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mais on peut la contrefaire. Il persista à exiger qu'on lui laissât examiner tous ces papiers à loisir, et il fallut se rendre à son désir.

La sagesse de cette conduite déplut au jeune Montpensier; il s'écria avec une malicieuse naïveté, et de manière à être entendu de toute l'assemblée: eh! mais il nie tout! Malheureux enfant ! quel mot il prononça là! Si jeune, n'avoir aucun respect pour le malheur ! Si jeune, avoir aussi soif du sang! Le monarque qu'il avoit sous les yeux ne l'avertissoit-il pas que pas que les plus grands revers enveloppent souvent l'homme qui devoit le moins les attendre? Le jeune Montpensier. avoit-il parole du ciel que son tour ne viendroit pas ? Il viendra, et alors le mot qu'il prononça ce jour-là, retombera sur sa tête; il lui ôtera tout droit à la pitié de ses semblables; personne ne le plaindra.

Je n'écris point l'histoire ni du procès, ni des derniers malheurs de Louis XVI. (1) Je ne parle de cette sanglante et inouie tragédie qu'autant qu'il est nécessaire pour mon trer le rôle qu'y a joué d'Orléans. Il ne cessa pendant toute cette déplorable scène d'avoir les yeux collés sur son parent. Il étoit con

(1) On s'est beaucoup trop pressé d'écrire sur les derniers momens de ce roi; il faut donner à la vérité le tems de se montrer toute entière. J'ai lu un écrit composé outre-mer par un des amis de Louis XVI. Tout n'est que confusion et inexactitude sur la ca

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venu avec les Maratistes que tout seroit ter miné dans la journée même. On devoit après l'interrogatoire de Louis, le juger définitivement sans désemparer. Les ordres étoient donnés pour qu'il ne retournat point au Temple, pour qu'il reçut le lendemain même la mort sur la place du Carousel. On lui avoit en conséquence préparé un lit dans une des salles contigues à l'assemblée.

La fermeté de Louis à demander l'examen réfléchi des pièces qu'on lui avoit montrées, et la faculté de prendre des défenseurs, changea quelque chose à ces sinistres dispositions. Son interrogatoire fini, il se retira dans la salle qu'on appelloit des députations. Il n'avoit rien pris depuis vingt-quatre heures. Il sentit en entrant dans cette salle, que cette longue abstinence avoit épuisé ses forces. Il demanda si on voudroit lui accorder un morceau de pain......Le fils de tant de rois solliciter de la commisération de ses sujets un morceau de pain!......Quelle image!.......Quels yeux ne se mouilleroient pas de pleurs en la contemplant!.....Ce malheureux morceau de pain qui lui parut bien amer, fut trempé de ses larmes.

Comme Louis se retiroit, d'Orléans pressentant que la double demande qu'il avoit

tastrophe qui a terminé la vie de ce prince; un jour tout se saura; il ne faut pas prévenir ce jour; il faut attendre que les témoins oculaires parlent.

faite entraîneroit un délai, fit circuler pármi les Maratistes, qu'il ne falloit lui accorder que deux ou trois jours. Barère en conséquence qui présidoit, l'ajourna à deux jours pour produire ses moyens de défense; mais lorsqu'il eut quitté l'assemblée, les Brissotins engagèrent habilement la discussion sur la question de savoir s'il falloit accorder un conseil. Ils tenoient pour l'affirmative, et les Orléanistes pour la négative. On s'échauffa, on perdit un tems considérable à s'injurier, et la question ne put être décidée dans cette journée. Ce fut alors une nécessité d'ordonner au farouche Santerre de remener le prisonnier dans la tour du Temple.

Louis dans un autre séance eut la permission de choisir un défenseur; il demanda l'avocat Target, à son défaut l'avocat Tronchet, ou tous les deux ensemble; le premier refusa; le second accepta avec joie. Plusieurs autres personnes se dévouèrent à la défense de Louis. On lui envoya..leur nom; il reconnut parmi eux celui des Malesherbes, qui avoit été deux fois son ministre, et toujours son ami. Il se trouva heureux dans son infortune de pouvoir verser ses dernières pen sées dans le sein de l'amitié. Il accepta avec empressement les services de ce respectable vieillard.

Louis avoit été interrogé le 11 décembre, Malesherbes et Tronchet ne purent être introduits auprès de leur auguste et malheureux client que le 24. Les Orléanistes pres

soient avec importunité son jugement. Ils arrachèrent de l'assemblée un décret qui ordonnoit que l'accusé seroit entendu pour la dernière fois le 26 du mois où l'on se trouvoit. Les deux défenseurs se virent obligés de vé rifier et de discuter des milliers de pièces. Ils n'avoient pu commencer leur travail que le 15; il leur devenoit impossible de remplir en onze jours la tâche qui leur étoit imposée, Elle étoit en effet au-dessus des forces de tout homme, et à plus forte raison de deux vieillards, l'un plus que sexagénaire, l'autre pres qu'octogénaire; ils s'adjoignirent, Deseze, jeune orateur estimé dans notre ancien barreau. Deseze ne balança pas à se vouer aussi à la défense de Louis, et en devenant ainsi le collègue de Malesherbes et de Tronchet, il s'associa à leur immortalité.

Dès le 24, Descze par une espèce de prodige, se trouva en état de lire à son client une apologie dont les faits et la discussion qui les développe, sont un chef-d'œuvre d'éloquence, mais où d'ailleurs les principes laissent beaucoup à désirer.

Le 26, conformément au décret, Louis pa rut pour la dernière fois devant la convention, entre Malesherbes et Tronchet. Deseze prononça à la tribune son éloquent plaidoyer, et la confusion couvrit bien des visages, lorsqu'il fit entendre ces paroles: Je cherche parmi vous des juges, et je ne trouve que des accu

sateurs.

Louis, lorsque Deseze eut quitté la tri

bune, se leva, et d'une voix qui n'étoit nullement altérée par son malheur, il déclara que sa conscience ne lui reprochoit rien, et que ses défenseurs n'avoient dit que la vérité. En faisant ses derniers adieux aux membres de la convention, qu'il savoit bien qu'il ne verroit plus, il s'attendrit, et laissa couler quelques larmes. D'Orléans dans cette nouvelle circonstance eut encore les yeux continuellement attachés sur sa victime.

A peine Louis eut quitté l'assemblée, que les Orléanistes demandèrent à grands cris que son arrêt de mort fut prononcé sans désemparer. Tout ce que put faire le parti contraire, fut d'obtenir que toute affaire cessante, on s'occuperoit de son jugement.

Dans le court intervalle qui s'écoula entre le premier interrogatoire de Louis et le jour où l'on procéda à son jugement, une foule de gens de lettres bravant les vengeances de d'Orléans, jetta dans le public des écrits lumineux en faveur de l'accusé. J'osai me mêler à ces athlètes courageux; je tirai le rideau de la faction d'Orléans; je dévoilai les vues du prince; je fis voir l'usurpateur prêt à s'asseoir sur le trône qui venoit d'être renversé. Je prédis à Saint-Fargeau, à Gorsas, à Condorcet, à Carrier, à Robespierre, à Couthon, à Bourbotte, à Soubrany, à Marat, à Héraut-de-Séchelles, à Pétion, à Danton, à Lacroix, la terrible mort qu'ils ont faite depuis; je prédis à tous les épouvantables fléaux qu'ils alloient faire descendre sur la France

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