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du-corps, nul doute sur ses vues, il ne cessa de venir à la cour toutes les fois qu'il sembloit être de son devoir de s'y montrer. II y paroissoit tous les jours où l'on faisoit ce qu'on appelloit sallon, et dans les grandes fêtes où Louis XVI mangeoit en public, Il assistoit également à la tenue du chapitre de l'ordre du Saint-Esprit; à la dernière cérémonie de ce genre qui eut lieu, il ne se plaça point non plus que son fils au rang des princes; il suivit l'ordre de sa réception, et par cet arrangement le duc de Chartres se trouva à la dernière place.

Ceux qui connoissoient les desseins sinistres de d'Orléans, et les pensées criminelles qu'il ne cessoit de rouler dans son esprit, ne concevoient pas comment il osoit se mêler aux courtisans qui venoient rendre leur hommage au monarque. C'étoit en quelque sorte braver ce roi malheureux. Jamais en effet on n'avoit vu un tel excès d'impudence. Mais ce qui paroissoit plus inconcevable encore, c'étoit la ftupide stoïcité avec laquelle d'Orléans dévoroit les affronts que les personnes du château ne manquoient jamais de lui prodiguer, dès qu'elles l'appercevoient parmi elles..

Un jour entr'autres, comme il arrivoit au moment où l'on faisoit le service de la table, le public qui craignait qu'il ne fut venu avec du poifon dans fes poches, cria unanimement aux personnes du service: prenez garde à vos plats; voilà le duc d'Orléans! En

même tems la foule l'environna, et le poussa assez brusquement sur l'escalier. Un gentilhomme qui venoit derrière lui, affecta de fui marcher à diverses reprises sur les talons. D'Orléans ne pouvant réfister à la douleur, se tourna enfin, et dit à ce particulier: Estce que vous avez monsieur l'intention de m'inJulter?-En doutez-vous, répondit celui-ci? Et que faut-il faire de plus pour vous en convaincre? D'Orléans alors appercevant la Fayette, lui dit: Monsieur, je vous en prie, donnez-moi main-forte pour me garantir des insultes qu'on me fait. La Fayette souriant, cria à quelques gardes nationales: Messieurs, defendez Monsieur, qui ne fait pas se défendre lui-même. (1)

Tandis que cette scène se passoit sur l'escalier, les laquais qui étoient dans les cours frappoient à coups de bâtons le cocher du prince, et lui reprochoient d'appartenir à un tel maître. Ces outrages glissoient sur l'ame de d'Orléans, et ne l'empêchoient pas de reparoître quelque jours après au château pour en recevoir de nouveaux.

Je n'ai pas besoin de dire que ni le roi, ni la reine, ni aucune des personnes de la famille royale ne lui parloient dans ces occa

(1) Eh! la Fayette a-t-il mieux su se défendre luimême ? N'a-t-il pas mérité, et la posterité ne lui conservera-t-elle pas le surnom de Gilles Premier que lui avoit donné le feu dục de Choiseul?

sions solemnelles qui l'attiroient à une cour, d'où s'il eût eu quelque pudeur, il se seroit exilé de lui-même dès les premiers orages de la révolution. Quelques jours avant le 10 août, il eut l'insolence de demander à Louis XVI un rendez-vous. Le monarque le lui donna en public, et lui permit de l'entretenir dans l'embrasure d'une fenêtre; l'entretien se fit à voix basse, et dura un quart d'heure ; on remarqua que chaque réponse du roi étoit accompagnée d'un signe de mépris.

La famille de d'Orléans se trouve composée au moment où j'écris, de Louise, Marie, Adélaïde de Bourbon, sa veuve, des ducs de Chartres et de Montpensier, du comte de Beaujolois, ses trois fils, d'une princesse sa fille, qui portoit le titre de Mademoiselle, et de LouiseMarie-Thérèse Batilde, duchesse de Bourbon

sa sœur.

Toute cette famille est dans ce moment dispersée. De Chartres et sa sœur errent dans l'Allemagne et la Suisse; ses deux frères, les duchesses d'Orléans et de Bourbon sont en France. On a vu par ce que j'ai dit dans le cours de cette histoire des trois fils de d'Orléans, que le seul comte de Beaujolois donnoit des espérances; mais il eft poffible que les dures leçons de l'adversité ayent jetté des germes heureux dans les cœurs des deux aînés, et purifié le sang qui coule dans leurs veines. La princesse leur sœur eft peut-être de toutes les personnes de cette famille, celle dont on

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doit le plus déplorer le sort. Livrée à l'intrigante Sillery, elle réunit au malheur de sa naissance, celui d'une éducation empoison-> née. Agée au plus de dix-huit ans, il seroit encore tems pour elle, sinon de connoître le bonheur, du moins de guérir les plaies qu'ont. pu faire à son ame des exemples impurs et des leçons empestées; elle peut y parvenir maintenant qu'elle eft arrachée des bras de sa perfide institutrice..

Je n'ajouterai également rien à ce que j'ai déjà dit de la duchesse d'Orléans.. Ses malheurs si peu mérités, sa résignation, sa douceur, sa bienfaisance lui ont concilié la vénération de ses contemporains, et lui vaudront l'eftime de la postérité. L'histoire sera juste et indulgente à son égard; elle ne lui reprochera même pas d'avoir en quelques occasions, poussé peut-être trop loin la complaisance pour l'indigne époux sur lequel elle n'avoit dans le fond d'autre autorité .que celle de l'exemple.

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Quant à la duchesse de Bourbon, sa sensibilité, des chagrins domestiques, une piété mal entendue, ses liaisons avec une fille visionnaire, appellée Suzanne Courselle de la Brousse, et un chartreux apostat, appellé dom Gerles, en ont fait depuis long-tems un être infiniment malheureux. Son caractère est bon, généreux, et l'hospice qu'elle a fondé sera un monument éternel de sa tendre com passion' pour les malheureux, On l'a vue

mille fois dans les beaux jours de sa fortune, soigner les malades de ses propres mains, et respirer pendant des heures entières, l'air empesté qui s'exhaloit du lit d'un mourant. L'exercice d'une si belle et si pénible vertu, doit, bien racheter quelques taches. Les premières années de cette princesse n'en ont pas été exemptes; mais la calomnie les a infiniment trop exagérées; elles ne prenoient point leur source dans un cœur naturellement bien né, mais uniquement dans l'inexpérience et dans cette légèreté, que donnoit aux personnes d'une certaine naissance, l'habitude d'obtenir tout ce qu'elles désiroient. Ce sera un des torts de ce siècle, qu'une princesse dont la fortune avoit toujours été le patrimoine des. indigens, ait été elle-même réduite parmi nous aux derniers excès de la pauvreté.

Elle erra dans la manière dont elle jugea d'abord la révolution. Amalgamant par une bisarre tournure d'esprit, les rêves des politiques modernes, avec les vérités de la religion, elle regarda la déclaration des droits comme un second évangile. Mais elle s'en tint à son opinion, et refusa constamment de prendre aucune part aux changemens qui se préparoient. Seulement étant vivement sollicitée par sa section lors de la fédération de 1790, d'écrire aux princes émigrés pour les inviter à rentrer, elle condescendit à ce défir, sachant très-bien que sa prière, comme il arriva, ne seroit point exaucée.

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