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prendroit; mais quelques magistrats firent observer à leur compagnie, que rien ne pouvant ni ne devant arrêter le cours de la justice, il étoit de toute nécessité de commencer le rapport pour lequel on avoit été convoqué, sauf à le suspendre à midi afin de donner aux membres invités le tems dé se rendre au comité des recherches. Cet avis réunit presque tous les suffrages. Pour en comprendre toute la sagesse, il faut se rappeller qu'une loi de nos anciens tribunaux, défendoit d'interrompre le rapport d'une affaire criminelle sans rendre un jugement. Ainsi le Châtelet dans cette circonstance, quoiqu'il arrivât au comité des recherches, ne pouvoit se séparer sans prendre une déci

sion.

L'intervalle depuis sept heures jusqu'à midi fut rempli par la lecture des pièces de la procédure, et celle des dépositions d'environ trente témoins. A midi on suspendit, et la compagnie resta assemblée jusqu'au retour de ceux de ses membres mandés au comité des recherches. Lorsque ceux-ci y eurent comparu, Voidel leur dit qu'il prioit messieurs du Châtelet de permettre que quatre membres du comité se transporrassent à leur greffe pour prendre connoissance sur les pièces originales des diverses affaires de lèze-nation qui s'instruisoient; c'étoit, disoit-il, afin d'en faire un tableau général, ainsi qu'un rapport à l'assemblée

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nationale, et trouver les moyens d'appliquer

à ces différentes affaires une foule de renseignemens qui étoient au comité.

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Les membres du Châtelet ne virent aucun inconvénient à accéder à cette demande qui n'étoit qu'un pitoyable mensonge, car jamais ces commissaires ne parurent au Châtelet, et jamais on ne fit un semblable rapport l'assemblée. Tout paroissoit fini, et les membres du Châtelet se retiroient lorsqu'un homme du comité dit à un de ses collègues : "On les laisse donc partir? on oublie done de leur parler de l'affaire des 5 et 6 octobre ?" Un des conseillers du Châtelet qui entendit ces paroles, rappella ses confrères et apprit au comité que le rapport étoit commencé depuis sept heures du matin; qu'on avoit déjà lu trente dépositions, et que la compagnie restoit assemblée pour le continuer. "Vous n'y pensez pas, s'écrièrent alors les membres du comité, le tems est on ne peut pas plus mal choisi. Il y a dans Paris la plus grande, la plus extraordinaire fermentation.... Nous savons de science certaine qu'il a été distribué dans la nuit beaucoup, mais beaucoup d'argent..... Les sections sont assemblées pour l'élection des officiers municipaux, et par conséquent très-échauffées... Il est de toute impossibilité, dit l'un d'eux, que vous jugiez; voilà qu'on amène M. de Bonne-Savardin et M. l'abbé de Barmont, et nous avons tout lieu de

croire que leur affaire se lie avec celle des 5 et 6 octobre.... Messieurs, dit l'un d'eux, le comité et l'assemblée nationale n'ont rien tant à cœur que de voir juger cette affaire et punir les coupables; mais nous engageons le Châtelet à choisir un tems plus tranquille."

Lorsque tous ces messieurs eurent épuisé les considerations qu'ils jugeoient devoir inspirer quelque terreur aux membres du Châtelet, l'un de ceux-ci fit avec beaucoup de fermeté cette sage réponse:

Messieurs, le tribunal se fera un devoir de chercher à faire quelque chose qui soit agréable à l'assemblée nationale; mais toute législative qu'elle est, elle n'est pas au-dessus des loix, du moins de celles qu'elle n'a pas abrogées ; une de ces loix défend aux juges d'interrompre une affaire criminellet sans avoir rendu un jugement quelconque. Au surplus nous en référerons à la compagnie, et nous ne doutons pas que conformément aux principes, elle n'ordonne de continuer."

Le conseiller finissoit à peine de parler que de Pardieu qui présidoit le comité, se lève écumant de colère, faisant un geste menaçant, il s'écrie aux membres du Châtelet: "Eh bien, Messieurs, si vous persistez à Vous occuper de cette affaire, ni l'assemblée nationale, ni le comité, ni la municipalité, ni M. le commandant général ne répondront de la sûreté individuelle des

membres du Châtelet.-Monsieur, lui répondit froidement le conseiller qui venoit de parler, nous ne sommes point effrayés de ces menaces; les magistrats ne connoissent que leur devoir; ils savent, quand il le faut, mourir sur les fleurs de lys.'

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Les membres du Châtelet revenus dans leur compagnie, lui rendirent compte de ce qui s'étoit passé au comité; elle décida que le rapport seroit continué; elle ne se sépara qu'à dix heures du soir, après s'être ajournée au lendemain matin sept heures. Enfin on alla aux opinions; le tribunal étoit composé de quarante juges. Après cinq heures de délibération, tous sans exception, furent d'avis qu'il y avoit lieu de décréter de prise-de-corps le duc d'Orléans et le comte de Mirabeau. Que de honte, que de troubles, que de maux on eût épargné à la France si on eût laissé exécuter ce décret! De combien de forfaits on eût tari la source, si d'Orléans eût dès-lors expié sur un écha faud ceux qu'il avoit déjà commis!

Jamais au reste Paris ne fut plus tranquille que dans les deux jours que dura le rapport.. On ne vit pendant tout ce tems-làaucun étranger ni dans l'enceinte, ni autour du Châtelet. Cette tranquillité fut principalement due à l'intérêt que croyoit avoir la Fayette à la maintenir.

Le lendemain, des députés du Châtelet portèrent toutes les pièces à l'assemblée nationale. Boucher-d'Argis l'un d'eux, en re

mettant es pièces sur le bureau, prononça un discours qu'il n'avoit point communiqué à sa compagnie. Il y loua bassemsnt l'assemblée nationale, la commune et tous les novateurs du jour. Mais tous les coupables pâlirent lorsqu'ils entendirent ces mots : "ils vont être connus ces secrets pleins d'horreur ; ils vont être révélés ces forfaits qui ont souillé le palais de nos rois dans la matinée du 6 octobre...'

D'Orléans et Mirabeau crurent voir déjà levée sur leur tête la hache du bourreau, lorsqu'ils entendirent Boucher-d'Argis proférer ces autres paroles: "Quelle a été notre douleur, Messieurs, lorsque nous avons reconnu parmi ceux que de nombreux témoignages accusent, deux membres de cette auguste assemblée !" Quoique le conseiller ne nommât pas les deux assassins, tous les yeux se tournèrent sur d'Orléans et sur Mirabeau, toutes les consciences les accusèrent.

Le voile étoit déchiré. Il s'agissoit de savoir si on permettroit au Châtelet de continuer cette procédure. Jamais une telle question n'auroit dû être agitée, et elle ne pouvoit l'être que parmi des gens qui en se disant les fondateurs de la liberté, étoient ivres de despotisme. L'assemblée nationale n'étoit ni un tribunal d'appel, ni un tribunal de cassation. L'eût-elle été, elle devoit attendre que le Châtelet eût mis à exécution les deux décrets de prise-de-corps, sauf aux décrétés

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