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noy, contre lesquels on a répandu des libelles, s'étoient absentés, l'assemblée natio nale seroit maintenant dissoute. M. d'Orléans s'est absenté parce qu'il avoit une mission du gouvernement; il vous en fit part à Versailles, et l'assemblée lui permit d'aller la remplir. Lorsque dans la salle de l'archevêché M. de Menou vous a parlé de la justification de M. d'Orléans, vous avez déclaré n'y avoir lieu à délibérer; et quand il s'est agi d'absences, de congés de plusieurs députés, on a toujours demandé de passer à l'ordre du jour, et vous l'avez plusieurs fois décrété. Je demande que l'on passe aussi aujourd'hui à l'ordre du jour."

Duquesnoy fut exaucé sans qu'aucun royaliste réclamât. On envoya sur-le champ le décret à d'Orléans qui, comme il l'avoit annoncé, le prit pour une autorisation de quitter l'Angleterre. Il ne tarda pas à revenir; c'étoit le 6 juillet que sa lettre avoit été lue, et dès le 11 au soir il parut dans l'assemblée nationale. Tout son parti l'accucillit avec de grands applaudissemens. Il demanda à prêter le serment civique, monta à la tribune, et fit cette question: "L'assemblée permet-elle que je fasse quelques réflexions avant de prêter mon serment civique?-Oui, oui s'écrièrent avec empressement tous les membres du côté gauche." lut alors le petit discours que je transcris ici :

"Tandis que d'après la permission que

l'assemblée m'avoit donnée, et conformé ment au vœu du roi, je m'étois absenté pour aller remplir en Angleterre une mission dont sa majesté m'avoit chargé auprès de cette cour, vous avez décrété que chacun des représentans de la nation prêteroit individuellement le serment civique dont vous avez réglé la formule, je me suis empressé alors, Messieurs, de vous envoyer mon adhésion à ce serment, et je m'empresse aujourd'hui de le renouveller au milieu de vous. Le jour approche où la France entière va se réunir solemnellement pour le même objet, et où toutes les voix ne feront entendre que des sentimens d'amour pour la patrie et pour le roi; pour la patrie si chère à des toyens qui ont recouvré leur liberté; pour le roi si digne par ses vertus, de régner sur un peuple libre, et d'attacher son nom à la plus grande comme à la plus heureuse époque de la monarchie françoise. Ce jour, au moins je l'espère ainsi, verra disparoître pour jamais toutes les différences d'opinions et d'intérêts désormais réunis et confondus dans l'opinion et l'intérêt public. Pour moi, Messieurs, qui n'ai jamais fait de vœu que pour la liberté, je ne peux que désirer et solliciter de vous le plus scrupuleux examen de mes principes et de ma conduite dans tous les tems. Je ne puis avoir le mérite d'aucun sacrifice, puisque mes vœux particuliers ont toujours prévenu ou suivi vos décrets; et depuis long tems, je peux le

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dire, je portois dans mon cœur ce serment que ma bouche va prononcer dans le mo

ment.

Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir, la constitution décrétée par l'assemblée nationale, et acceptée par le roi.'

"

Le prince fut vivement applaudi par les jacobins; son retour les enivra de joie, et les intrigues recommencèrent. C'étoit un beau moment pour les vues du prince, que celui où il reparoissoit à la tête de ses complices. Il eût infailliblement conquis la couronne qu'il ambitionnoit, s'il eût pu parvenir à mettre dans ses intérêts certe armée innombrable de députés qu'on avoit envoyés des diverses parties du royaume à Paris pour prêter dans le Champ-de-Mars le serment civique. Si au lieu de se confédérer pour cette constitution qui devoit mourir en naissant, ils se fussent confédérés pour d'Orléans, les destinées de l'empire étoient peut-être fixées pour toujours.

Mais le prince étoit arrivé trop tard; une telle œuvre de séduction ne pouvoit se cop-. sommer en deux ou trois jours. D'ailleurs, le choix de ces fédérés fut fort bon. Ils se montrèrent constamment sourds aux propositions qui leur furent faites par les orléanistes, et par le parti de la Fayette. Celui-ci qui, comme je l'ai dit, avoit son genre d'ambition, vouloit profiter de cette circonstance. pour se faire revêtir d'une sorte de dictature

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qui mît dans sa dépendance le roi, et qui 1'armât d'une grande force pour protéger les artisans de la nouvelle constitution. Cette constitution dont il ne pouvoit se faire aucune idée, puisque personne ne la connoissoit encore, étoit sa chimère. Il entendoit que la révolution ne seroit consommée que quand le royaume entier auroit été façonné aux nouvelles loix, et il désiroit rester jusqu'à cette époque investi de toute la force armée, afin qu'on crût que sans lui cette révolution ne se seroit jamais faite. C'est ce qui faisoit qu'il disoit quelquefois complaisamment : J'ai fait une révolution en Amérique; quand j'aurai fini celle de France, j'en irai faire une troisième à Rome. Cette folie prouve toute la présomption de cet homme qui en Amérique joua le rôle de spectateur, et qui en France se trouvant à la tête d'une armée formidable, ne sut vaincre ni un d'Orléans, ni un Danton, ni un Marat, ni un Robespierre.

Les fédérés jugèrent très-bien et d'Orléans et la Fayette. Ils ne cessèrent de montrer pendant leur séjour à Paris, le plus tendre attachement au roi et à sa famille. Tous les soirs et bien avant dans la nuit, ils se réunissoient sous les fenêtres du château. Les uns chantoient des couplets à la louange du monarque; les autres faisoient retentir l'air des bénédictions qu'ils lui prodiguoient. J'ai été même témoin que plusieurs traçoient sur le papier les expressions de leur zèle et de leur

fidélité,

fidélité, et colloient ensuite ce papier à des arbres du jardin des Tuileries. J'ai vu de ces placards qui étoient entièrement à la louange de la reine. Cette princesse par sa patience et son courage au sein des plus hautes adversités, le dauphin par sa candeur, son innocence et la beauté de sa physionomie, paroissoient leur inspirer le plus vif intérêt.

Comme j'ai suivi avec beaucoup d'attention les événemens de cette époque, je puis assurer que telles étoient les dispositions de ces fédérés, qu'il n'eût fallu qu'un mot, qu'un signal pour les rallier autour du trône, et les engager à rendre à Louis XVI toute son autorité. Comme ce mot ne fut pas dit, comme ce signal ne fut pas donné, quoique les fédérés le désirassent, et que plusieurs même le demandassent, c'est une preuve que ces royalistes qu'on a tant accusés de conspiration, n'ont jamais conspiré.

Les fédérés de chaque province envoyèrent des députés complimenter le roi. Je ne peux me refuser au plaisir de rapporter la scène attendrissante qui eut lieu lorsque le monarque reçut ceux de la Bretagne. Leur chef, à la vue de cette famille si constamment malheureuse, ne put retenir les mouvemens de sa sensibilité. Oubliant la harangue qu'il devoit prononcer, il met un genou en terre, et présentant au roi son épée, il lui dit : "Sire, je remets en vos mains pures et sacrées l'épée fidèle des braves Bretons, laquelle ne Tome III.

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