Page images
PDF
EPUB

La convention, comme pour désigner dans un même acte ceux qu'elle mettoit au nombre des principaux complices de d'Orléans, déclara qu'elle ne changeoit rien à un précédent décret par lequel elle avoit mis hors de la loi, Buzot, Barbaroux, Gorsas, Lanjuinais, Salle, Louvet, Bergoin, Pétion, Guadet, Chasset, Lydon, Valady, Fermon, Kervelegan, Henri-Larivière, Rabaud de St. Etienne, Lesage de l'Eure, Bussy et Meillan.

De ces derniers députés quelques-uns s'étant sagement soustraits par la fuite, au terrible hors de la loi, sont depuis rentrés dans le sein de la convention; tant il est vrai que si dans un tems de révolution, il faut craindre pour sa vie, il ne faut pas non plus jamais désespérer de son salut, parce que le parti qui domine aujourd'hui, est vaincu demain.

Quant aux autres accusés, on en exécuta dans la même journée, vingt-un qui n'avoient pas eu le tems de fuir. Ce furent Brissot, Vergniaud, Gensonné, Duperret, Gardien, Valazé, Duprat, Sillery, Fauchet, Ducos, Fonfrède, Lasource, Lesterpt-Beauvais, Duchastel, Mainvielle, Lacaze, Lehardi, Boileau, Antiboul, Viger, Carra.

Cette sanglante exécution eut lieu le 10 brumaire, ou 31 octobre 1793. Tandis que le bourreau purgeoit la France de tous ces misérables, d'Orléans s'approchoit de Paris. Il étoit loin de croire qu'il touchoit à sa

1

dernière heure. Les archers même qui le conduisoient, n'étant pas dans le secret de Robespierre, ignoroient quelle seroit la destinée de leur prisonnier, et dans cette incertitude, ils eurent pour lui des égards qui tenoient du respect.

D'Orléans fut déposé à la conciergerie, et comme il n'avoit absolument aucun soupçon de ce que Robespierre machinoit à son égard, cette prison ne parut point l'effrayer; il ne montra ni crainte ni frayeur, il parut plutôt gai que triste.

Quand

Sa translation de Marseille à Paris, se fit si brusquement et avec un tel mystère, que quand il fut arrivé dans la capitale, personne ne vouloit croire à cette nouvelle. il ne fut plus permis d'en douter, on ne sut que penser; on trembla de manifester une opinion à son sujet; le sentiment général étoit même qu'on se proposoit de le tirer de sa prison, pour lui laisser enfin jouer le rôle ́qu'il avoit toujours ambitionné. Ce sentiment ne doit pas paroître une folie, parce que dans l'état de servitude où Robespierre avoit jetté Paris et la France entière, toute conjecture sur d'Orléans pouvoit se réaliser. Il étoit libre à Robespierre de faire tomber la tête de cet éternel conspirateur, ou de la ceindre d'une couronne. L'un ne lui étoit pas plus difficile que l'autre; et pour quelque parti qu'il se décidât, il le prenoit sans avoir à craindre la plus légère opposition. La convention de son propre aveu, n'étoit alors qu'un

qu'un troupeau d'esclaves ftupidement soumis à tous les caprices du tyran.

Le concierge des prisons de la Conciergerie (1) ne sachant pas si d'Orléans sortiroit de sa garde pour monter sur un trône ou sur un échafaud, eut pour lui de grands égards. Il ne le confondit point avec les autres prisonniers. Il lui dressa un fort bon lit dans sa propre chambre. Ce concierge m'a assuré que d'Orléans se comporta avec une véritable dignité, et même une sorte de hauteur. On voyoit bien, ce sont les propres expressions du concierge, qu'il se souvenoit d'avoir été premier prince du sang; il me traitoit avec honnêteté, mais sans aucune sorte de familiarité; le mot de citoyen ne sortoit jamais de sa bouche; il buvoit tout le long de la journée et encore une partie de la nuit; il buvoit de préférence du vin blanc de Champagne. Il n'avoit mulle idée qu'il devoit mourir; pendant les heures qu'il donnoit au sommeil, il dor

