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M. de Boinville, aide-de-camp de M. de la Fayette, envoyé de Paris par son général le mardi 29, pour une mission auprès de moi. Alors ce M. Boinville m'a dit en présence de M. l'ambassadeur, que M. de la Fayette me conjuroit de ne pas me rendre à Paris, et parmi plusieurs motifs qui n'auroient pu fixer mon attention, il m'en a présenté un plus important, celui des troubles qu'exciteroient des gens mal intentionnés qui ne manqueroient pas de se servir de mon nom. Lerésumé de ce message et de cette conversation est certifié par M. l'ambassadeur de France dans un écrit dont j'ai l'original entre les mains, et dont copie signée de moi est ci-jointe. Sans doute je n'ai pas dû compromettre légèrement la tranquillité publique, et j'ai pris le parti de suspendre toute démarche ultérieure ; mais ce n'a pu être que dans l'espoir que l'assemblée nationale voudroit bien en cette occasion régler la conduite que j'ai à tenir, et voici les raisons sur lesquelles j'appuie cette demande.

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"A l'époque de mon départ pour l'Angleterre, ce fut M. de la Fayette qui me fit le premier, au nom du roi, la proposition de me charger de la mission que sa majesté désiroit me confier. Le récit de la conversation qu'il eut avec moi sur ce sujet, est consigné dans un exposé de ma conduite, que je me proposois de rendre public, seulement après mon retour à Paris, mais que d'après ce nouvel incident, je prends le parti de pu

blier aussitôt, comme aussi d'en faire déposer l'original sur le bureau de l'assemblée.

"On y verra que parmi les motifs que M. de la Fayette me présenta pour accepter cette mission, un des principaux fut, dis-je, que mon départ ôtant tout prétexte aux mal-intentionnés de se servir de mon nom pour exciter des mouvemens tumultueux dans Paris, lui M. de la Fayette en auroit plus de facilité pour maintenir la tranquillité dans la capitale; et cette considération fut une de celles qui me détermina. Cependant j'ai accepté cette mission, et la capitale n'a pas été tranquille; et si en effet les fauteurs de ces tumultes n'ont pas pu se servir de mon nom pour les exciter, ils n'ont pourtant pas craint d'en abuser, dans vingt libelles pour tâcher d'en fixer les soupçons sur moi.

"Il est enfin tems de savoir quels sont les gens mal-intentionnés dont toujours on connoît les projets, sans cependant pouvoir jamais avoir aucune indice qui mette sur leurs traces, soit pour les punir soit pour les réprimer; il est tems de savoir pourquoi mon nom serviroit plutôt que tout autre, de prétexte à des mouvemens populaires; il est tems qu'on ne me présente plus ce fantôme sans me donner aucune indice de sa réalité.

"En attendant, je déclare que depuis le 25 du mois dernier, mon opinion est que mon séjour en Angleterre n'est plus dans le cas d'être utile aux intérêts de la nation et au service du roi, qu'en conséquence je re

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garde comme un devoir d'aller reprendre mes fonctions de député à l'assemblée nationale; que mon vœu personnel m'y porte; que l'époque du 14 juillet d'après les décrets de l'assemblée, semble m'y rappeller plus impérieusement encore, et qu'à moins que l'assemblée ne décide d'une façon contraire, et ne me fasse connoître sa décision, je persisterai dans ma résolution première. J'ajoute que si contre mon attente, l'assemblée jugeoit qu'il n'y a lieu à délibérer sur ma demande, je croirois en devoir conclure qu'elle juge que tout ce qui m'a été dit par le sieur de Boinville, doit être considéré comme non avenu, et que rien ne s'oppose à ce que j'aille rejoindre l'assemblée dont j'ai l'honneur d'être membre. Je vous prie, Monsieur, après avoir fait connoître ces faits à l'assemblée nationale, d'en déposer sur le bureau le présent détail signé de moi, et de solliciter la délibération de l'assemblée à ce sujet,

J'envoie copie de la présente lettre à sa majesté par M. de Montmorin, et à M. de la Fayette.

Signé, Louis-Philippe d'Orléans." Chacun après la lecture de cette lettre se tut; les royalistes qui n'étoient point instruits de tout ce qui avoit été machiné pour rappeller ce prince, ne comprenoient rien ni à l'audace de cet ennemi de la patrie, ni à la politique du gouvernement qui laissoit revenir parmi nous ce boutte-feu. La Fayette

qui étoit présent, gagna en souriant la tribune, et témoignant par sa contenance, qu'il lui suffisoit de demander la prolonga. tion de l'exil de d'Orléans pour l'obtenir, · parla ainsi

"Messieurs, d'après ce qui s'est passé entre M. le duc d'Orléans et moi au mois d'octobre, et que je ne me permettrois pas de rappeller, s'il n'en entretenoit lui-même l'assemblée, j'ai cru devoir à M. le duc d'Orléans de l'informer que les mêmes raisons' qui l'avoient déterminé à accepter sa mission, pouvoient encore subsister, et que peut-être on abuseroit de son nom pour répandre sur la tranquillité publique quelquesunes de ces alarmes que je ne partage point, mais que tout bon citoyen souhaite d'écarter d'un jour destiné à la confiance et à la félicité commune,

"Quant à M. de Boinville, il habitoit l'Angleterre depuis six mois; il étoit venu passer quelques jours ici; et à son retour à Londres, il s'est chargé de dire à M. le duc d'Orléans, ce que je viens de répéter à l'assemblée.

"Permettez moi, Messieurs, de saisir cette occasion comme chargé par l'assemblée de veiller à cette grande époque à la tranquillité publique, de lui exprimer sur cet objet mon opinion personnelle. Plus je vois s'approcher la journée du 14 juillet, plus je me confirme dans l'idée qu'elle doit inspirer autant de sécurité que de satisfaction,

Ce sentiment est sur-tout fondé sur les dispositions patriotiques de tous les citoyens, sur le zèle de la garde nationale parisienne, et de nos frères d'armes qui arrivent de toutes les parties du royaume; et comme les amis de la constitution et de l'ordre public, n'ont jamais été réunis en si grand nombre, jamais nous ne serons plus forts."

Cette foible harangue, cette manière lâche et tortueuse de combattre le moderne. Catilina, donne la mesure du génie et du caractère de la Fayette, sur-tout quand on se rappelle tout l'avantage que lui procuroient les preuves qu'il avoit recueillies contre son adversaire. Il suffiroit du peu de paroles qu'il prononça dans cette occasion, pour prouver qu'il étoit infiniment au-dessous du poste où il avoit eu la présomption de monter.

Les orléanistes n'eurent pas beaucoup de peine à vaincre un tel ennemi. "Dans le tems de l'ancien régime et sous le despo tisme, s'écria le duc de Biron, le soupçon seul pouvoit empêcher un homme de demeurer en sûreté dans sa patrie; mais la li berté ne permet plus ces excès. M. d'Orléans a éte soupçonné, il a été calomnié dans vingt libelles. Chargé en Angleterre d'une mission par le roi, je demande qu'il puisse revenir pour se justifier, et prendre part à la joie publique dans le grand jour qui se prépare,"

"Si tous ceux, dit de son côté Duques

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