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tous les François qui ont appartenu à la fac tion de ce Prince.

D'Orléans eut même, du moins dès le commencement de la révolution, et longtems encore après, des appuis dans le propre cabinet de Saint-James. Le duc de Dorset, ambassadeur extraordinaire du roi d'Angleterre en France, en 1789, eut parmi ses instructions, celle de favoriser et de consolider de tout son pouvoir l'insurrection du 14 juillet. Le duc de Dorset homme de plaisir, aussi peu prévoyant que tous ceux qui préfèrent de vains amusemens à une gloire solide, fut l'inftrument aveugle de ceux qui le dirigeoient; il poussa les choses plus loin qu'ils n'auroient voulu; les regrets et le désir de la réparation sont venus trop tard.

Les pratiques du duc de Dorset ne furent pas toutes couvertes du voile du myftère; il y en eut une qui décela sensiblement la part que tel homme du cabinet de Saint-James avoit à nos troubles et à leur continuation. Ces troubles ayant commencé par une irrup tion, si je puis parler ainsi, du tiers-état contre la noblesse, l'ambassadeur anglois s'attacha à donner à cette irruption, la plus grande force, et il n'y réussit que trop bien. Voici le récit de cette manoeuvre dans toute sa vérité.

Au moment même où d'un bout de la France à l'autre le tiers-état s'agitoit avec fureur contre la noblesse, le duc de Dorset

demande une entrevue au comte de Montmorin; il lui raconte verbalement qu'il s'est formé un complot affreux contre le port de Brest, et que ceux qui en font les auteurs, demandent quelques fecours pour l'expédition, et un asyle en Angleterre. Voilà une dénonciation grave et point équivoque. M. l'ambassadeur ajoute qu'il ne peut donner aucune indication relative aux auteurs de ce projet, et qu'ils lui sont absolument inconnus. Rien certainement n'eft plus extraordinaire. Il eft impossible de concevoir que le duc de Dorset ignorât quels étoient les auteurs du complot affreux qu'il dénonçoit, puisque ces auteurs demandoient quelques secours et un asyle. Pour former cette demande, il avoit fallu qu'ils se fissent connoître, qu'ils se nommassent. Comment ne connoissoit-on pas des gens qui s'étoient faits connoître? Au surplus une telle révélation n'étoit pas descendue du ciel. Il falloit donc au moins nommer ceux qui l'avoient donnée.

Quel cas et quel usage pouvoit faire le comte de Montmorin d'une confidence aussi vague et aussi extraordinaire? Il se tut; mais le duc de Dorset n'imita pas son silence. Cette confidence qui n'étoit d'abord, et qui ne devoit être que pour le comte de Montmorin, fut bientôt pour le public. Il se répandit que l'ambassadeur d'Angleterre avoit découvert que des gentilshommes Bretons vouloient incendier le port de Brest, et qu'il avoit fait part de cette découverte à notre

gouvernement. Aussi tôt un cri épouvantable s'éleva contre l'ordre entier de la no blesse; elle fut consternée, et ne pouvant concevoir que le duc de Dorset l'eût accusée d'un semblable forfait, elle publia de son côté, que ce complot contre Breft, et que la découverte qui en avoit été faite par l'ambassadeur d'Angleterre, étoient encore des fables imaginés pour nourrir la haine du tiers-état contre le second ordre.

Comme on ne produisoit aucune preuve ni du prétendu complot, ni de la révélation qui en avoit été faite par le duc de Dorset, il y avoit beaucoup de vraisemblance dans la conjecture que la noblesse présentoit au public pour toute apologie. Nul de ses ennemis ne pouvoit lui dire qu'elle conjecturoit mal, puisque personne ne se présentoit pour prouver l'imputation qui lui étoit faite. Le duc de Dorset pour ôter à la noblesse, cette dernière ressource, rompit le silence. Il écrivit au comte de Montmorin une lettre ostensible dans laquelle on lisoit.

"Votre excellence se rappellera plusieurs conversations que j'eus avec vous au commencement de juin dernier, le complot affreux qui avoit été proposé relativement au port de Brest, l'empressement que j'ai eu à met tre le roi et ses ministres sur leurs gardes, la réponse de ma cour qui, correspondoit si fort avec mes sentimens, et qui repoussoit avec horreur la proposition qu'on lui faisoit, enfin les assurances d'attache

ment qu'elle répétoit au roi et à la nation. Vous me fîtes part alors de la sensibilité de sa majesté à cette occasion... Je vous prie, Monsieur, de donner connoissance de cette lettre sans aucun délai, à M. le président de l'assemblée nationale.

On ne voit pas quel intérêt M. le prési dent de l'assemblée nationale avec qui les ministres étrangers ne correspondoient point, avoit à lire la lettre de M. de Dorset; on ne voit pas qu'il importât beaucoup qu'il la lût sans aucun délai; on ne voit pas non plus que le roi et ses ministres se fussent mis sur leurs gardes; on savoit au contraire qu'ils n'avoient donné aucune sorte de suite à la dénonciation du duc de Dorset. Mais ce que l'on voit évidemment, c'est que M. l'ambas sadeur vouloit que son caractère donnât de la vérité et de la force à l'accusation qui pesoit sur la noblesse; on voit encore qu'il de siroit que cette accusation eût la plus grande publicité. Il eût été du moins de sa délica tesse et de sa loyauté de déclarer dans cette lettre, qu'en dénonçant un complot affreux contre le port de Breft, il n'avoit nullement dit que la noblesse fût coupable de ce complot.

Cette nouvelle menée de M. de Dorset eut le succès le plus déplorable; on répandit sa lettre avec la plus grande profusion; on l'envoya aux électeurs, aux sections de Paris, à tous ceux qui régnoient dans les diverses provinces; on l'inséra dans toutes les feuilles

publiques. Il resta démontré pour le peuple, qu'il avoit été formé un complot contre le port de Brest, et que c'étoit la noblesse qui avoit machiné cette horreur, puisqu'en étant accusée généralement, le duc de Dorset n'avoit rien dit qui pût affoiblir l'opinion publique.

Čette manœuvre contribua plus qu'aucune autre à allumer entre les deux premiers ordres cette funeste division qui a long-tents fait croire aux ennemis naturels de la France, qu'ils pourroient s'approprier la plus belle portion de cet empire.

La publicité de la lettre du duc de Dorset fut cause aussi de l'expoliation, de l'incarcération, de l'assassinat, de la fuite de plusieurs gentilshommes; et ce ne furent pas là les seuls effets qu'elle produisit. Cette malheureuse dénonciation d'un complot contre le port de Brest, fut encore le prétexte qui donna naissance à cet exécrable comité des recherches où Néron-Voidel exerça tant de vengeances contre les anti-orléanistes, et qui à son tour engendra ces comités de surveil lance, de sûreté générale, de salut public, que nous avons vus si long-tems se nourrir de délation et de sang.

Je présenterai ici une observation qui prouve que dès les premiers jours de la révolution, le parti de d'Orléans en Angleterre, étoit considérable et puissant. Il est évident que ce prince n'avoit pu exporter la plus grande partie de nos grains sur le sol anglois,

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