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tête qu'il portoit fort bien, dominoit tous les compagnons de son supplice qui sembloient affaissés sous le poids de leur infortune.

Ce fut vers les quatre heures après-midi que le funèbre cortège sortit de la cour du Palais. On comptoit si peu dans Paris que d'Orléans en feroit partic, qu'il y avoit un très-petit nombre de personnes au moment du départ; mais dès que le bruit se répandit que ce malheureux prince alloit être exécuté, des flots de peuple se précipitèrent de toutes parts sur son passage, ce qui rendit le trajet jusqu'à la place de l'exécution fort long.

Les Parisiens montrèrent bien dans cette occasion toute l'horreur que leur inspiroit ce conspirateur dont les dernières années avoient été si fatales à la France. N'étant plus alors contenus par aucune considération, ils épanchèrent sans ménagement toute la haine qu'ils lui portoient. Tous les forfaits que j'ai tracés dans le cours de cette histoire lui furent reprochés; on lui rappella amèrement sa poltronerie, ses débauches, ses vols, ses menées sur les grains, le massacre des gardesdu-corps, la journée du 20 juin, celles des 2 et 3 septembre; on lui retraça son animosité contre la famille royale, sa soif démesurée de la vengeance, son ambition, son avidité pour l'argent. "C'est toi, lui disoiton, qui fis périr le prince de Lamballe; c'est toi qui dernièrement fis assassiner sa veuve. Tu avois voté la mort de ton parent, eh bien!

tu vas recevoir aussi la mort.

Misérable! tu voulois être roi: le ciel est juste; ton trône va être un échafaud !"

D'Orléans entendoit toutes ces vérités, toutes ces imprécations sans paroître leur donner aucune attention. Son regard étoit assuré, mais modeste, son attitude fière, mais décente. Il parloit beaucoup à Coustard (1) qui déjà à moitié enseveli dans la nuit du tombeau, ne lui répondoit point, et ne paroissoit pas même l'entendre.

Lorsque les condamnés furent arrivés sur la place du Palais-Royal, la voiture qui les

(1) Ce malheureux Coustard avoit été un de mes plus ardens persécuteurs. Dans tout le courant d'août 1792 il travailla avec une opiniâtreté infatigable, à me faire tomber au milieu des victimes qui furent immolées au commencement de septembre. Gorsas de son côté, s'attachoit à ma poursuite comme une furie. Coustard mettoit en œuvre la ruse; Gorsas la violence. Celui-ci vint un jour à la tête de cinquante bandits armés jusqu'aux dents, pour m'égorger ou au moins pour me traîner à l'Abbaye. J'ai échappé à ces deux forcenés, et tous les deux ont péri sur l'échafaud Après des traits de ce genre, puis-je m'empêcher de reconnoître que ce ne sont pas les hommes qui sont les maîtres de notre vie, et faut-il s'étonner que dans le cours de cette histoire, je sois revenu un peu souvent sur cette vérité? Quel plus bel usage en effet, puis je faire désormais d'une vie qui m'a été conservée si miraculeusement, que de publier, que de bénir sans cesse les bienfaits de la providence?

portoit à la mort, arrêta. D'Orléans fixa d'un oil sec son palais; il promena sa vue tout le long de l'inscription qu'on y lit encore aujourd'hui; ses lèvres en même tems palpitoient comme s'il eut répété en lui-même ce qu'il lisoit. La voiture n'avançant point, il tourna le dos à son palais, et fixa le château d'eau toujours sans paroître ému.

Cependant, quoiqu'on ne vît en lui aucun effroi de la mort, il est assez vraisemblable qu'il souffroit cruellement. Toutes ces excroissances sanguines qui défiguroient sa physionomie étoient entièrement disparues, et son visage sans être pâle avoit la blancheur des autres parties de son corps; ce qui ne pouvoit être arrivé sans qu'il se fut fait dans son organisation intérieure une révolution extraordinaire et douloureuse.

Lorsque la charrette eut passé la rue de Richelieu, qu'on appelle dans ce moment, de la Loi, il fit signe au confesseur de s'approcher de lui, le pria de ne plus l'abandonner, et ne cessa en effet de s'entretenir avec lui jusqu'au pied de l'échafaud où il reçut sa derniere bénédiction. C'étoit sans doute rendre bien tard hommage à la religion de ses pères; ses forfaits, pour lui appliquer la pensée d'un de nos écrivains, étoient odieux, exécrables, atroces, mais enfin ils n'étoient pas plus grands que la bonté du ciel. Qui de nous peut mesurer l'indulgence divine? D'Orléans en répandant tout son

sang

sang a satisfait à la justice humaine, et c'est une des vérités qui composent la croyance des chrétiens, qu'un tel facrifice peut aussi désarmer la justice céleste.

D'Orléans fut exécuté entre le pont-tournant des Tuileries et le piédestal qui portoit autrefois la statue de Louis XV. Il monta à l'échafaud et reçut le dernier coup avec intrépidité. Je ne peindrai point les bruyans applaudissemens dont l'air retentit lorsque l'exécuteur montra sa tête au peuple. Il faut détourner ses regards de ces tableaux affligeans où l'on voit des hommes transformés én tigres altérés de sang. Le malheureux qui a payé ses crimes de sa vie, cesse d'être un objet odieux; il devient digne de notre pitié, et la sévérité même du juge qui a prononcé la mort ne devroit jamais s'étendre au-delà du tombeau.

Ainsi périt Louis-Philippe-Joseph duc d'Orléans, à la quarante-sixième année de son âge, le 6 novembre 1793, moins de dix mois après la mort de Louis XVI. à laquelle il avoit eu tant de part. Son corps fut jetté sans honneur parmi les nombreuses victimes qu'on entassoit journellement dans le cimetière de la Magdeleine.

Quelque mal que ce prince ait fait à la France, on ne peut s'empêcher de déplorer sa destinée. Né dans l'opulence et au sein de toutes les grandeurs, marchant par-tout le Tome III.

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premier après les rois; s'il eût aimé la vertu il eût été le plus heureux et le plus envié des hommes. Il aima le crime, et cette même opulence, ces mêmes grandeurs contribuèrent à en faire le plus misérable, le plus odieux des hommes; elles furent, comme les inftrumens qui le traînèrent du palais de ses ayeux dans une prison, et de cette prison sur un échafaud..

On peut d'autant moins s'empêcher de gé, mir sur cette longue et lamentable suite de forfaits qui ont couvert d'Orléans de tant d'opprobres, et l'ont poussé au dernier malheur, que peut-être sans les amis pervers dont il s'environna dès sa jeunesse, et qui firent, fi je puis parler ainsi, entrer le crime par tous les pores dans son ame, il cût joué parmi nous un antre rôle. Il eut en effet quelque conformité avec cette autre d'Orléans si connu sous le nom de Gaston, dont le cardinal de Retz nous a tracé le portrait en ce peu de mots: Il entra dans toutes les affaires parce qu'il n'avoit pas la force de résister à ceux qui ly, entraînoient, et il en sortit toujours avec honte parce qu'il n'avoit pas le courage de les soutenir. Ce dernier trait surtout convient parfaitement à d'Orléans.

Mais ce prince différa essentiellement de Gaston par son impudence ainsi que par son mépris pour l'eftime publique. Quoiqu'il sût parfaitement que Louis XVI. et la famille royale n'avoient depuis le massacre des gardes

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