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et sur leur propre tête. Hélas! c'étoit la voix de Cassandre; on ne m'écouta pas,

Ces écrits ne laissèrent pas de répandre de grandes lumières, et je puis dire que la masse du peuple françois, si l'on veut bien ne pas honorer de ce nom les brigands de d'Orléans, désapprouva, détesta le sacrifice qui alloit se consommer. On a demandé depuis pourquoi donc le peuple de Paris notamment, ne l'avoit pas empêché. La réponse est courte : il étoit enchaîné. Il paroîtra fort singulier à la postérité qu'on reproche à un peuple sans force de n'avoir point fait ce que toutes les puissances de l'Europe qui avoient alors sur pied des armées formidables, n'ont pu faire.

Les Orléanistes comprenoient bien que le peuple n'étoit pas pour eux; ils tinrent le glaive sans cesse levé sur la tête des votans; ils les environnèrent d'assassins; ils contraignirent des prêtres, des ministres d'une religion qui abhorre le sang, à voter pour la mort; on proposa dans une section d'établir un jury pour juger les députés qui ne pronor. ceroient pas la mort; le président des jacobins crioit dans leur société: je suis en insurrection moi, j'assassine le premier Rolandiste, Brissotin, Feuillant et Girondin que je rencontre! Ce qui vouloit dire en d'autres termes: j'assassine le premier député qui ne votera pas pour la mort de Louis XVI.

Dumouriez dans ces orageuses circonstances. étoit venu à Paris sans y être appellé par au

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cun prétexte plausible; il y avoit fait entrer furtivement des officiers et des soldats, dont il ne porte le nombre que de trois à quatre mille; mais que des personnes plus instruites portent jusqu'à vingt mille. Il a prétendu depuis qu'il avoit fait entrer clandestinement ces forces dans Paris pour sauver Louis XVI. La vérité est qu'il ne vit pas un seul ami du monarque, et qu'il vit chaque nuit d'Orléans et les principaux conjurés Orléanistes. Il est hors de doute que trois mille hommes bien armés auxquels se seroient certainement réunis plusieurs royalistes, lui eussent suffi pour arracher le prisonnier des mains de Santerre, L'histoire prouvera que Dumouriez n'étoit venu à Paris, et ne s'y étoit environné d'une force considérable que pour protéger momentanément les juges de Louis, et que son intention étoit lorsque le monarque seroit mort, de dissoudre la convention nationale, et de faire proclamer Philippe roi.

Ce fut le 14 janvier qu'on commença à poser les questions qui devoient conduire à prononcer irrévocablement sur le sort de Louis. La veille il y eut un grand repas au Palais-Royal, où furent invités tous les Maratistes, et plusieurs députés qu'on croyoit incertains. Le Pelletier de Saint-Fargeau fut de ce nombre. Saint-Fargeau étoit fils d'un père qui dans ses fonctions de juge se montra constamment très-sévère; mais quoiqu'on en ait dit, le fils n'avoit point la sévérité du père. Ses mœurs étoient douees; on pouvoit lui

tout dire, lui tout reprocher; il écoutoit avec docilité et avec confusion, mais aussi il ne se corrigeoit pas. On ne pouvoit même pas à la rigueur l'accuser d'ambition, car il ne désiroit autre chose que d'être toujours ce qu'il étoit. Héritier par la mort de son père d'une fortune immense tant en meubles qu'en immeubles, il sacrifia sa conscience pour la conserver; ce . fut là son crime. Il se jetta dès l'ouverture des états-généraux dans le parti de d'Orléans, parce qu'il crut que ce prince l'emporteroit sur Louis XVI, et qu'il n'y auroit sûreté que pour les seuls propriétaires qui se seroient rangés de son bord.

Saint-Fargeau étant président à mortier au parlement de Paris, avoit fait le serment de ne jamais condamner personne à mort. Il voulut dans la conjoncture qu'avoit amenée la faction d'Orléans, rester-fidèle a son serment. Il fit plus; il engagea vingt-cinq de ses co-députés, sur lesquels il avoit beaucoup de crédit, à ne pas voter la mort de Louis XVI. D'Orléans instruit de cette particularité, tira Saint-Fargeau à part après l'orgie dont je viens de parler, et lui dit: SaintFargeau que faites-vous? vous n'y pensez pas, vous vous perdez; votez la mort; engagez vos amis à émettre le même vau promettez-le-moi, et moi de mon côté je vous promets une alliance avec ma famille. Saint-Fargeau foible, et croyant toujours que d'Orléans régneroit, se laissa prendre à cet appât. Il changea d'opinion, et en fit

changer à ses vingt-cinq amis, ainsi ces seuls mots conquirent vingt-six voix pour l'arrêt de

mort.

L'ordre dans lequel on établit les trois questions qui devoit décider du sort de Louis XVI, fut tout-à-fait insidieux: voici de quelle manière elles furent posées.

10. Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté, et d'attentat contre la sûreté générale de l'état ?

2o, Le jugement qui sera rendu sur Louis sera-t-il soumis à la ratification du peuple réuni dans ses assemblées primaires?

30. Quelle peine le ci-devant roi des françois a-t-il encourue?

En demandant d'abord si Louis étoit coupable, c'étoit dans le cas où l'on auroit une réponse affirmative, l'avoir par le fait condamné, car lá condamnation est une conséquence nécessaire du jugement qui déclare qu'un accusé est coupable. Or les Orléanistes savoient bien que les Fauchet, les Manuel, les Pétion, les Guadet et toute la race Brissotine, ne pourroient s'empêcher de déclarer que Louis étoit coupable. Ils l'avoient en effet tant de fois déclaré dans leurs placards, dans leurs diatribes, dans tout le cours de la guerre qu'ils avoient faite à Louis XVI avec tant d'acharnement depuis le commencement de la révolution; qu'il n'étoit pas possible qu'ils voulussent maintenant tomber dans une contradiction qui feroit dire qu'ils n'avoient que des hypocrites, et qu'ils étoient dans

été

le fait de véritables royalistes. Voilà la raison qui fit que cette question précédat les

autres.

Les Orléanistes raisonnèrent avec justesse dans cette occasion. Leurs adversaires se trouvèrent pris dans le piége. Pour ne point démentir ce qu'ils avoient si souvent imprimé et crié, ils décidèrent la question par l'affirmative; de sorte qu'il fut déclaré à l'unanimité que Louis étoit coupable. Un seul député eut le courage de dire qu'il n'avoit pas été envoyé par ses commettans pour juger son roi.

Lorsque le tour de d'Orléans pour opiner sur cette première question fut arrivé, il monte à la tribune comme ceux qui l'avoient précédé, et de-là, cria d'une voix forte: oui. Ce sanguinaire oui excita un mouvement tumultueux d'indignation parmi ses adversaires, quoiqu'ils l'eussent également prononcé. Ce n'étoit pas là une inconséquence; c'étoit un témoignage que ce mot n'auroit pas dû sortir de la bouche du parent de Louis..

Louis étant déclaré coupable, il ne s'agissoit plus que du choix de la peine; mais les Brissotins crurent qu'ils sauveroient l'accusé en décidant la seconde questoin par l'affirmative. La chose pouvoit arriver; elle n'eut pas lieu par leur lâcheté, par la crainte qu'ils eurent des menaces qu'on leur faisoit et par le peu d'accord qui régnoit même entr'eux, en sorte qu'il fut décidé à la pluralité des voix, que le jugement ne seroit pas soumis

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