettre sous ses yeux; qu'elle ordonne aux officiers du Châtelet de poursuivre le cours de cette procédure, en déclarant qu'aux yeux de la loi, et en matière criminelle, elle ne connoît aucune distinction entre les citoyens, et enfin que subsi. diairement elle ordonne, au comité des recherches de la municipalité de Paris de fournir au procureur du roi du Châtelet toutes les preuves qui seront en son pouvoir relativement aux événemens des 5 et 6 octobre dernier."

...

De Cazalès s'échauffa beaucoup contre les forfaits dont il étoit question, et contre leurs auteurs; mais il ménagea les personnes, et s'abstint de les désigner. Il s'écria: "Le palais des rois a été violé.... Les marches du trône ont été souillées du sang de ses défenseurs..... d'infâmes assassins ont mis en péril les jours de la reine des François. les jours de la fille de Marie Thérèse !.. de la reine des François ! ...... de cette reine qui a conquis notre amour par notre estime, et dont le nom justement célèbre surnagera sur l'oubli auquel sont dévoués les noms obscurs des agens de cette révolution. . . . . . . Cet exécrable attentat, Messieurs, pèse sur la nation toute entière, si les auteurs de ces forfaits dont il n'est pas au pouvoir des hommes d'accorder le

pardon, ne sont découverts (1) et punis. Représentans du peuple françois, vous avez reçu en dépôt l'honneur de la nation!... l'honneur de la nation sera taché, si cet exécrable crime n'est pas puni."

De Cazalès au reste conclut comme l'abbé Maury. Leur avis fut adopté par tous les royalistes et tous les impartiaux. Je n'ai pas besoin de dire que tous les membres du côté gauche dont plusieurs aujourd'hui disent n'avoir jamais été orléanistes, prirent avec une extrême vivacité les intérêts de d'Orléans. Pétion se montra un des plus acharnés à obtenir son absolution. Le décret qui défendoit de mettre un député en jugement sans l'autorisation de l'assemblée, fut la grande, la seule raison que fit valoir le côté gauche. Le côté droit qui avoit eu tort de laisser passer ce décret, n'eut rien de solide

à

opposer à un tel argument. L'avis de Mirabeau réunit la pluralité des suffrages. Il fut décrété que le comité des rapports rendroit compte des charges qui concernoient les représentans de la nation, à l'effet de décréter sur ce rapport s'il y avoit lieu à accusation.

Tout cela avoit été prévu. Chabroud, membre de ce comité, se trouva chargé de ce rapport. Depuis plus de six mois, comme

(1) Découverts! Hélas! ils l'étoient. C'étoit con tr'eux qu'il falloit lutter corps à corps.

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on l'a vu par la lettre que j'ai rapportée plus haut, il s'étoit adonné à tout événement à ce travail pour lequel il reçut d'avance de la part du prince, une somme de soixante mille livres.

Depuis que je me suis dévoué à transmettre à nos neveux le tableau de nos funestes divisions, j'ai eu mille fois dans le cours de mon travail, l'occasion de m'étonner des flots de lumière que les dates elles seules jettoient bien souvent sur les faits historiques les plus importans. Je fais cette remarque parce qu'il me paroît qu'en général les écrivains contemporains négligent trop de fixer les époques des divers événemens. Cette observation n'est point étrangère à mon sujet; elle répand au contraire le plus grand jour sur les menées de la faction orléaniste, relatives à la procédure du Châtelet.

Cette procédure fut déposée sur le bureau de l'assemblée nationale le 31 août, et dès le 30 septembre suivant, Chabroud en présenta le rapport. Ce rapport est si volumineux qu'il faudroit même à une plume exercée, plus d'une semaine pour le transcrire. Il est écrit avec un art qui suppose une longue méditation; le style en est correct, ⚫ pur, châtié et même fleuri. Toutes les figures, toutes les graces, toute la séduction de l'éloquence s'y trouvent déployées. Il a fallu pour rédiger ce volume, lire préalablement environ quatre cens dépositions dont quelques-unes telles que celles de Maillard, Le

Cointre, Mounier, la femme Andelle sont forc longues. Il est évident que tout cela ne pouvoit pas avoir été l'ouvrage d'un mois. Il falloit donc que Chabroud eût commencé son travail dès le moment où le. Châtelet s'étoit mis en devoir d'entendre des témoins, et si lui, ainsi que les autres conjurés, n'avoient été intimement convaincus que d'Orléans et Mirabeau avoient eu la principale part aux massacres des 5 et 6 octobre, ce travail n'auroit pas eu pour unique objet de laver ces deux hommes. Si Chabroud eût cru de bonne foi à l'innocence de ces deux monstres, comment auroit-il pu présumer six mois d'avance, que le Châtelet les décréteroit de prise-de-corps? Ainsi sous ce point de vue, le rapport même de Chabroud étoit une nouvelle preuve contre d'Orléans et Mirabeau.

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Ce rapport au reste, quoique parfaitement bien écrit ainsi que je l'ai dit, avoit moins pour objet de justifier les deux accusés, que de prouver que les délits qui leur étoient imputés, avoient servi la révolution. Tout l'esprit de ce rapport se trouve dans ce peu de mots du rapport même: Où étoit, je vous prie, le motif de blâmer? C'est en dernière analyse la conséquence de tous les raisonnemens de Chabroud. Ces autres paroles de Mirabeau indiquent également le sens dans lequel son apologie avoit été composée : Quand toutes les inculpations dont je suis frappé dit cet homme impudent à l'assemblée elle

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