(1) Richard concierge de cette prison, étoit dans ce moment-là prisonnier lui-même, ainsi que sa femme et ses enfans. Toute cette famille a recouvré sa liberté depuis la mort de Robespierre, et la garde de cette prison lui a été rendue. Pendant sa détention, Lebeau, concierge de la Force, le fut par interim de la Conciergerie, et sa femme resta chargée de veiller sur les prisonniers de la Force. C'est à la garde de le Beau, que d'Orléans fut confié, et c'est de ce même le Beau, que je tiens les der◄ niers détails que je donne au sujet de ce prince.

[merged small][ocr errors][merged small]

moit profondément; il ne parloit jamais des af "faires publiques.

Le jour même où il monta au tribunal révolutionnaire, il lui arriva une ou deux heures avant d'y paroître, un panier de vin blanc de Champagne (1). En le recevant, il dit au concierge Voici, M. le Beau, le meilleur vin qu'il soit possible de boire. Parbleu! vous me ferez le plaisir de le goûter. Le Beau par respect se défendit de cette invitation. Point, point de cérémonie, lui répondit d'Orléans, je vous en prie, goûtez-moi ce vin; je vous jure que jamais personne au monde, n'en a bu, je ne dis pas de meilleur, mais d'aussi bon. Le Beau cédant à ses instances, ôta son chapeau, et tendit un verre que d'Orléans lui remplit deux fois. Le Beau m'a dit naïvement, que de sa vie, rien d'aussi délicieux n'avoit flatté son goût. Quant à d'Orléans, il but sans se reposer, une bouteille entière, disant à chaque coup qu'il buvoit, Ah! que c'est bon! Ce fut son dernier repas.

Il étoit à peine monté au tribunal, qu'un de ses valets de pied, appellé la Marche, rentra dans la prison, pour lui rendre compte

(1) Ces détails sont bien minutieux; mais je juge de mes lecteurs par moi-même. Les plus petits détails m'intéressent dans la vie des hommes qui ont fait beaucoup de bruit sur ce globe; je lis sur-tout avec avidité, je dévore les moindres circonstances qui ont accompagné leurs derniers momens.

d'une commission dont il l'avoit chargé. Ne voyant point son maître, il demanda à le Beau d'une voix tremblante: Eh! où est

donc Monseigneur? Au tribunal, répondit le, concierge. Au tribunal! reprit douloureusement la Marche. Au même moment, tout son visage se décomposa, ses traits s'altérèrent, des larmes roulèrent dans ses yeux; il suffoquoit; il sortit précipitamment de la prison, et depuis le Beau ne l'a plus vu.

Ce la Marche est un modèle de fidélité c'est le seul des serviteurs de d'Orléans, qui lui ait été constamment attaché jusqu'au dernier jour de sa vie ; il prévenoit tous ses désirs; il se multiplioit pour lui être utile; il lui prodiguoit ses soins avec une affection qui ne peut se peindre, et mille fois en les lui rendant, il détournoit la tête pour essuyer les pleurs qui malgré lui, inondoient son visage. Ce n'étoit point à la Marché à juger son maître; et puisque rien ne dit qu'il ait contribué aux crimes de celui-ci, son attachement est louable, et son nom mérite d'être recueilli par l'histoire.

D'Orléans trouva au tribunal son co-accusé Coustard dont on n'avoit pu se saisir assez à tems pour le réunir aux députés qui avoient été exécutés le 31 octobre. D'Orléans vit aussi là le plus ardent de ses amis; cet homme c'étoit le sinistre Voidel qui poussant jusqu'au dernier instant, le dévouement pour son ancien patron, venoit le défendre contre les antropophages qui composoient ce tribu

[ocr errors]
« PreviousContinue »