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Rhône. S l'on avoit connu dès-lors toute la noirceur de la politique de Robespierre, on auroit jugé que d'Orléans, son épouse et Montpensier leur fils, étoient destinés à la mort, afin que l'immense fortune de cette famille devint une propriété nationale. Le duc de Chartres étant hors de la loi par son émigration, n'apportoit aucun obstacle à cette spoliation. Quant au jeune Beaujolois, Robespierre disoit sans doute en lui-même de cet enfant, ce que Chabot avoit dit tout haut dans la convention nationale du fils de Louis XVI: c'est à l'apothicaire à en purger la France.

Cette affaire fut la seule que Robespierre conduisit avec une sorte de sagesse. Il laissa les parisiens, les jacobins, les diverses factions se livrer à toutes les sortes de conjectures, mais lorsque par l'emprisonnement et la mort d'une foule de députés et d'hommes de tous les partis, il se fût rendu maître absolu de la chose publique, il commença à agir, et encore en agissant, il s'enveloppa dans des ténèbres si épaisses, que nul homme en France ne put deviner où il vouloit aller. Ce secret et cette dissimulation furent portés au point que l'on commença à craindre qu'il n'y eût dans tout cela une machination au moyen de laquelle d'Orléans quand il le faudroit, sortiroit, vainqueur de sa prison, et occuperoit le trône. De manière que dans l'incertitude de savoir si Robespierre se proposoit d'être ou son sauveur, on son bour

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reau, on se tut absolument sur le compte du prisonnier, le bien ou le mal qu'on en diroit, pouvant également le conduire à l'échafaud.

Il paroît que d'Orléans lui-même n'auguroit point mal de sa position. Il avoit passé les premiers jours de sa détention à Marseille à se désespérer. L'espoir sembla ensuite renaître dans son ame. Il profita alors des adoucissemens qu'on lui procuroit dans sa prison pour se livrer avec fureur à toute la brutalité de ses anciens goûts. Dépourvu de tous ces talens agréables qui charment les loisirs d'un prisonnier, incapable d'aucune sorte d'application, il passoit ses journées à se gorger de viandes, de vins, de liqueurs avec les prostituées que son argent attirøit auprès de lui. Ses gardiens qui ne savoient pas si leur prisonnier ne seroit pas un jour leur maître, n'osoient contredire aucune de ses fantaisies.

La vie qu'il menoit dans sa prison étoit si licentieuse, si hideusement scandaleuse, que le prince de Conti qui partageoit la même prison, ne put y tenir. Il écrivit à la convention pour s'en plaindre, et lui représenter qu'il préféroit la mort au supplice d'être sans cesse en face de ce monstre; il demandoit en conséquence sa translation dans une autre prison. On n'eut point d'égard pour sa demande. Le jeune Montpensier de son côté écrivoit à ses amis de Paris avec beaucoup de

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naïveté, et très-peu de respect sur les mœurs dissolues de son père.

Le prince comme le vouloit le décret dont j'ai parlé plus haut, parut enfin devant le tribunal criminel du département des Bouches-du-Rhône. Les membres de ce tribunal, qui comme les gardiens de d'Orléans, ignoroient les vues ultérieures qu'on avoit sur l'accusé, et qui ne recevoient à son sujet nulle instruction de Paris, le déchargèrent honorablement de toute accusation; mais il ne fut point élargi, parce qu'un arrêté du comité de salut public le défendoit, quoiqu'il plût aux juges de prononcer.

Dès qu'on eut à Paris la nouvelle de cette absolution, on commença à y craindre sérieusement qu'il ne fût question de faire pro clamer d'Orléans roi dans le Midi. Mais Robespierre qui ne disoit point encore son secret, et pour qui l'axiome non bis in idem n'étoit pas plus sacré que toutes les autres maximes de justice, rit en lui-même du jugement prononcé par le tribunal provençal. Le prince écrivit à la convention pour demander son élargissement; pas une seule réflexion ne suivit la lecture de sa lettre qui fut repoussée par l'ordre du jour.

Voidel d'autre part, quoiqu'il pressentît que le silence de Robespierre cachoit un dessein sinistre, osa publier une apologie du prince; il en placarda les murailles de Paris; on lut l'affiche, on leva les épaules, et Robespierre continua à se taire.

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Il y avoit six mois que d'Orléans végétoit dans les prisons de Marseille, lorsqu'enfin Ro bespierre dit un premier mot, encore ne sut-on que penser de ce premier mot. André Amar, le premier, le plus servile et peut-être le plus farouche ministre de ses vengeances, monta dans la tribune de la convention, et y lut un acte d'accusation contre plusieurs de ses collègues. Cette pièce est si longue, que l'extrait que j'en présenterois feroit lui-même un volume; d'ailleurs, elle est à-peu-près étrangère à mon sujet; car Amar n'y articula absolument rien contre d'Orléans. Si j'en parle, c'est uniquement parce qu'elle servit de base au second procès que subit ce prince. Fouquier-Tinville, accusateur public auprès du tribunal révolutionnaire, ne produisit contre lui d'autre acte d'accusation que celui lu à la convention par Amar; ce qui est d'autant plus singulier, que comme je viens de le dire, cette pièce n'étoit pas dirigée contre d'Orléans; mais sous le règne de Robespierre, il n'y eut parmi nous que singularité et bizarrerie; peu lui importoit ce qu'on penseroit de sa tyrannie, pourvu que les bras des bourreaux fussent continuellement en exercice.

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Cet acte d'accusation au reste n'étoit ni mal rédigé, ni sans logique, et on y prouvoit assez bien par des faits et des écrits, que ceux qu'il frappoit, n'avoient voulu en parlant de république que donner à la France un maître, et que tous avoient été ardens

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orléanistes. Leur dévouement à d'Orléans étoit la seule chose qui donnât à ce prince une part à l'accusation. Mais je dois observer comme une nouvelle bizarrerie, qu'Amar en démontrant que tous ceux qu'il accusoit, étoient les complices de d'Orléans, ne prouvoit pas ce qui étoit la chose la plus importante et la plus aisée à prouver, savoir que d'Orléans étoit chef d'une conjuration. Que de forfaits eût dévoilé cette vérité, si elle eût été prouvée! Il est à croire que si Amar ne la dévoila pas, c'est qu'il craignit de faire le procès à la révolution, et à son propre parti.

Voici quelles furent les personnes que la convention décréta d'accusation, après avoir entendu Amar.

Brissot, Vergniaud, Gensonné, Duperret, Carra, Brulard (marquis de Sillery), Caritat (marquis de Condorcet), Fauchet évêque con stitutionnel du département du Calvados, Doulcet (marquis de Pontécoulant), Ducos, Boyer-Fonfrède, Gamon, Mollevaut, Gardien, Dufriche-Valazé, Valléc, Duprat, Mainvielle, Delahaie, Bonnet, Lacaze, Mazuyer, Savary, Lehardy, Hardy, Boileau, Rouyer, Antiboul, Lasource, Lesterpt-Beauvais, Isnard, Duchastel, Duval, Dévérité, Bresson, Noël, Coustard, Andrei de la Corse, Grangeneuve,, Viger, et Philippe Egalité (duc d'Orléans) qui se trouva le dernier sur cette longue liste de proscrits.

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